Rencontre sur le Mékong

samedi 14 mars 2015

YOGA et NATURE

NATURE ET YOGA

L'immersion dans la nature : quelques repères espace – temps


Il n'y a pas qu'en Inde que les premiers mystiques se sont réfugiés dans la nature pour y prier leur Dieu. Les "anachorètes" grecs, à la fin du 3e siècle ap. J.-C. se retirent  dans la solitude afin d'accéder à la sainteté, ce sont les "Pères du Désert". Le premier ermite, Antoine le Grand, égyptien, abandonne sa condition socialement privilégiée à l'âge de vingt ans pour s'établir dans le désert (région de Thèbes) aux environs de 300 après J.-C.

C'est au début du XIXe siècle en Europe que la nature apparaît comme la manifestation la plus tangible du Divin. Chateaubriand, Hugo, Lamartine en font le cadre et le sujet de leurs méditations sur le devenir humain et sa proximité avec Dieu.

Pour le Judaïsme, Élohim – Dieu – est caché par la nature qui le voile. Mais le lien entre Lui et la nature demeure indéfectible : le Talmud affirme que "comprendre la Nature c'est comprendre Dieu" car "il n'y a pas un grain d'herbe qui bouge sur Terre sans que Dieu le veuille".

Le chamanisme (originaire de Sibérie mais répandu sur les cinq continents), forme de panthéisme, considère que la nature possède une énergie dotée de conscience. L'Esprit créateur serait présent dans chaque atome constituant la création – qu'elle soit animale, végétale, minérale.

Il est probable que sur tous les continents, les civilisations, dès leur apparition, considérèrent la nature comme divine ou comme reflet du Divin. Arrêtons-nous un bref instant sur l'Inde – pays d'origine du yoga.

Les Hindous ont toujours été proches de la nature, vénérant montagnes, forêts, rivières comme émanations conscientes de la Déesse mère. Le cosmos lui-même est habité par des êtres conscients. Un ancien hymne védique, le Purusha-sukta, décrit l'« Homme Cosmique » : tout ce qui existe dans le monde appartient à cette forme universelle.
Vishnou a pour taille les océans, pour os les montagnes, pour cheveux les nuages, pour respiration le vent, pour veines les rivières et pour poils les arbres. Ses yeux sont le soleil et la lune et lorsqu'il bat des paupières, on passe du jour à la nuit.
Les Vedas rendent fréquemment hommage à la nature considérée comme une Mère généreuse que nous devons respecter.
L'Isha Upanishad affirme que tout ce qui existe est interconnecté et procède d'une origine divine. La création est donc sacrée. Cette conception est admise par tous les courants : Hindouisme, Bouddhisme, Jainisme et Sikhisme.  Ce sens du sacré est la base de la relation que l'Inde entretient avec la nature. Dès lors, planter des arbres, forer des puits, installer des réservoirs d'eau, particulièrement sur les lieux de pèlerinages, constitue autant d'actions méritoires.

L'immersion dans la nature : au-delà du temps et de l'espace
Quels que soient les lieux, les époques, aux yeux des personnes insatisfaites par la médiocrité des entreprises humaines, la nature apparaît la plupart du temps comme un contre-modèle positif : bien éloignée des aspirations exclusivement matérielles de l'humain et libérée de ses cortèges de perversions, elle représente gratuité, pureté, et finalement, perfection. Se rapprocher d'elle c'est donc se rapprocher de l'absolu, du Divin.
Si nombre de mystiques quittent la compagnie des hommes ce n’est pas tant pour fuir les vanités de ce monde que pour favoriser une rencontre plus essentielle. Cette rencontre avec le Sens, avec ce que nous sommes vraiment, ils l’attendent en partie de la communion entre leur solitude "habitée" et la nature parce que celle-ci est proche de l’innocence primordiale et garde en elle l’empreinte de l’absolue Perfection, reflet de notre propre perfection encore à réaliser. Le milieu naturel peut donc se faire le vecteur par lequel l'être imparfait que nous sommes peut vivre une transformation. Certes, cette transformation ne sera possible que par le travail personnel – il ne suffit pas d'être au contact de la Perfection pour devenir parfait… Cependant, sa proximité ne peut qu'influencer positivement et faire progresser celui qui cherche.

Contempler le visage du Divin à travers un animal ou d'une fleur est plus facile que de chercher à le saisir dans la plupart des productions humaines – l'art y compris. En effet, même dans ce dernier cas, le contact avec la Présence est moins direct, moins étroit et moins immédiat : dans "art" il y a "artifice", intervention de l'intelligence ou autre faculté mentale qui sépare, alors que rien ne s'interpose entre l'œuvre de nature et l'amoureux contemplant cette œuvre. Insistons : toute œuvre d'art est humaine, imparfaite donc, même si elle est inspirée.

La présence de la nature est aussi une incitation à se fondre dans l'invisible Réalité qui préside à son existence. Elle éveille en nous le désir "d'être en tout" (l'expression est du poète Guillevic). Qui, devant un paysage sublime n'a pas expérimenté l'exaltation presque douloureuse qui nous pousse à vouloir accomplir l'union cosmique, véritable expansion du moi et désir de rejoindre ne serait-ce que le temps d'un éclair le centre éblouissant de toute Vérité – celle du monde et la sienne propre – sujet et objet ne faisant plus qu'un ?

Ce sont sans doute les poètes qui ont le mieux exprimé ce sentiment, indicible par le langage rationnel mais que le verbe poétique arrive à suggérer. En effet, toutes les explications, aussi intelligentes soient-elles, disent beaucoup moins que quelques vers inspirés.

"Parfois je crois surprendre un écho dans l’oreille de ces mots murmurés, que des voix de jadis, depuis longtemps perdues, disaient presque en silence : ainsi suinte la pluie de campagne en automne à travers les feuilles mortes, avec tant de patience, à la lisière du petit-bois de chênes gris et touffus où le Ruisseau-Rouge chuchote, puis elle s’enfuit goutte à goutte dans la terre, à pas de souriceaux, comme fait la semence, par le chemin profond, la sente aux orties noires."
(Claude Vigée, Les orties noires)

Ce sont eux, les poètes, qui, par des mots, traduisent au plus près l'expérience originelle que peut vivre un être humain, yogi ou non, lorsqu'il s'immerge dans un milieu naturel et qu'il réussit à boire à la source même la divine liqueur qu'il sécrète :

"L'alouette au sommet de sa tour flambe seule, veillant l'air bleu, dictant au ciel son allégresse. Et par ses yeux le poème connaît le verbe, illuminé de verreries, puis le beau rythme dont les arches assoient le pont sur le fleuve silence. Et l'habitante au fond de moi, la secrète intangible admire les mots soudain en ordre sans comprendre. Je ne suis rien que l'instrument qu'on accorde à la lumière."
(Philippe Delaveau, Calendrier de la poésie francophone)

"Marcher parfois longtemps dans la prairie du vent.
Ses bottes malmènent les fleurs,
l’herbe aux rêves de voyage.

Puis le petit village près d’un bois.
L’harmonica d’une eau rapide qui se cache
pour voir le ciel et l’ombre, et les cailloux
entraînés de ferveur, sur leurs genoux qui brûlent.

Entendre alors la persuasion très tendre
et douce d’un oiseau qui solfie les mesures
d’une clairière. Deux fois peut-être. Puis se tait. Se dissout
dans la perfection pure et simple du silence."
(Philippe Delaveau, Marcher)

Parfois, le contact avec la nature est beaucoup plus directement signifiant du point de vue spirituel, parce que, derrière la création, on perçoit la présence d’un Créateur.

"Les feuilles tombent, tombent comme des lointains
comme si aux cieux dans des jardins éloignés,
tout flétrissait
elles tombent en gestes de refus.
Et dans les nuits la lourde terre tombe
depuis toutes les étoiles dans la solitude.
Nous tous nous tombons. Cette main là tombe
et vois les autres aussi : cela est en elles toutes
et pourtant il est quelqu’un, qui retient toute cette chute
dans ses mains avec une douceur infinie."
(Rainer Maria Rilke, Automne)

La nature non seulement permet un contact plus direct avec l’Essence mais, dans la contemplation qu’elle  provoque, elle nous apprend l’instant présent, au creux duquel se blottit l’éternité :

"Une bande de nuages au loin.
La moitié grise et blanche de la lune
est suspendue sans fil à un azur
si seul et cristallin qu'il paraît
ne pas avoir de fin ni pressentir la nuit.
C'est la soirée parfaite. On dirait
que tout doit continuer, intact, ainsi."
(R. Paseyro,  Instant  in Jardin de Marie-Thérèse)

Curieusement, ce sont donc les poètes, plus que les yogi, qui expriment au plus près le pouvoir que la nature peut exercer sur les âmes qui cherchent du sens par d'autres voies que celles de la raison discursive. Ainsi le contact entre le regard qui contemple et ce qui est contemplé est double : je suis autant regardé par la fleur (un yogi dirait : je suis regardé par Cela[1] qui habite la fleur) que je ne la regarde.

" Nous devons faire en sorte que la rose 
Que nous venons de créer rien qu'en la regardant 
Nous crée en même temps " 
(Jarroz, Huitième Poésie Verticale).

Cette façon de percevoir est forcément le signe d’un lâcher prise et d'une véritable communion. Le contemplatif s’oublie pour laisser exister en lui Cela qui habite le monde ; ce faisant il revêt sa propre identité et, dans cet oubli de soi pour le Soi, il est pleinement. N'est-on pas au centre même de ce que vise le yoga ?










[1] Cela, Soi = le brahman, le Divin, etc.

YOGA : PARADIS A VENDRE

PARADIS TERRESTRES À VENDRE

De même qu'elle est exploitée outrancièrement par des multinationales qui s'enrichissent en la massacrant, la nature est un recours commode à tous ceux qui, sans forcément la détruire, en font un argument de vente en l'associant non seulement au bien-être mais aussi à la spiritualité.
De ce point de vue la nature est une mine d'or : les personnes en manque d'air, de verdure, de grands ciels, de beaux paysage et celles en quête de sens (ce sont souvent les mêmes) sont prêtes à payer parfois très cher l'organisme ou le guide (spirituel ou touristique, on ne les distingue pas toujours) qui propose de "découvrir au cœur de soi-même la Paix et l'Harmonie dans des sites exceptionnels de grands espaces et de lumière"[1]. Le lien ambigu établi entre "Paix", "Harmonie"[2] (ou toute autre perspective nirvanesque) avec un site géographique naturel devient dorénavant quasi systématique[3].

En d'autres termes on associe de plus en plus des cours de yoga au cadre dans lequel ils sont proposés. "Yoga et journées nature", "Yoga et stages découverte", "Marche consciente dans un cadre naturel", "Voyages méditatifs sur les Causses", "Yoga en forêt de Compiègne"… on est tout proche d'un Yoga-sur-gazon-au-bord-de-ma-piscine-à-débordement – sauf que l'environnement proposé est beaucoup plus alléchant s'il est préservé de toute trace humaine visible. Forcément : la proximité avec la transcendance s'en trouve renforcée…
De là à affirmer que plus l'homme est absent, plus le Divin est présent, il n'y a qu'un pas. Curieux paradoxe, évidemment : comment aimer le Divin en évitant les humains ?
Bien sûr, tombe alors la question inévitable : "Et les grands sages, alors ? Ceux qui préfèrent le désert à la société des hommes, qu'en penser ?" A la suite de cette question succède en principe la seconde: "Ce choix n'est-il pas d'ailleurs une forme de fuite déguisée, d'égoïsme ?"
Est-il nécessaire de répondre ? Certains mystiques, qu'ils soient ermites, anachorètes ou moines ne fuient pas leurs semblables, ils prennent leurs distances afin que la vie ascétique de méditation ou de prière qu'ils mènent ne soit pas perturbée par des distractions incessantes, et aboutisse ainsi à une transformation complète de la psyché leur permettant alors d'agir efficacement, sur un plan subtil, pour le bien du plus grand nombre.
Les sages de certaines traditions s'isolent (dans une nature souvent rude voire inhospitalière) afin d'atteindre l'Éveil dont ils font ensuite profiter les humains. Difficile de trouver plus altruistes que ces guides spirituels réellement éclairés qui passent de la solitude la plus éprouvante à la présence quotidienne d'une foule en incessante demande…
Le rôle qui est attribué dans ce dernier cas à la nature est bien éloigné de celui qu'on lui fait jouer pour vendre des stages de yoga profilés Club Med. 

Il est difficile de ne pas rappeler ici que l'origine avant tout spirituelle du yoga, son essence même, de nature métaphysique, s'estompe de plus en plus au profit du confort physique et mental petit-bourgeois qui le ravalent au rang de médecine douce : il faut être mieux dans son corps et mieux dans sa tête. Quant à être mieux dans son âme, voire à "être" tout court…
La nature joue dès lors un rôle très différent suivant qu'elle est recherchée par un "fou de Dieu", un disciple sincère en quête d'absolu ou un bobo qui soigne en priorité les bobos affectant son équilibre physique ou psychologique. Dans ce dernier cas (le plus fréquent) l'amour voué à la nature est hygiénique mais pas spirituel.

Si les sites internet mariant les mots "nature" et "yoga" se comptent par dizaines, c'est évidemment que les adeptes du yoga ont en eux une soif dont ils ne distinguent pas forcément la véritable quiddité ; le "bien-être" qu'ils recherchent est diversement et confusément coloré : physique, mental, spirituel… un peu tout cela à la fois.
Peu importe : sans doute y a-t-il derrière ce besoin de nature une nostalgie originelle, sincère, comme si nous avions conservé en nous le souvenir du paradis terrestre… Besoin de pureté, d'innocence qu'on ne trouve pas – ou peu – dans un cadre urbain… Car ce sont bien sûr les citadins les plus concernés, eux qui remplissent l'escarcelle des heureux entrepreneurs futés, vendeurs de verdure rédemptrice.

Mais même si certains abusent des âmes naïves pour leur soutirer de l'argent, on rétorquera qu'il existe d'honnêtes professeurs et/ou d'honnêtes associations qui font payer "le juste prix". Où serait alors le mal ? Certes. De nos jours plus que jamais, la loi de l'offre et de la demande prévaut et, tant que l'équilibre est correct, on ne peut rien y trouver à redire, commercialement parlant.
C'est ce "commercialement parlant" qui crée le malaise. Si l'on s'extrait un instant de ce que l'habitude, le contexte socio-culturel, etc. finissent par nous faire trouver "normal" (vendre – acheter), que penser alors de cette démarche consistant à offrir seulement à ceux qui en ont les moyens financiers (= pauvres s'abstenir) la possibilité de "découvrir au cœur de soi-même la Paix et l'Harmonie" ? Jésus  proposait-il des stages dans "des sites exceptionnels de grands espaces et de lumière" ? Dieu sait (!) en tout cas que ses clients en auraient eu pour leur argent.

Que penser donc de ce curieux amalgame qui confond spiritualité et confort, être et bien-être, yogi et clients ? Que le prix soit honnête ou non, la démarche consistant à vendre de l'arbre, de l'animal, de l'air pur et de beaux paysages en les associant étroitement à une démarche spirituelle est une forme d'abus mercantile que les principes yogiques originels, authentiques, auraient bien du mal à justifier.
Que mon temps soit rétribué convenablement parce que je donne des cours de yoga, cela peut se concevoir. Attirer des clients en leur vantant le cadre naturel pour lequel ils devront payer en sus, peut prêter à contestation si, à des objectifs légitimement proposés, j'en joins de spirituels, reliés à la présence de la nature. Il y a dans cet amalgame une incompatibilité majeure, une perversité. Mais une perversité de moins en moins perceptible parce que la confusion des genres est inhérente à l'époque actuelle et que certains savent merveilleusement la mettre à profit. Viendra peut-être un jour où, sur les derniers lieux épargnés par la pollution, on devra payer très cher une salutation au soleil accomplie au lever d'un soleil en voie de disparition.

                                                                                                                                 GD



[1] Phrase prise telle quelle dans un site internet.
[2] Les majuscules donnent à ces deux termes une valeur d'absolus – on bascule donc dans le spirituel.
[3] Deux autres exemples de publicités trouvées sur l'internet parmi beaucoup d'autres :
"Pour un week-end nature, une retraite spirituelle de plusieurs jours, partager un stage ou une tranche de vie… ce coin de paradis est le vôtre!
Lové en plein cœur du Tarn, le lieu dit […] recèle tout un éventail d'hébergements aussi naturels qu'originaux. En chambre d'hôte ou à plusieurs dans le gîte, dans la cabane perchée ou la yourte mongole… à vous de trouver celui qui correspond à vos aspirations !
Aux antipodes de la société de consommation, un lieu propice au ressourcement à découvrir !"  Et, dans un autre contexte finalement fort proche du précédent :
"Retrouvons ce contact avec la nature et l'énergie d'amour et de paix d'Assise pour nous laisser inspirer par la vie de Saint-François.
Ce stage de 7 jours à Assise en Italie vous conduira sur les pas de Saint-François où vous pouvez vivre et comprendre l'importance de la nature dans la vie de ce Saint. Nous visiterons des lieux où sa vie s'est déroulée : Assise, chapelles et églises, ermitages, forêts et montagnes…"

PHYSIQUE ET SPIRITUALITÉ  : réconciliation en cours !


Avertissement
Cet article prolonge la série déjà publiée sur ce blog : Mécanique quantique et textes de l'Inde. Pour une meilleure lisibilité, les termes techniques ont été évités ; de même, toute la partie purement scientifique, essentielle mais difficile d'accès. De ce fait, les concepts abordés risquent de paraître simplistes. Les lecteurs qui creuseront le sujet constateront qu'il n'en est rien et ce qui peut surgir ici comme supputation gratuite est sous-tendu par des recherches sérieuses extrêmement poussées.
Mes sources sont multiples mais ce sont les conférences et écrits de Philippe Guillemand auxquels je me réfère le plus. Philippe Guillemand est ingénieur de l'École Centrale de Paris, chercheur au CNRS, spécialiste  de l'intelligence artificielle (robotique). Dans diverses conférences données en 2013 et un ouvrage intitulé La Route du Temps, il réfléchit sur l'Espace-Temps et ose s'aventurer dans une région de la pensée (dimension spirituelle) que les physiciens classiques refusent et à laquelle d'autres, plus éclairés, souscrivent en évitant toutefois de se prononcer explicitement, de peur de passer pour des hurluberlus fourvoyés par la parapsychologie.
Les citations sont sans références précises car issues de notes personnelles prises alors sans intention de publication. On voudra bien excuser cette lacune, sachant que les lecteurs retrouveront facilement les sources sur le site internet de P. Guillemand (adresse note 12) ou dans ses conférences, accessibles sur Youtube.
Le lien avec le yoga (et autres domaines spirituels qualifiés volontiers d'"ésotériques", comme le chamanisme, le champ akashique[1], l'inconscient collectif…) est quasi évident. Le yoga nous met en effet au contact avec une réalité différente de celle limitée par les concepts habituels de l'espace, du temps, de la causalité, de la conscience, etc.
Ce qui est passionnant, c'est que des découvertes appartenant aux temps et lieux les plus reculés (en particulier l'Inde) sont en passe d'être avérées par les sciences les plus actuelles. Pour le dire succinctement, la physique rejoint la métaphysique. Il semble bien que nous sommes entrés dans l'ère d'une réconciliation entre science-physique et spiritualité. 


CHANGER NOS CROYANCES CONCERNANT LE TEMPS
Le temps est traditionnellement caractérisé par des concepts dont les plus fondamentaux sont : la causalité, le déterminisme, le hasard.

1/ La causalité : nous pensons que tout ce qui arrive dépend du passé. C'est une erreur de perspective. Le quotidien lui-même peut démontrer l'existence de la "rétrocausalité". Par exemple, l'intention d'aller chercher du pain est la véritable cause de mon déplacement en voiture et non l'inverse, comme on pourrait le croire (avoir pris la voiture serait alors la cause du pain acheté… ce qui est faux). C'est le futur (obtenir du pain) qui a créé le présent (prendre la voiture) !

2/ Le déterminisme : nous pensons que le monde est déterminé mécaniquement et de façon unique, que le futur est le résultat du passé. Dans ce cas il n'est pas de liberté possible. Il y a là une incontestable aberration.

3/ Tout ce qu'on ne comprend pas est attribué au hasard – qui devient une sorte de poubelle où est jeté pratiquement tout ce qui n'est pas réductible à des équations.

Ces délimitations enferment notre pensée, ne lui laissent aucune issue. Heureusement, depuis les années 2000, elles sont remises en question et une "nouvelle" vision s'impose peu à peu. En voici quelques aspects.

Temps et espace sont des illusions produites par la conscience. Ce constat n'est pas récent. Il n'empêche que nous demeurons prisonniers d'un mirage : nous pensons le temps comme s'il était absolu, extérieur à l'univers matériel et irréversible…
Or, pour les physiciens actuels, le temps linéaire n'existe pas, il n'est pas extérieur à l'univers matériel et il est relatif. La notion du "temps qui passe" ne correspond à rien, en physique. Einstein affirmait déjà : "Pour nous, physiciens dans l'âme, la séparation entre passé, présent et futur ne garde que la valeur d'une illusion, si tenace soit-elle." Et, trente ans plus tôt, Nietzsche : "Notre destin exerce son influence sur nous, même lorsque nos ne le connaissons pas encore : c'est notre avenir qui détermine notre présent".

La réalité est atemporelle ; présent, passé et futur sont simultanés. Il n'existe pas d'écarts temporels : le futur est déjà là mais nous n'en percevons que ce que nos cinq sens nous permettent de capter ; notre ego nous limite à l'espace-temps alors que notre *esprit" (ou "âme", "claire conscience", "intuition" etc.) est capable de voir au-delà si nous sommes suffisamment sensibilisés à un autre niveau de réalité[2]. Cette vérité, difficile à admettre, est néanmoins acquise et démontrée en physique (dont surtout la physique des particules) ; elle rejoint la pensée hindouiste et bouddhiste selon laquelle tout est contenu dans le présent.

Notre conscience est donc liée au présent mais la réalité est déjà créée dans le futur puisque le futur est déjà là.
Néanmoins, bien que déjà créée, cette réalité peut évoluer car le futur n'est pas totalement configuré.
Les déterministes pensent que tout est déjà en place, figé. Pourtant il semblerait bel et bien que les événements sont structurés par des informations qui viennent en-dehors de l'espace-temps. La création ne se ferait pas par hasard mais en fonction d'informations externes à cet espace-temps – ce qui nous permettrait d'intervenir sur notre destinée. Dans cette assertion audacieuse réside une véritable révolution, comme nous allons le voir.

CHANGER NOS CROYANCES CONCERNANT LE HASARD
On le sait maintenant, depuis l'avènement de la mécanique quantique : la réalité n'est pas indépendante de l'observateur. Il n'y a pas de hasard[3]. Les expériences d'Alain Aspect (médaille d'or au CNRS), en particulier la fameuse expérience EPR[4] des particules jumelles (au CERN) nous font découvrir la réalité de l'indétermination quantique[5]. Elles ont amené Antoine Suarez à déclarer que " Pour avoir une matière qui fonctionne de façon sensée, nous avons besoin d'une coordination qui n'est pas matérielle". Le "qui n'est pas matérielle" marque une différence fondamentale entre les nouvelles conceptions de la physique et les anciennes.

Partant de ce constat, P. Guillemand est amené à déclarer que la réalité dépend non seulement de nos observations (mécanique quantique) mais aussi de nos intentions. Et cela, c'est nouveau…

Il s'appuie sur les résultats de nombreuses expériences mettant de plus en plus en évidence que les phénomènes ne se produisent pas par hasard – chance et malchance n'ayant plus lieu d'être. Ce qu'on appelle les synchronicités[6] ou, plus familièrement, les coïncidences, ne serait pas les résultats d'une sorte de loterie.
Qui n'a jamais vécu des cascades de coïncidences, d'événements qui ont changé positivement ou négativement la vie – à tel point qu'invoquer un hasard heureux ou malheureux ne peut être raisonnablement soutenu ? Or, "L'un des aspects du caractère le plus intriguant des synchronicités est qu'il semble aujourd'hui de plus en plus admis qu'il soit possible de les provoquer, ce qui en ferait ainsi un phénomène reproductible qui ouvre la porte à une possible approche scientifique et expérimentale." (Philippe Guillemand).

CHANGER NOS CROYANCES CONCERNANT NOTRE IMPUISSANCE FACE AU DESTIN
Suite aux travaux de plusieurs physiciens éclairés (dont Jean-François Vézina[7], Johachim Soulières…), P. Guillemand aboutit à des conclusions saisissantes expliquant pourquoi nous rencontrons telle personne plutôt qu'une autre, pourquoi nous avons pris telle décision qui nous a fait franchir un cap au sein de notre évolution personnelle, comment nous avons pu mener à bien un projet en apparence peu réalisable…
D'après lui, ces synchronicités sont le résultat de nos propres attitudes, plus ou moins conscientes.
Nous pouvons créer notre réalité dans le futur parce que nous sommes reliés à la création par l'action intemporelle de notre esprit. Dit autrement : la synchronicité se produit "en conséquence d'un changement dans notre futur qui agit de façon rétrocausale sur notre présent – déterminisme inversé". Ou encore, de façon on ne peut plus ramassée : "Nos intentions créent des effets dans le futur qui deviennent les futures causes d'un effet dans le présent." (P.G.)

Cependant il serait naïf de croire qu'il suffit de désirer quelque chose pour que cela se produise. Il doit s'agir d'un besoin d'aide vraiment authentique et des conditions nécessaires sont à respecter :
-       Faire une demande intelligible, clairement formulée par le mental
-       S'impliquer en prenant des risques – c'est-à-dire en faisant fi des limites habituelles de la raison
-       Demander ce qui exercera une incidence sur notre chemin de vie (cela suppose qu'on soit prêt à affronter le nouveau)
-       Conserver son libre arbitre, son autonomie (il ne s'agit pas de demander à un "ange" de choisir pour nous)
-       Avoir atteint un niveau suffisant de "lâcher prise", de détachement (on sort donc du désir vulgaire de posséder)
-       Avoir confiance et être détendu par rapport à la demande (pas de crispation de la volonté)
-       Se positionner dans le don de soi (amour[8])


Comprenons bien ! Il ne s'agit pas de se souhaiter une nouvelle voiture parce qu'on "aime" bien les coupés sports, mais, après un examen profond, et si on a défini le sens qu'on donne à sa vie, il est possible de faire émerger une orientation nouvelle, de rendre effectifs des événements (même jugés hors de notre portée immédiate) grâce à une intention authentique donc non capricieuse ni dictée par le désir avide. En quelque sorte la magie est possible si… l'âme agit. Dans ce pouvoir (ce devoir) de clairvoyance, réside la plus grande difficulté : dans quelle mesure mon intention est-elle pure ?

P. Guillemand l'affirme avec force : si les conditions sont réunies, nous créons une modification de notre futur. L'intention deviendra agissante si nous conservons notre confiance et favorisons, par notre acceptation du changement (nous y sommes plus réfractaires que ce que nous imaginons), les possibilités d'émergence de l'événement appelé. Ce dernier peut apparaître n'importe où et n'importe quand. Nos limitations intérieures, nos peurs, nos croyances (à ne pas confondre avec la "foi"[9] , nécessaire, elle) doivent être annulées : nous devons nous en remettre "amoureusement" au chaos[10]. (relire la note 7. Cf. aussi Ishvara Pranidhana[11])

Le dernier obstacle est souvent celui de la raison, du mental, qui réprime l'intuition pourtant prête à nous laisser accéder au "cadeau" mis à portée mais dont nous ne percevons pas la présence.
Bien que possesseurs de la clef qui va ouvrir ou non la porte d'accès à ce qui nous est offert – la réponse à notre demande – nous pouvons fort bien demeurer aveugles à l'existence de ce "cadeau". C'est pourquoi, plutôt que d'en rester aux apparences, aux possibilités étriquées auxquelles nos croyances se limitent et par lesquelles nous sommes conditionnés (par exemple la vieille femme du dessin ci-dessous) nous devons changer notre point de vue habituel porté sur une réalité jugée à tort immuable, et nous ouvrir avec confiance à la nouveauté que l'univers (qui n'est pas univoque) nous propose (le jeune-fille du même dessin[12]).



CONCLUSION

Si notre destin est déjà réalisé sous forme d'une ligne temporelle, celle-ci n'est pas figée. Elle peut être modifiée et nous offre la possibilité d'un changement car ce que sera notre futur dépend des choix de notre conscience (et non de notre ego). La plus grande difficulté est de ne pas confondre notre libre-arbitre avec les désirs du mental[13]. Nous devons donc aspirer préalablement à un déconditionnement et, par une pratique adaptée (comme la méditation), tendre vers l'éveil spirituel (les pratiquants de yoga devraient voir exactement de quoi il s'agit).

N'oublions pas l'"amour" ! Il intervient comme inhérent à cette cinquième dimension ; il n'appartient pas à l'espace-temps des physiciens traditionnels mais peut être envisagé "scientifiquement" comme une composante essentielle de l'univers (qui n'a pas constaté que nous attirons ce que nous aimons et sommes attirés par ce que nous aimons ?) Donnée on ne peut plus incongrue mais tellement pertinente…

Philippe Guillemand résume fort bien la situation actuelle de cette physique d'avant-garde audacieusement enrichie d'un élément évidemment rejeté par les scientifiques traditionnalistes. Cet élément est l'esprit ("âme", "conscience en éveil", etc.) Vision scientifiquement subversive selon laquelle nous ne sommes pas agis par l'univers mais avons une possibilité quasi illimitée d'action sur lui – donc sur notre devenir : "L'évolution de la physique nous rapproche ainsi petit à petit d'une conception indéterministe du monde où l'être humain reprend toute sa place, en commençant par sa liberté. En cohérence totale avec l'ensemble des résultats de la physique moderne, et partant d'un seul postulat vraiment métaphysique, celui du libre arbitre de l'homme, la Théorie de la Double Causalité[14] édifie un véritable pont entre la science et l'âme (ou l'esprit), en faisant émerger l'Esprit de la matière ainsi que sa fonction sur l'univers [] Il existe un mécanisme régulateur du futur de l'univers qui est tout simplement notre conscience à travers laquelle va pouvoir s'exprimer notre libre arbitre."

Nous assistons sans nul doute à l'émergence de nouveaux paradigmes. La convergence entre science-physique et spiritualité n'est rien d'autre que réjouissante pour l'avenir de l'humanité – si elle réussit à en dégager les stupéfiantes implications.

Gérard Duc





[1] Du terme sanskrit désignant l'"éther", à la source de toute création, conservant et pouvant restituer l'information. Le grand spécialiste est Erwin Laszlo. Voir son ouvrage : Science et Champ Akashique.
[2] … et conscients de maya !
[3] "Il suffit de remplacer le concept d’un tirage au sort fait par la nature par celui d’une information qui entre dans notre univers physique et dont il est inutile de rechercher les causes à l’intérieur de cet univers: il faut les rechercher ailleurs." (P.G.)
[4] EPR = Einstein, Podolsky, Rosen – expérience menée par ces trois savants.
[5] Ce principe énoncé en 1927 affirme que pour une particule donnée, on ne peut connaître simultanément sa position et sa vitesse alors que la mécanique classique de Newton affirme que la dynamique de la particule est entièrement déterminée si l'on connaît à chaque instant sa position et sa quantité de mouvement.
[6] Carl Gustav Jung est à l'origine, en 1946, de ce concept de synchronicité. Il s'agit de "l'occurrence simultanée d'au moins deux événements qui ne présentent pas de lien de causalité, mais dont l'association prend un sens pour la personne qui les perçoit." (Wikipédia)
[7]  Voir son ouvrage : Les Hasards nécessaire.
[8] "L'amour dont il est question ici n'est pas l'amour au sens où on l'entend habituellement ni au sens "new-age". Il n'est pas un produit de l'activité cérébrale, contrairement au désir. Il est une essence fondamentale de l'espace intérieur, au même titre que la lumière dans l'espace extérieur. Il s'agit de l'essence du (moteur du) libre arbitre. Si le libre arbitre définit un archétype vers lequel on tend, il faut encore définir la puissance (ou l'intensité) avec laquelle on tend vers la réalisation de cet archétype. C'est ce que j'appelle l'amour, faute de trouver une meilleure appellation, car on tend vers ce que l'on aime, tout simplement. L'amour et le libre arbitre sont indissolublement liés, tout comme une forme (un contenant) est indissolublement liée à son contenu. Cela n'a rien à voir avec l'amour au sens du désir par exemple, car le désir a plutôt l'effet contraire." (P. G.)
[9] Cf. shraddha
[10] "La théorie du chaos est une théorie mathématique et physique dédiée à l'étude des systèmes dynamiques. Elle s'applique à toutes sortes de sciences : astrophysique, météorologie, sciences humaines, biochimie moléculaire1. À titre d'exemple,voici une application originale : Le réseau Bee-Secured spécialisé dans la surveillance des environnements et des écosystèmes utilise la théorie du chaos dans ses modèles mathématiques de calcul d'interactions du comportement des abeilles et de son environnement." (Wikipedia)
[11] Action de s'en remettre au brahman, au Divin… (cf. "surrender", le bhakti-yoga…)
[12] Ce n'est évidemment qu'une approximation grossière de ces réalités simultanées dont la saisie dépend de perceptions plus complexes que celle de la vue.
[13] On aura reconnu avidya, bien sûr ! A chacun(e) de découvrir en quoi de nombreux aspects de cet articles recoupent le domaine du yoga…
[14] Voir le site de P. Guillemand, très riche : http://www.doublecause.net