Rencontre sur le Mékong

mercredi 27 février 2013

YOGA ET SEXE - Interactions



Passer sous silence l'influence que le sexe exerce dans la pratique intensive du yoga est une aberration

Le sexe est le moteur du monde. Facteur d'équilibre ou de déséquilibre, aide ou obstacle, tout dépend du rôle qu'on lui fait jouer.




Le rôle de la vie sexuelle varie suivant le contexte dans lequel est placé l'individu. Si bien qu'en parler sans tenir compte dudit contexte conduit à des généralités dont l'intérêt, pour réel qu'il soit, n'aurait que peu de rapport avec notre blog. C'est pourquoi nous limiterons nos considérations au domaine du yoga. La sexualité y joue un rôle extrêmement important, même s'il est assez rare que cet aspect soit abordé. Pourtant, faire comme si la pratique du yoga pouvait exister en-dehors de cette réalité essentielle est une réelle aberration.

Nous avons choisi de délimiter le champ de nos réflexions en reprenant le cadre intéressant pour lequel Dennis Boyes optait dans son ouvrage Le yoga le couple et la société (Dervy-Livres, 1988). Il distinguait trois situations évolutives :

le don-juanisme,
le couple,
la solitude

Ces trois situations peuvent être chronologiques :
la jeunesse expérimente son pouvoir de séduction,
la maturité aboutit souvent à une vie en couple
et la vieillesse implique plus ou moins la solitude.

Vues dans cette succession, ces trois états ne sont pas sans rapport avec les quatre âshrama (stades de la vie) hindouistes (voir article de ce blog traitant ce sujet). Mais ils peuvent aussi ne pas s'inscrire dans une telle continuité : la vie de couple n'est pas inévitable et il existe des vieillards continuant à fonctionner comme des Don Juan. De même, surtout dans le domaine du yoga vécu comme quête spirituelle, la "solitude" peut intervenir bien avant l'âge de la "retraite". Dans tous les cas, les trois états en question "correspondent à des degrés d'éclaircissement et de liquidation des problèmes psychologiques" (Dennis Boyes). Ces problèmes sont en étroite liaison avec la sexualité.

L'ordre d'apparition de ces trois états ne change rien à leur implication sur le plan sexuel, sachant que le plus crucial, celui qui concerne le yogi le plus avancé comme le chercheur à mi-temps, est celui de la solitude. En effet celle-ci s'impose vite à qui se livre à un travail sur soi, comme on dit, y compris dans le cadre d'un couple… Et, comme nous le verrons, ce n'est pas sans poser des problèmes certes surmontables mais souvent délicats…

Le don-juanisme

Le donjuanisme révèle une incapacité : passer du stade esthétique au stade éthique de la relation ; il témoigne aussi de la peur de s'engager, d'aller au-delà d'un certain niveau de communication avec le (ou la) partenaire. Nous n'irons guère plus avant dans l'analyse de cet état, sachant que ses caractéristiques ne présentent pas un contexte favorable au pratiquant de yoga, sauf si celui-ci est suffisamment vigilant, conscient, pour laisser le "Témoin" de Patanjali, ( = Conscience supérieure, non affectée par les vicissitudes affectives, et qui observe de façon neutre, juste et impitoyable) s'exprimer en lui et mettre un terme aux conquêtes incessantes de nature névrotique. Il y a en effet un moyen-terme entre la démarche du jeune-homme qui a besoin d'expérimenter, d'apprendre et ce celui qui, en proie à une forme d'addiction, bascule dans la réitération incessante de conquêtes éphémères.
Notons au passage que certains professeurs de yoga – ce qui est pour le moins inadéquat avec ce choix de vie – tirent parti de l'éventuel prestige qu'ils exercent sur leurs élèves pour les séduire sexuellement. Autant dire qu'ils sont en pleine déviance et que leur démarche est devenue pour eux non pas un chemin d'éveil mais le moyen de compenser les peurs qu'ils nourrissent (nous y reviendrons). Sans compter que le don-juanisme, excluant toute recherche de communion (voire de communication) avec l'autre alors réifié, on ne voit guère comment cette attitude pourrait être compatible avec le yoga, dont l'étymologie du mot et le sens qu'il recouvre supposent une mise en relation étroite et profonde avec autrui.

La vie de couple

La vie à deux exige une plus grande maturité. Elle peut révéler des problèmes passés inaperçus dans le don-juanisme mais protège contre ceux, liés au besoin affectif, à la sexualité, qui apparaîtraient si l'individu vivait seul.

Deux cas de figure fréquents (le second surtout) se présentent alors.

Soit la recherche de communication va l'emporter, la découverte des identités de chacun, la quête d'une relation évolutive, la compréhension mutuelle, l'ouverture à l'autre dans le développement de soi.

Soit une divergence apparaît et tout se complique alors. Cette situation fréquente surgit lorsqu'un des deux conjoints n'adhère pas à la démarche yogique de l'autre, et parfois-même s'y oppose, se sentant délaissé, voire abandonné et même trahi… L'un des deux partenaires cherche alors la rupture. Cette rupture n'est pas, loin de là, le fait de l'"exclu". Elle est souvent provoquée par celle ou celui dont la recherche de nature spirituelle est devenue une priorité nécessaire à son existence. Sans même qu'il nourrisse de rancœur particulière face à l'incompréhension éventuelle de l'autre, le chercheur ne se sent plus en phase, et l'espace du couple ne produit plus l'intimité nécessaire à son existence. La relation se distend, parfois jusqu'à la rupture sexuelle, en tout cas sur le plan de la connivence affective. Frustrations réciproques (de nature différente), insatisfaction croissante, impossibilité d'entrer dans un mode de vie pleinement épanouissant, chacun s'éloigne de plus en plus de son partenaire.

Le chercheur peut même réaliser que l'union initiale avec son conjoint ne tenait pas à une affinité saine mais à des pulsions plus ou moins névrotiques, à des projections de l'ordre du fantasme. Il vit cette découverte comme un réveil brutal – ce qu'il est parfois. Ce réveil, pour douloureux qu'il soit, représente une étape importante sur la voie de l'accomplissement. Un choix s'impose à l'homme ou à la femme concernés : poursuivre tant bien que mal (plutôt mal d'ailleurs) cette vie de couple qui n'est plus une vie de couple, ou assumer la rupture nécessaire à son évolution spirituelle.
L'acceptation mutuelle des opinions de l'autre ne suffit pas à une véritable vie de couple. En effet, respecter, tolérer, n'empêche pas de rester isolé dans son coin sans qu'il y ait communication. Or, dans ce type d'"entente cordiale" les non-dits se multiplient et risquent, à l'occasion de la moindre étincelle, de s'exprimer sous forme d'une explosion funeste.

Il arrive que les partenaires abordent verbalement cette situation et, réussissant à prendre la mesure de leurs exigences individuelles, trouvent le moyen d'enrichir réciproquement leur propre prise de conscience dans l'acceptation des demande de l'autre. Les attentes, les stratégies de défense, les peurs sont dévoilées et la vie commune, dont les données sont redéfinies, devient non seulement possible mais gratifiante. On l'aura compris, cette démarche suppose une écoute intense, une grande ouverture d'esprit et le courage d'affronter névroses, fantasmes, projections de toutes sortes pour accéder à une transparence dans laquelle chacun pourra évoluer comme il l'entend, sans que l'autre représente une entrave.

La vie solitaire

La vie solitaire contraint à affronter seul ses problèmes. Éviter d'en être la victime suppose une compréhension de soi poussée, une découverte des compensations[1]. Sans cette découverte, les difficultés qu'on fuit inconsciemment demeurent invisibles et peuvent se solder par la dépression et diverses névroses – voire pire. Cette destruction des compensations suppose maturité et objectivité. C'est pourquoi thérapeutes et yogi préconisent l'aide d'un psychanalyste ou d'un gourou.

Assurer seul ce cheminement, rendre possible cette éclosion d'un nouvel état est possible. Mais il convient de faire apparaître en soi au premier plan le "Maître intérieur" (le "Témoin" de Patanjali – voir plus haut), guidant le "disciple intérieur" (= ce qui apparaît à la conscience : états physique, affectif, mental).
Si un déblocage, un surgissement affectif apparaissent et que le Maître intérieur n'a pas la lucidité requise, le chercheur, (n'étant plus à l'abri des structures affectives, sociales ou autres), rejetant les compensations sécurisantes ce qui, en soit est une démarche positive, se trouve en déséquilibre, perd toute sérénité, ne peut plus méditer correctement, éprouve de la peine non seulement à vivre sa quête mais aussi à vivre dans le monde extérieur.

La décompensation (voir la note de bas de page) est une crise salutaire mais présente des risques. Prendre conscience des garde-fous (culturels, mentaux, etc.) mis en place pour ne pas souffrir, pulvériser les protections, contraint à regarder en face le néant de tout ce à quoi on se raccrochait : lecture, art, philosophie, politique, etc. Autant dire que tout ce qui sous-tendait l'existence peut être réduit à rien, ressenti comme un non-sens absolu. Il s'agit alors d'accepter cette évidence sans basculer dans le désespoir. Tuer les compensations en les rendant visibles est donc une mort salutaire mais encore faut-il disposer des ressources psychiques suffisantes pour la traverser et s'acheminer vers la Libération.

Si les "barrières de sécurité" que sont les compensations ont été effacées, surgissent ensuite d'autres obstacles constitués de peurs et de désirs. L'acquis (éducation, culture…) ayant perdu son ancrage, ce qui constitue notre sous-sol immuable monte alors à la surface : l'éros, la libido qui structure le moi, la sexualité inhérente à toute créature vivante. Le chercheur déjà ébranlé par l'effacement des certitudes d'ordre intellectuel, confère à cette dimension animale de l'humain (ce n'est pas péjoratif) une immuabilité sur laquelle il pense  pouvoir se reposer – alors que cette immuabilité n'est pas immuabilité en soi. C'est le mental qui la juge telle afin de trouver son compte de satisfactions, de plaisir, de sécurité.
Cette croyance a pour risque conjoint la débauche et toutes ses variantes parfois extrêmes (viol, exhibitionnisme et pire). Constatons ce paradoxe : plus le chercheur veut aller vers l'équilibre intérieur et la sagesse, plus il frôle le déséquilibre et la folie[2]. S'en sortira le disciple vigilant, lucide et refusant d'entrer dans ce jeu de conflits pouvant le conduire à la schizophrénie.
Il est fréquent de constater, qu'arrivé à ce moment de sa vie, le solitaire, s'il est fragile, se jugeant dorénavant incapable de séduire, inutile à son entourage, victime de sa déprime, vise une reconnaissance sociale en s'identifiant à un groupe (politique, culturel ou autre) pour se valoriser. Appartiennent à cette catégorie les pseudo-gourous, auto-proclamés "grands maîtres" d'une secte dans laquelle, par le pouvoir exercé sur autrui, leur ego trouve ce qui est nécessaire à sa survie.

Enfin, troisième moment de ce stade, le principe du plaisir (motivation première des compensations), alternant avec la pratique méditative de l'adepte, perd peu à peu de sa consistance. Il ne sécurise plus. L'angoisse croît et l'énergie, non encore suffisamment orientée vers la réalisation du Soi, s'exprime de plus en plus dans l'activité sexuelle quelle qu'en soit la forme – forme d'autant plus déviante que la vie de couple n'existe pas.
La reconnaissance par le disciple de ce processus devrait l'en libérer, à condition que la sexualité perde son pouvoir sécuritaire, ne soit plus un besoin mental incontrôlable dans lequel l'adepte se perd et reste séparé du but visé. Mettre fin à cette situation suppose que le "Témoin" perce à jour ce conflit sans s'y engager lui-même. Si c'est le cas, le conflit s'épuise en même temps que les pulsions, les peurs qui surgissent à chaque crise de "déblaiement".

Notons au passage que le tantrisme intègre des pratiques sexuelles qui peuvent heurter la morale, le but étant de briser les protections de l'ego. Inutile de préciser que la voie est périlleuse et demande beaucoup d'honnêteté et de courage.
Quoi qu'il en soit, si le cheminement se fait (mise à mort des vasana, des samskara, des vritti), le chercheur accède à la perception juste de la réalité. Son regard n'est plus voilé par les vritti – émanations latentes de la conscience. Ses actes ne relèvent plus de l'ego dont il est enfin libéré.

Que penser de tout cela ?

Chacun reste libre de penser de cela ce qu'il veut, évidemment ! Ce qui nous apparaît important est, qu'avant de se lancer dans une sâdhanâ (pratique à laquelle on se consacre intensivement), il convient de bien prendre la mesure des implications diverses et, en particulier celles qui, inévitablement, se manifestent tôt ou tard sur le plan de la vie sexuelle, que cette vie soit solitaire ou en couple. Il ne faut pas sous-estimer cette dimension qui prend de plus en plus d'ampleur chez un adepte à mesure que sa pratique yogique – si elle est intense – se poursuit.
L'énergie qu'un yoga, même exclusivement physique, développe, s'exprime avant tout dans le champ sexuel. Les pratiquants non-avertis qui s'impliquent corps et âme, risquent de se trouver pris au piège de pulsions dont ils ne savent quoi faire.
Il est déterminant d'orienter cette énergie dans le champ spirituel, sans quoi on aboutit à des déviances ou à des déséquilibres mentaux dont l'adepte mais aussi l'environnement font les frais. Notons toutefois que ce danger ne menace pas les personnes qui pratiquent le yoga de façon annexe, ponctuelle, même plusieurs fois par semaine.

Note complémentaire
En Inde, kâma représente le désir, plus particulièrement le désir et le plaisir amoureux. Dans la mythologie, le dieu Amour, Kâma, est la source de la création. Les Kâmasutra exposent les moyens d'exalter les sens pour un épanouissement de la vie du couple. L'homme et la femme s'unissent et recréent l'unité divine. Le plaisir est dirigé dans le but de la connaissance et ne devient pas une addiction qui conduirait à accomplir des actes immoraux ou adharmiques - contraires au dharma.

                                                                                                                        GD



[1] Compensation psychique : "Mécanisme d'auto-défense normal du Moi qui se traduit par la recherche d'une satisfaction (ou d'une affirmation) dans un domaine où celle-ci est accessible, et uniquement pour contrebalancer une insatisfaction ou un échec réel ou ressenti dans un autre domaine. Les effets de la frustration sont, de ce fait, évités partiellement." (Dictionnaire de psychologie – Dicopsy.com)
"Dans le domaine psychique, la décompensation est une crise qui marque l'effondrement des mécanismes de défense névrotiques habituels d'un sujet confronté à une situation affective nouvelle et insupportable. La déficience psychique originelle du sujet se manifeste alors d'une façon aiguë. La fragilité du moi, les effets des carences affectives et, même, les tendances psychotiques se réactivent.
Sur le plan clinique la décompensation peut prendre le visage d'une phobie, d'un épisode confusionnel, d'une bouffée délirante, ou bien d'une somatisation. Cette symptomatologie est la plupart du temps transitoire. Cependant une décompensation névrotique peut révéler une pathologie sous-jacente plus grave et représenter un mode d'entrée dans la psychose ou toute autre psychopathie chronique. Le rôle de l'entourage et l'importance d'une prise en charge thérapeutique sont primordiaux." (www.relation-aide.com)
[2] Cf. l'image du nénuphar dont l'épanouissement de la fleur exige la boue des racines…

dimanche 24 février 2013

MOUTON OU REBELLE ? Qui êtes-vous ?


Se laisser vivre ou inventer sa vie ? Se laisser porter par le courant ambiant ou ramer à contre-courant ?

Quel genre de personne suis-je, et qui suis-je par rapport aux autres ? Notre conscience devient ce dont elle se nourrit. Et la qualité de notre identité dépend des choix dont nous restons toujours les maîtres...




Tout seul sur une île déserte, comment saurais-je qui je suis vraiment ?
J'ai besoin d'autrui pour savoir qui je suis. Parce que j'interagis avec mon environnement et que les réactions des autres à mon égard, et aussi mes réactions à l'égard des autres, m'offrent des éléments d'appréciation concernant mon comportement et ce qui le sous-tend – à savoir ce qui me constitue profondément, ce qui est ma nature réelle.

Cette nature ne m'est pas imposée. Bien sûr, il y a l'hérédité, tous les conditionnements subis dans ma prime jeunesse surtout (environnement familial, social, scolaire, etc.) mais je reste le pilote et, même si certaines limites me sont imposées, je peux choisir de monter ou de descendre, d'infléchir ma trajectoire, modifier l'orientation prise. Une liberté demeure.

Par rapport à autrui, j'ai donc le choix de me comporter comme ceci ou comme cela, de devenir ceci ou cela.

Nous allons déterminer les comportements possibles de façon binaire. Ce sera sans doute un peu simplificateur mais aura le mérite d'être clair.
Sur le chemin de la vie, un peu comme le petit chaperon rouge, nous sommes souvent amenés à choisir entre deux voies qui se présentent.
L'une est la plus fréquemment empruntée. Elle est large, plane, bref elle est plus facile donc plus attirante. La plupart des voyageurs la choisissent. Nous sommes au vint-et-unième siècle : c'est une autoroute.
L'autre est moins fréquentée : elle monte, elle est plus étroite, demande des efforts, elle est donc moins séduisante et, partant, peu fréquentée. Nous sommes au vint-et-unième siècle et pourtant c'est un sentier.

Traduction : dans nos comportements individuels et dans nos relations avec autrui nous pouvons agir comme la majorité ou bien, pour les raisons que nous verrons, opter pour une manière de faire – donc, forcément, une manière d'être beaucoup moins répandue. Êtes-vous un mouton ou un rebelle ? A vous de voir…

MOI dans le monde – mon identité.


1/ L'autoroute fréquentée : "vivre perso"… de façon étriquée, repliée, étrécie.
L'homme unidimensionnel
En d'autres termes, c'est vivre au niveau du corps et des émotions – pas au-delà. Je vise surtout à satisfaire mes besoins, à accomplir les désirs imposés par mes pulsions : possession, amplification compulsive de l'avoir, consommation à tous les niveaux. Je constitue un excellent client pour tout ce que l'économie de marché me propose et à laquelle je contribue par mon travail. Je ne me casse pas la tête avec des problèmes existentiels et vais là où le vent du confort et du système D me poussent. Je suis un efficace qui veut recueillir vite ce qu'il a semé (investi) afin d'accroître ses revenus – financiers, sentimentaux - c'est pratiquement la même chose. Quelques-unes de mes expressions favorites : "Aller de l'avant ; j'en veux ; faut se bouger ; je l'aurai ; on n'a qu'une vie, hop hop faut qu'ça roule ; combien ?"

1bis/ Le sentier délaissé : recherche incessante d'ouverture sur mes différents plans. L'homme multidimentionnel
J'ai conscience de posséder plusieurs plans d'existence (physique, mental, émotionnel, spirituel…) et m'efforce de les développer de façon harmonieuse. Je cultive cette conscience par laquelle je puis accéder à d'autres plans plus verticaux qu'horizondaux. Je vais en profondeur, j'explore, ne suis pas un boulimique de la possession, vise plus la qualité de l'être que la quantité de l'avoir. Actif mais pas hyperactif, je sais marquer des pauses, rentrer en moi-même, débusquer mes travers, solliciter des ressources intérieures autres qu'exclusivement intellectuelles.



2/ L'autoroute fréquentée : vive la variété, la multiplication des expériences sensuelles ! L'homme morcelé et extraverti.
Morcelé et protéiforme : je me fais caméléon pour pouvoir fouiner partout sans être ennuyé, me déguise pour expérimenter ce qui me séduit, goûte à tous les plats savoureux que les circonstances me proposent. Je m'éclate – et le mot dit bien cette tendance à me morceler, cette quête incessamment renouvelée, cette profusion multiforme dans laquelle je me complais. Je mets toute mon énergie à vivre de façon centripète, zappe sans cesse, picore à gauche et à droite dans une frénétique volonté de ne rien laisser passer. Je consomme à outrance des biens matériels ou, si je suis un intellectuel, des connaissances, des livres, des théories (l'une remplaçant l'autre, au gré des découvertes). J'adore la fréquentation des gens, bavarder avec tout le monde, multiplie les relations, en change sans cesse, prends, laisse, vise à séduire mon entourage quel qu'il soit, ne peut rester seul sans être en état de manque, se solitude insupportable.

2 bis/ Le sentier délaissé : recentrage, recherche d'autonomie et d'indépendance, de stabilité intérieure. L'homme unifié et intérieur.
L'observation de ce qui m'entoure, avec la prise de distance critique que cela suppose, est mise à profit pour un retournement par lequel je vise d'abord à me connaître mieux. Réalisant que le mental est avide de changement, je ramène sans cesse ma conscience à un point central, me glisse dans la position du "témoin" (cf. Patanjali), oriente le plus souvent possible mon attention vers le "point-source" afin de mettre fin aux fluctuations mentales qui m'agitent et me perturbent (cf. "yoga chitta vritti nirodha"). Bien que sociable, je vis des relations de qualité, fuyant le plus possible les mondanité superficielles et m'attache à établir des liens profonds plutôt que de jacasser sans cesse. C'est pourquoi la solitude est pour moi une nécessité. Elle m'aide à "me rassembler", à "me recentrer".

LE MONDE et moi ; la place des autres


3/ L'autoroute fréquentée : l'évasion, la fuite dans le virtuel, les attentes incessantes. La négation des autres. L'homme aveuglé.
Au "vrai monde" je substitue un monde imaginaire, répondant à mes désirs de plus grande jouissance. Bien qu'adulte, je considère la vie comme un jeu video : il y a les "amis" (aussi peu réels que ceux de Facebook) et les ennemis à abattre. Mon entourage est en effet composé de deux types d'individus : ceux qui collaborent avec moi et les concurrents- adversaires qui m'en veulent, les jaloux !
Je ne vois pas le monde tel qu'il est mais tel que je le désire ou le crains. Je "projette" sans cesse, en affaires et en amitié comme en amour. Les autres ? ne m'intéressent pas sauf si j'y vois un intérêt pour moi. Ils doivent être à mon service. Au pire, me rendre service.
J'adore les images faciles – type publicité, photos de reportage niais – qui  me montrent la réalité sans laisser de place aux incertitudes déstabilisantes ; les images qui disent tout (sauf la vérité), sans blabla compliqué, celles qui ne renvoient à aucune intériorité. Je n'aime donc pas beaucoup l'art (surtout l'art abstrait) dès qu'il exige un questionnement personnel – c'est une prise de tête inutile.

3bis/ Le sentier délaissé : regard sans concession sur la réalité, recherche incessante de ce qu'elle est et de ce que sont les autres. L'homme lucide.
Débusquer les faux-monnayeurs, distinguer les vessies des lanternes me paraît primordial. Adhérer à ce qui est, choisir la poésie comme poésie, l'imaginaire comme imaginaire pourquoi pas, mais non pas confondre le réel et les images du réel interprété. Je suis conscient que les univers virtuels que font miroiter les vendeurs en tous genres ne sont que des miroirs aux alouettes destinés à nous plumer. C'est vrai dans beaucoup de domaines, y compris spirituel. Les faux dieux abondent et font recette. Il convient de les percer à jour et surtout de ceux édifiés par mon désir d'absolu. Ce que je souhaite être n'est pas ce que je suis et je dois être vigilant : endosser un costume de personnage plus parfait que celui qui le porte est tentant. La vie n'est pas un théâtre et je ne joue pas à faire semblant – sans quoi je passe à côté de toute vérité.
Autrui me renvoie à ma responsabilité. Je ne le réduis jamais à mes désirs et tente de faire silence en moi pour entendre ce qu'il cherche à me dire –  parfois au-delà des mots.
A l'image je préfère l'écrit : j'y suis beaucoup plus impliqué, un texte n'est pas univoque et la richesse des sens possibles empêche toute confiscation de mon intériorité – pour peu que je conserve mon esprit critique et cette aptitude à la délibération attentive et honnête.

4/ L'autoroute fréquentée : le divertissement d'abord donc l'inculture. L'homme superficiel.
Les futilités sont ma nourriture préférée : ma "culture" se borne à connaître quelle star va épouser quelle autre star après avoir quitté cette star. Pareil pour les émissions TV : le clinquant des images, de la musique et la logorrhée creuse des présentateurs me font passer d'agréables moments – me "vident la tête" (mais de quoi est-elle remplie ?) Platon et sa bande d'intello chiants, non merci, pas pour moi ! La Bible, la Bhagadad-machinchose, pas mieux ! Quand je pense, c'est pour calculer, peser le pour ou le contre de l'opération qui va me rapporter un max et satisfaire mes appétits de richesse, de pouvoir, de célébrité. Si je me cultive un peu, par exemple en lisant le dernier Goncourt, c'est pour briller, séduire ceux que je vois comme des clients potentiels (en affaire ou en amour).


4bis/ Le sentier délaissé : la connaissance de l'humain et de l'univers pour plus de liberté vraie. L'homme cultivé.
Je n'apprends pas pour apprendre mais pour comprendre. Pour avoir une "tête bien faite". Pour distinguer l'essentiel de l'inutile. La philosophie m'aide à progresser vers ce qui est authentiquement humain. La connaissance des grandes traditions et des religions m'offre des repères pour une route menant à plus de sens. La poésie et l'art sont autrement plus riches de significations que tout le clinquant et le maquillage derrière lesquelles notre société de marché dissimule la laideur qu'elle engendre. Je ne suis pas blasé, suis capable d'émerveillement parce que le monde, perçu dans sa profondeur, m'offre des strates infinies, des perspectives riches de possibles. Ma liberté peut alors s'exercer en connaissance de cause, n'étant pas réduite à des choix binaires du type blanc ou noir…

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 Alors ? Mouton ? Rebelle ?

Un peu des deux, sans doute… Plutôt le sentier ? Forcément, si vous êtes sur ce blog vous n'êtes pas sur l'autoroute - ou alors sur une aire de repos.

Et, si vous avez des enfants, vous leur conseilleriez l'autoroute ou le sentier ?
Ah, bien sûr, l'autoroute permet d'aller vite, de "gagner du temps"… Du temps gagné pour faire quoi, au fait ? Pour gagner de l'argent ? Non ? Du loisir, bien sûr, suis-je bête ! Se détendre… Oui, parce que, sur l'autoroute, bonjour le stress…

Le sentier, lui, autorise les pauses. Moins de stress. Voire pas du tout. Ah, ça c'est vrai, on ne "gagne" pas du temps… On s'autorise même à en perdre un peu – ben oui, les livres, la méditation tout ça, ça en prend… Mais si, au bout du sentier, on gagne la sérénité ? Il y en a même qui disent qu'en perdant ce temps-la on peut gagner… l'éternité ! On entend vraiment n'importe quoi !


                                                                                                                             GD