L'homme après l'homme – le film d'un (re)nouveau possible
Srî Aurobindo et la science
Notre monde craque de partout. Quel avenir le présent prépare-t-il à l'homo-sapiens du XXIe siècle ? Une sixième extinction, disent certains. Pourtant, d'autres, dans un passé lointain, travaillaient à la transmutation de notre être conscient. Il semblerait que quelques scientifiques commencent à comprendre le sens et la portée de cette démarche… Tout ne serait-il pas perdu ?
Flashback : notre apparition
On le sait, l'Homo sapiens que nous sommes est un rescapé de la lignée des grands singes comptant de multiples espèces dont beaucoup se sont éteintes. Nous sommes jeunes : nous avons environ 200 000 ans. Il nous a fallu tout ce temps pour modifier notre corps et notre esprit : nous nous sommes redressés ; notre cerveau s'est développé ; les borborygmes originels se sont polis en un langage articulé, les relations sociales se sont raffinées, nos aptitudes techniques et mentales se sont accrues très rapidement.
Nés il y a 3,85 milliards d'années, nos ancêtres les plus reculés nous sont quelque peu étrangers : baptisés procaryotes, aquatiques, ils se réduisaient à des bactéries unicellulaires. Ce point de départ de la vie – que nous incarnons actuellement – nous semble terriblement éloigné dans le temps… Mais l'âge de la Terre est estimé à 4,55 milliards d'années. Cela relativise le poids de cette durée, et plus encore si le Big Bang présumé s'est bien produit il y a 13,7 milliards d'années…
Flashforward : notre disparition
Nous sommes nés sur une planète qui, après cinq extinctions de masse, connut la destruction de 90% des organismes alors vivants. Les causes en étaient naturelles (séismes, réactions chimiques, volcans, météorites). Ce ne sera pas le cas de la 6e disparition des espèces[1] annoncée par l'ONU le 6 mai 2019, avec le rapport de l'IPBES (Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services), publié après 3 ans de travail par 150 experts de 50 pays : "un demi-million à un million d'espèces devraient être menacées d'extinction, dont beaucoup dans les prochaines décennies."
Notons que, pour la première fois depuis plus de 4 milliards d'années, cette extinction possible – probable disent certains – sera causée par les hôtes de la Planète bleue, les hôtes les plus évolués ayant vécu à sa surface… Si l'Anthropocène a une fin, cette fin sera probablement autoprovoquée par l'Anthropos lui-même, ce prodige d'intelligence né du cosmos, créature peut-être unique et chef-d'œuvre de complexité…
Sans doute quelques hominidés survivront-ils à l'épuisement quasi programmé et inéluctable de toutes les ressources conditionnant leur existence actuelle ?
Et tout recommencera.
Peut-être de la même manière.
Plan rapproché : notre présent
Peindre les choses ainsi et en rester au constat désolant d'une possible extinction de notre espèce serait fermer les yeux sur une réalité moins sinistre. Dans notre jungle sociale surpeuplée de prédateurs humanoïdes se nourrissant du plus grand nombre, il existe aussi des créatures moins belliqueuses. Discrètement, elles tissent une toile dont la chaîne est faite de leur idéal (un monde respirable pour les poumons et l'âme) et la trame du réalisme nécessaire à la réalisation de cet idéal. Quel est donc l'élément capable de conférer à ces êtres la volonté et l'énergie leur permettant d'échapper aux modèles toxiques célébrés par des philistins sans scrupules ?
Il s'agit de la conscience à laquelle ils sont reliés. Non pas la conscience qui regardait Caïn dans la tombe ; ni cette activité mentale, connaissance réflexive plus ou moins limpide, plus ou moins voilée ; ni cette attention que nous portons autour de nous et dont l'absence nous fait dire de certains qu'ils sont "inconscients"…
Il s'agit ici de cette conscience dont on commence enfin à reconnaître qu'elle est extérieure au cerveau.
Que cette idée ne convienne pas à la communauté scientifique standard, peu importe. Suite à des observations et des expérimentations de plus en plus nombreuses et élaborées, les faits sont maintenant établis, entre autres par des neurochirurgiens jusque-là matérialistes en diable, comme Eben Alexander et Pim van Lommel, victimes d'une Expérience de Mort Imminente. Les études qu'ils mènent actuellement sont catégoriques : il n'y a pas d'origine biologique à la conscience ; elle n'est pas localisée dans le corps ; elle n'est pas le produit de réactions physico-chimiques du cerveau, ni de l'activité neuronale ; le cerveau est l'émetteur-récepteur, transmetteur d'une réalité omniprésente dont il n'est pas la source.
Ce constat (établi depuis des millénaires, nous le verrons), est confirmé par la physique la plus en pointe. Les enjeux ne sont pas anodins : si notre conscience est de même nature que la conscience commune à tout ce qui constitue l'univers (conscience cosmique), alors nous sommes capables d'entrer en communication et d'interagir avec TOUT …
Hors-champ : la conscience et les scientifiques
Einstein passa la fin de sa vie à tenter de montrer que gravité, force électromagnétique et force nucléaire sont les expressions différentes d'un principe unique. Mesurons la portée de cette découverte : si tout ce qui existe, tout ce qui constitue la multiplicité infinie de l'univers, est l'émergence de manifestations issues d'un principe unique, quelle est la nature de ce principe ? Einstein ne s'aventura pas à répondre et ne suggéra aucune théorie concernant cette conscience.
Il en ira autrement pour le physicien britannique David Bohm[2] : la notion de séparabilité, pour commode qu'elle soit au quotidien, lui apparaîtra comme une aberration au niveau atomique. En effet, à ce niveau, affirme-t-il, tout est relié, rien n'est séparé qu'en apparence. Tout est corrélé, objets célestes, terrestres, quelle que soit leur nature, minérale, végétale, animale. L'organisation de l'univers, à commencer par celle du vide, est probablement holographique – chaque partie la plus infime de cette structure constituant la même structure que l'ensemble. Au niveau invisible chaque élément contiendrait donc tout l'univers (ordre impliqué) – agencement que nous ne pouvons évidemment pas percevoir ni avec nos yeux ni avec des appareils (ordre expliqué)
Ce point de vue, celui de Bohm, est prolongé par celui d'un autre chercheur, Nassim Haramein[3], dont la théorie des champs unifiés fait actuellement avancer le débat. Nous sommes immergés, explique-t-il, dans l'énergie du vide dont la géométrie est celle qui préside à l'ensemble de la création et qu'on retrouve en tout (univers holofractographique dont la représentation visible est celle de la fleur de vie, structure géométrique présente dans nombre de civilisations – assyrienne, égyptienne, chinoise, etc.)
Dans la droite ligne de Franck Wilczek, prix Nobel de physique en 2004, Nassim Haramein démontre que nous sommes les enfants de l'énergie du vide, en d'autres termes de la structure de l'espace qui, loin d'être réellement vide, constitue un champ d'informations auquel nous sommes connectés continuellement.
En un mot, nous et le "vide" de l'univers sommes intriqués. Par conséquent tout humain est capable d'entrer en résonnance, en communication avec tout ce qui appartient à cet univers, visible et invisible. La conscience est le dénominateur commun de tout ce qui est ; elle "n’est pas quelque chose qui émerge, ce n’est pas un épiphénomène du cerveau. C’est quelque chose qui est présent à tous les niveaux de la réalité et qui fait que la réalité devient de plus en plus complexe".[4] Notre corps est une antenne vivante qui peut capter et émettre des informations avec ce qui constitue la structure de l'espace, cette structure étant un champ informationnel à l'échelle de Planck[5] – et dont on commence à penser sérieusement qu'elle "contient" la conscience
D'autres chercheurs ou passeurs, comme Greg Braden et sa Divine Matrice, réunissent peu à peu les signes permettant de conclure que notre monde intérieur et l'univers extérieur sont interconnectés. Ils ont franchi un pas non négligeable depuis qu'Einstein découvrait que les objets physiques, constitués à 99,99999 % de vide, sont une extension de l'espace et que, finalement, "rien ne touche rien". Il faut aussi mentionner Philippe Guillemant dont la théorie de la conscience et autres études rejoignent celles de Nassim Haramein et celles de multiples contemporains étrangers tels Juan Maldacena, chercheur à Princeton, Yoshifumi Hyakutake de l’Université d’Ibaraki, etc.
Flash back : les pionniers de la conscience
Bien avant qu'on parle de physique quantique, dans des textes très anciens, on considérait déjà que la séparation entre notre conscience et l'univers est une illusion.
Dans la Svetasvatara Upanishad, écrite entre 400 et 200 ans avant J.-C., nous découvrons ces deux strophes très poétiques et suffisamment explicites :
"Tu es la femme et Tu es l'homme. Tu es le jeune homme et la jeune vierge aussi. Tu es le vieil homme qui va chancelant, penché sur son bâton. Tu es né, Tes visages tournés vers tous les horizons.
Tu es le papillon d'un bleu profond et le perroquet vert aux yeux rouges. Tu es la nuée tonnante, les saisons et les océans. Tu es sans commencement, déployé au-delà du temps et de l'espace. Tu es Celui de qui tous les mondes sont nés." (IV–3 et 4)
Aux environs de 450-500 après J.-C., deux frères, philosophes, Asanga et Vasubandhu, laissèrent un grand nombre de traités. Ils s'inscrivaient dans la lignée du Vijnânavâda, qui allait devenir la doctrine dominante du bouddhisme dès le VIIe s. Pour eux donc, tout ce qui constitue le monde est illusion, mirage intellectuel. La matérialité, malgré sa densité apparente, n'est pas la réalité. "Nous disons que la matière est formée d'atomes ou que les êtres intelligents sont des personnes. Or atomes et personnes, c'est nous qui les posons par le fait que nous en avons l'idée. Grâce à notre perception, prend naissance un monde extérieur qui n'a pas de réalité […] C'est la connaissance elle-même qui apparaît comme objet" [6]. Ce point de vue, proche de l'Advaïta Vedanta, est audacieusement partagé par Thibault Damour (membre de la très officielle Académie des Sciences et médaille d'or du CNRS en 2017) pour qui la réalité est une projection de l'esprit.
Ce qu'est le monde, nous ne pouvons le savoir qu'en échappant au filtre du mental qui nous sépare de sa véritable nature. Bien avant qu'elle soit au centre de la pensée contemporaine, cette conception est donc présente dans des ouvrages très anciens comme le Yoga-Vasistha (entre VIe et XIIe s. après J.C.) Ces ouvrages sont unanimes : la vie mentale et l'univers n'existent que parce qu'on les perçoit. Seul existe l'espace de la pure conscience. C'est le sujet observant qui crée l'illusion d'être séparé de l'objet observé à qui il octroie ainsi une existence indépendante. Et c'est parce qu'ils sont pure conscience absolue que les objets qui constituent l'univers peuvent être manifestés en même temps que la conscience du Soi[7]. En un mot "Il n'y a qu'une existence qui comprend tout, mais cette existence unique apparaît comme multiple." [8]
Plan de groupe : Srî Aurobindo, Mère et Satprem
Mais venons-en à Aurobinfo Ghose qui deviendra Srî[9] Aurobindo. Indien né à Calcutta en 1872, après des études en Angleterre et des années d'activisme, indépendantiste, il s'installa à Pondichéry en avril 1910, décidé à élargir la quête pour la liberté de l'Inde à la quête pour la liberté de l'humanité. Initié au yoga et élève doué, il réalisa le silence mental très rapidement. On le connaissait comme journaliste ardent défenseur de son pays ; on le découvre éveillé[10]. Malgré sa discrétion, les foules sont séduites et, devant l'afflux de disciples, bien qu'adversaire de toute religion et de toute communauté dévote, il crée un ashram dans les années 20 qu'il considère comme un "laboratoire évolutif".
Constatant qu'en ces temps de crise, l'évolution de l'homme est loin d'être achevée, et persuadé qu'il est possible de hâter le processus de maturation psychique et spirituelle, il engage une démarche intérieure visant à accueillir la Force supramentale (énergie spirituelle localisée au-delà du mental ordinaire) et à la laisser agir afin de hâter la transition et rendre possible en conscience l'avènement d'une nouvelle espèce. "Les hommes devraient être les enfants du passé, les détenteurs du présent et les créateurs de l'avenir. Le passé est notre assise, le présent notre matériau et l'avenir notre objectif et notre sommet." [11]
Il se retire dans la solitude en décembre 1926 et remet la responsabilité de l'ashram à Mirra Alfassa, sa compagne spirituelle, appelée "Mère". Le français Bernard Enginger (rebaptisé Satprem – "celui qui aime vraiment"), indéfectible confident-témoin de Mère et auteur de plusieurs ouvrages remarquables, la rejoindra en 1953 et restera près d'elle durant presque 20 ans, notant quotidiennement les expériences intérieures de celle-ci.[12]
Arrêt sur image : une convergence signifiante
Les trois acteurs de cette révolution consistant à hâter l'évolution de l'homme, bien que de tempéraments très différents, s'adonnèrent sans restriction à une vie intellectuelle et spirituelle d'une intensité et d'une richesse hors du commun.
Ils n'auraient cependant pas leur place dans notre réflexion s'ils n'étaient pas les explorateurs et les précurseurs de cette conscience que les scientifiques du XXIe s. (souvent épris de philosophie) sont en train de (re)découvrir. Mais les uns et les autres, les Anciens et les Modernes en quelque sorte, sont reliés par l'objet même de leurs découvertes. Découvertes précieuses : aveugles, trompés par nos sens, vivant dans l'illusion (la Maya des Hindouistes), prisonniers de nos vieux conditionnements, nous tournons en rond comme des poissons dans un bocal, impuissants et réduits à rêver d'un au-delà illusoire. Et voilà que l'occasion nous est donnée de réaliser cette conscience que l'univers met à notre portée. La sortie du bocal devient envisageable…
Deux cheminements de nature différente voire opposés – l'un appartenant au domaine de la physique (science exacte) l'autre plutôt de la psychologie (science humaine) – convergent vers un champ commun : la métaphysique.
Au vu de leurs âges respectifs[13], les trois chercheurs fixés en Inde pouvaient avoir connaissance des débuts de la mécanique quantique, née vers 1925. Si c'est le cas ils n'y accordèrent pas d'attention particulière car leur démarche empruntait la voie empirique de l'intériorisation, de l'intuition, et non celle rationnelle, constellée de formules savantes et d'équations compliquées. Deux voies abruptes, certes, avec des vertiges bien différents, pour atteindre des sommets assez semblables.
Quand on écoute leurs propos on constate que les scientifiques actuels entrevoient fort bien les perspectives d'avenir auxquelles leurs découvertes pourraient mener.
Seulement, le contrôle de la gravité, des champs électromagnétiques (pouvant offrir, on le sait, une énergie illimitée) ne relèveront pas de leurs seules compétences techniques mais aussi de leur niveau de conscience. Aussi étrange que cela paraisse, sans cette transmutation de l'être, l'environnement ne se laissera pas conquérir pacifiquement. Les chaînes qui, à différents niveaux (surtout mental) entravent encore l'humanité actuelles devront en effet être rompues et ne pourront l'être que par la conscience qui "…n'est pas une façon de penser ou de sentir […] mais un pouvoir d'entrer en contact avec la multitude des degrés de l'existence, visibles ou invisibles."[14]
Si, entre les deux époques, le vocabulaire a changé, le principe de la transformation demeure le même : une Force supramentale descend, transmute le mental, le vital (émotions, sentiments, instinct), le corps et ses cellules. Les effets s'ensuivent, prodigieux : "Quand il a pris contact avec ce courant de conscience-force en lui, [le chercheur] peut se brancher sur n'importe quel niveau de l'universelle réalité […] parce que c'est partout le même courant de conscience avec des modalité vibratoires différentes […] La Matière est de l'Énergie condensée. Il nous reste à découvrir pratiquement que cette Énergie ou cette Force est une Conscience, et que la Matière, elle aussi, est une forme de conscience…"[15]
Travelling avant : la démarche de Srî Aurobindo et de Mère
Pourquoi ces années d'un travail dispensé par Srî Aurobindo puis Mère ? Non dans un but personnel mais pour accélérer le processus évolutif de la Terre. Pas en s'élevant vers un 7e paradis, mais en s'enfonçant dans les couches les plus denses de la matière pour les éclairer : "…le vrai changement de conscience dit la Mère, est celui qui changera les conditions physiques du monde et en fera une création nouvelle." [16] Mère et son guide n'ont jamais été dupes : ils savaient que les ailes ne poussent pas sur le dos d'un reptile en l'espace de quelques années. La prochaine métamorphose peut prendre des siècles, voire plus, pour qu'un être supramental achevé se manifeste. Leur objectif était d'aboutir au moins à un chainon intermédiaire, une créature de transition dont le pouvoir et l'énergie engendreraient un être accompli.
Restait à voir comment cette transformation gagnerait tout le genre humain, car à quoi bon un seul homme supraconscient ? En attendant, ils avaient fait le premier pas et, par le travail intérieur accompli, avaient accéléré le mouvement très lent de l'évolution naturelle. Le 29 février 1956, Mère déclarait : "Ce soir, la Présence Divine était là, présente parmi vous, concrète et matérielle." Et de raconter l'expérience intérieure par laquelle lui fut transmis cette phrase : "le temps est venu". Et d'achever le récit de sa vision : "Alors la lumière, la force et la conscience supramentales se répandirent en flots ininterrompus sur la terre." [17]
La démarche de Srî Aurobindo était partie d'un constat : "Tout notre corps est enfermé dans une espèce de prison faite de lois, d’habitudes implacables qui se sont emparées de nous dès notre naissance. Le courant circule un peu dans les premières années de notre jeunesse ; puis, très vite, toutes sortes de lois médicales, physiques, philosophiques, mentales produisent l’encroûtement : on se sclérose de plus en plus, et l’on meurt". [18] Mais il était persuadé que nous avons le pouvoir d'intervenir pour sortir de ce piège. Pour lui, le levier c'était la conscience-force. Le processus est entièrement intérieur et se met en place hors du temps et de l'espace.
Il s'agit d'intervenir sur chacune de nos cellules pour les délivrer de leurs conditionnements, les habitudes de la nature inférieure pouvant être changées par l'esprit. Et c'est par un changement de conscience que l'évolution du corps aura lieu. "… c'est la conscience elle-même qui, par sa propre mutation, imposera et opérera toute mutation nécessaire au corps." [19]
Durant ses 14 années de solitude il va accroître l'intensité de ses expériences. Celles-ci, devant mener à la transformation, sont tâtonnantes mais d'une puissance effrayante, le corps se mettant parfois à "bouillonner… comme une chaudière qui va éclater".[20] Comment passer de ce vieux corps au nouveau sans secousses sismiques ? La tâche a quelque chose de surhumain mais la motivation est sous-tendue par la volonté de faire émerger une race aussi nouvelle que celle des reptiles nés des poissons ou celle de l'Homo sapiens après celle des primates.
Hors-champ : à quoi ressemblerait cet homme nouveau ?
"Si cette conscience était réellement dégagée dans un corps humain, elle pourrait transformer la matière de ce corps, la modeler, la doter de qualités et de pouvoirs insoupçonnés de l’humanité actuelle. C’est cela, la matière de l’espèce nouvelle…" [21]
Peut-on imaginer à quoi ressemblerait ce nouvel homme ? C'est Mère surtout qui transmit quelques informations. Il ne fallait surtout pas voir notre descendant potentiel, dit-elle en substance, comme un prolongement plus évolué de ce que nous sommes actuellement. Le prochain homme ne sera pas augmenté – comme l'imaginent actuellement les tranhumanistes… On ne fait pas du nouveau avec de l'ancien. Oublions donc un super-humain avec une super-intelligence, de super-pouvoirs, capable d'un super-altruisme, etc. "Le supramental est au-delà de l'homme mental et de ses limites." [22] Tout cela est d'une logique imparable : par définition le mental ne peut pas "diviniser" l'homme ; il est instrument de division et son pouvoir repose sur la force – souvent violente – exercée dans tous les domaines : moral, religieux, psychologique, économique, politique… Il devra donc changer intégralement de nature mais également, avec lui, le vital et le physique.
A quoi ressemblera-t-il, ce nouvel homme ? Ses organes auront réintégré le niveau vibratoire originel qu'ils possèdent actuellement au plan subtil. Ils seront donc les sièges d'énergies mues par la volonté consciente. Le cerveau sera un canal permettant d'échanger directement des pensées ; de la même manière le cœur émettra directement des sentiments. Bref, nos centres d'énergie (les chakra indiens) animeront ce nouveau corps sans qu'il soit soumis aux besoins physiques actuels – nourriture, etc. La forme perdurera mais sera devenue beaucoup plus fluide, mobile, légère. Nous ne serons plus des esprits affublés d'un corps encombrant mais des esprits dans un corps vraiment vivant, animé par la conscience. Les objets technologiques et autres, dont nous sommes esclaves, n'auront plus lieu d'être. Notre milieu extérieur sera le produit vibratoire de notre état intérieur.
La question qui se pose est ensuite de savoir si cette évolution vers un homme d'après l'homme se fera avec ou sans nous… Si nous nous engageons dans un processus de transformation aussi radical que celui qui insuffla la vie dans la matière puis le mental dans la vie, nous nous plaçons devant un choix crucial : soit nous patientons, sachant que la nature n'est pas pressée et qu'elle est insensible quant aux moyens de transmutation souvent brutaux ; soit nous nous faisons les "collaborateurs conscients de notre propre évolution"[23]
Zoom avant : et nous, là, maintenant ?
Quoi qu'il en soit le changement se fera, même si on ne s'improvise pas Srî Aurobindo ou Mère du jour au lendemain.
La situation de la planète ne semble pas nous laisser le choix… L'état actuel de notre monde aurait sans doute inspiré Satprem qui, le 17 juin 1977, disait à Jean Biès : "Il se passe des choses qu’on n’explique pas ; ça prend des allures extravagantes selon les consciences, selon les pays ; mais il y a partout quelque chose qui est en train de traverser la vieille croûte terrestre. C’est ce que nous commençons de vivre : pas seulement la démolition de l’ancien, mais quelque chose de très nouveau qui est en train de naître, une conscience nouvelle traversant les débris des vieilles structures. Cela se traduit par toutes sortes d’aberrations, des drogues, des Églises, des sectes. Une perception nouvelle essaie de frayer son chemin. Tout le monde attend autre chose, sous une forme ou sous une autre."
Nombre de personnes engagées – dont beaucoup de jeunes – donnent actuellement raison à Satprem. On sait que Mère fut à l'origine d'Auroville, "ville de l'aurore", classée au patrimoine de l'UNESCO et créée à environ 10km de Pondichéry en 1968, avec pour fonction de concentrer "une vie communautaire universelle, où hommes et femmes apprendraient à vivre en paix, dans une parfaite harmonie, au-delà de toutes croyances, opinions politiques et nationalités" (Mère). Depuis plusieurs années, ce concept inspire certaines des communautés actuelles comme les écovillages qui se créent un peu partout dans le monde et dont l'objectif, bien que non ouvertement spirituel, est de mettre en actes un idéal de vie supérieur à celui qui, partout ailleurs, ne répond plus aux aspirations fondamentales du vivant.
Mais il ne suffit pas de vivre en groupe pour améliorer le monde. "Nous nous tromperions si nous pensions que le but de tout cela, c’est un super-collectivisme meilleur, une super-religion meilleure, un super-humanisme meilleur." Il ne s'agit pas de bâtir des villes nouvelles mais de "bâtir des hommes, ce quelque chose qui fera de nous des être réellement pleins." [24]
Ce que pourrait être cette évolution nous est suggéré par un modèle, un système théorique élaboré par Clare W. Graves (1914 – 1986) : la Spirale dynamique, définissant huit stades par lesquels l'humain doit passer pour atteindre la maturité spirituelle. Ce schéma, évoque suffisamment le Yoga intégral de Srî Aurobindo pour que Ken Wilber[25] s'y réfère lorsqu'il met en place la théorie selon laquelle la seule transformation qui pourra changer le monde et lui éviter de courir à sa perte, sera de nature spirituelle et non "religieuse". L'être religieux, quelle que soit son obédience, considère le monde en fonction de ses croyances, vit horizontalement et ne modifie pas radicalement son être profond par un retournement du type "éveil". Or l'éveil, sans être une fin en soi, est la marque indéniable d'une maturation, verticale, elle, et seule capable de réaliser la transformation du monde et de la société. Cette spiritualité de conversion "est révolutionnaire. Elle n’offre aucune légitimité au monde, elle le fracasse ; elle ne console pas le monde, elle le pulvérise. Elle ne satisfait pas le moi, elle le défait." [26]
La Spirale dynamique se présente ainsi : elle est composée de deux cycles, le premier comptant six niveaux concernant les humains "ordinaires" ; et le second deux niveaux intégrant les êtres dont la conscience est éveillée. Nous ne serons pas étonnés de constater que les individus ayant réalisé l'ultime 8e état (ultime pour C. Graves) vivent l'existence d'autrui et du réel comme interdépendantes.
Notons pour terminer que la transformation de notre réalité, issue d'une transmutation globale de notre conscience, pourrait être extrêmement rapide, voire instantanée car le monde de la conscience échappe au temps physique…[27]
Fondu au blanc : un espoir possible
Il est évident que les solutions proposées par tous les pouvoirs (économiques, politiques, religieux…) sont des impostures ou des aveux d'impuissance. Passé et présent historiques témoignent de leur faillite. Il est donc plus que temps de s'extraire de toutes les idéologies, de toutes les doctrines en nous changeant nous-mêmes pour que la Nature ne puisse plus nous asséner cette vérité : "La vie que vous menez cache la lumière que vous êtes" (tiré du poème Savitri de Srî Aurobindo)
Des titans de l'esprit nous ont parlé ; d'autres, tout aussi éclairés et bien vivants, prennent le relai. Leurs voix nous montrent la voie intérieure, hors piste mais pas secrète, la seule d'après eux pouvant mener à des résultats décisifs. Bien sûr, il y a les sceptiques, mais au diable les sceptiques dont le Rig-Veda disait déjà : "En ceux-là la Merveille n'est point, ni la Puissance"[28] !
Il semblerait bien qu'émergent de nos jours de plus en plus d'aventuriers de l'esprit dont les descendants diront peut-être, avec Mark Twain : " Ils ne savaient pas que c'était impossible, alors ils l'ont fait."
Pour peu que nous en venions à attribuer au monde intérieur (le monde spirituel de la conscience) la même attention que nous avons jusque-là accordée au monde extérieur (celui de l'avoir et du confort matériel et moral), nous aurons participé à l'émergence de ce processus de transformation d'où surgira peut-être une espèce nouvelle et libérée, celle de "l'homme après l'homme"…
Gérard Duc
[1] "D’après une étude publiée en juin 2013 dans Science Advances, le taux d’extinction des espèces pourrait être 100 fois plus élevé que lors des précédentes extinctions massives – et encore, ne sont pris en compte que les animaux dont nous avons une bonne connaissance." (Elizabeth Kolbert) Son livre, La Sixième Extinction, a remporté le Prix Pulitzer de l'Essai en 2015.
https://www.nationalgeographic.fr/environnement/la-sixieme-extinction-massive-deja-commencéee
[2] Auteur de La Plénitude de l'Univers, éd, du Rocher, 2005.
[3] "Il a reçu en 2010 le prestigieux prix Best Paper Award dans le domaine de la physique, la mécanique quantique, la relativité, la théorie des champs, et la gravitation, à l’Université de Liège […] grâce à sa publication, Le Proton Schwarzschild, qui donne les bases de ce qui pourrait être un changement fondamental dans notre compréhension actuelle de la physique et de la conscience." https://www.cielterrefc.fr/exterieurs/la-planete-et-lunivers/sciences-et-au-dela/theorie-holofractographique-theorie-du-champ-unifie-de-nassim-haramein/
[4] Nassim Haramein, entretien avec Myriam Gablier, http://ressources-plurielles.com/conscience-coeur-univers-nassim-haramein/
[5] Longueur ultime, plus petite distance entre deux points de l'univers, soit environ 10-33 cm = 0,000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 001 cm
[6] Mahâyâna-sûtrâlamkâra. Cité par J.-M. Vivenza dans Tout est conscience, Une voie d'éveil bouddhiste", Albin Michel, Spiritualités vivantes, 2010, ch. Principes théoriques du Yogâcâra, I. Le "rien que l'esprit".
[7] Le Soi est notre véritable identité, présence de l'Être suprême en nous.
[8] Swâmi Vivekânanda (1803-1902), L'homme réel et l'Homme apparent, conférence traduite de l'anglais pat J. Herbert, Union des imprimeurs, Frameries, 1936)
[9] Srî (prononcer Shri) est une marque de respect, de dévotion – un peu comme en français "Père"…
[10] Un être "éveillé", (contexte hindouiste et bouddhiste surtout), désigne un être libéré de l'ego, possédant une conscience élargie et ayant accès à tous les plans subtils de l'existence.
[12] Ces notes formeront l'Agenda de Mère, en 13 volumes que Satprem fera éditer en 1973.
[13] Srî Aurobindo 15 août 1872 - 5 décembre 1950 ; Mère 21 février 1878 – 17 novembre 1973 ; Satprem 30 octobre 1923 – 9 avril 2017
[14] Satprem : Srî Aurobindo ou l'Aventure de la Conscience, Buchet/Chastel, 1970, p. 73
[15] Ibid. p. 75
[16] Ibid. p. 208
[17] Agenda de Mère, 29 février 1956 (Pendant la méditation en commun du mercredi)
[18] Témoignage de Satprem recueilli par Jean Bies
https://blogeditionsbanyan.wordpress.com/2015/08/12/jean-bies-rencontre-satprem/
[19] Satprem op. cit. p. 354
[20] Mère citée par Satprem, op. cit., p. 368
[21]Témoignage de Satprem recueilli par Jean Bies, voir note 18
[22] Satprem, op. cit., p. 344
[23] Srî Aurobindo cité par Satprem, op. cit., p. 344
[24] Témoignage de Satprem recueilli par Jean Bies
https://blogeditionsbanyan.wordpress.com/2015/08/12/jean-bies-rencontre-satprem/
[25] Célèbre en Amérique, peu traduit en France, cet auteur prolifique réalise une synthèse des philosophies orientales et occidentales. Vision spirituelle du monde.
[26] Ken Wilber, interview, https://www.meditationfrance.com/archive/2006/0705.htm
[27] Voir article de P. Guillemant The cybernetical time, http://www.guillemant.net/pdf/Le_temps_cybernetique.pdf
[28] Cité par Satprem, op. cit., p. 353
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