Rencontre sur le Mékong

vendredi 14 janvier 2022


UNE PENSÉE ON NE PEUT PLUS ACTUELLE…


                            

    "Le règne de l'aventure est terminé. Même si nous allons jusqu'à la septième galaxie, nous irons là casqués et mécanisés, et nous nous retrouverons tels que nous sommes : des enfants devant la mort, des vivants qui ne savent pas très bien comment ils vivent ni pourquoi ni où ils vont. Et sur la terre, nous savons bien que le temps des Cortez et des Pizarre est fini : la même Mécanique nous enserre, la souricière se referme. Mais comme toujours, il se révèle que nos plus sombres adversités sont nos meilleures occasions et que l'obscur passage est un passage seulement, conduisant à une lumière plus grande. Nous sommes donc mis au pied du mur, devant le dernier terrain qu'il nous reste à explorer, l'ultime aventure : nous-mêmes."


SATPREM in Sri Aurobindo ou l'aventure de la conscience, Buchet-Chastel, 1970





LA MEDITATION C'EST PAS MON TRUC...

(cet article s'adresse à des débutants)

 

C'est parce que j'ai entendu x fois cette remarque, souvent formulée sous des formes détournée  ("Méditer, oui, mais je n'arrive pas à trouver le temps" ou "J'ai essayé mais je ne trouve pas  (je ne trouve plus) la motivation suffisante pour m'y tenir") que j'ai envie de partager ces quelques réflexions nées des difficultés que, comme beaucoup, j'ai aussi traversées. Il s'agit  de considérations simples et pratiques et non de considérations d'ordre métaphysique.  

 

Le manque de temps ?


Si l'on est honnête, l'argument ne tient pas.  

Les 5 minutes suffisantes pour commencer régulièrement cette pratique, on les trouve facilement lorsqu'il s'agit de faire quelque chose de nécessaire (par exemple se brosser les dents) ou d'agréable (manger un gâteau...)

 

La motivation ? 

Sur un plan général, cet argument est valable : si je ne vois pas d'intérêt à tricoter ou à jardiner, il va de soi que je n'ai aucune envie de commencer…

Cependant, pour peu qu'on y réfléchisse un instant, la situation est différente, en tout cas si je suis au courant des bienfaits décrits par tous ceux qui pratiquent une forme de méditation (il en existe beaucoup) : ils sont incontestablement efficaces pour la santé – physique et psychique. On en parle suffisamment pour n'en plus douter. Que la méditation soit actuellement de plus en plus pratiquée avec succès dans les hôpitaux (cf. Christophe André à Ste Anne) n'est pas non plus anodin.

 

Pour nous limiter à des constats vérifiables par des IRM ou autres moyens scientifiques :

-       elle diminue l'anxiété, le stress, évite les rechutes de dépression ; 

-       elle améliore le sommeil, l'attention, la mémoire et limite les effets de l'âge sur le cerveau ; 

-       elle permet un bien meilleur contrôle des émotions, réduit l'hyperactivité, l'impulsivité et particulièrement la colère; 

-       elle améliore la réponse cérébrale à la douleur ;

-       abaissant la pression sanguine, elle réduit les risques d'accidents cardiovasculaires ; 

-       elle est remarquablement efficace pour développer les défenses immunitaires (anticorps)

 

Ces bienfaits constatés depuis l'Antiquité, sont tous validés actuellement par des études scientifiques menées par des chercheurs en neurosciences. 

 

Sachant cela, comment peut-on ne pas être motivé par cette pratique (gratuite  ) et dont les incidences sur notre bonne santé physique et mentale sont universellement attestées ? Nous sommes tous soucieux de notre bien-être. Alors, pourquoi ne réussissons-nous pas à "nous y mettre" ou à persévérer ? Parce qu'il existe des obstacles réels.

 

Les obstacles :


1/ Les effets ne sont pas immédiats 

Nécessaire à la survie propre à la plupart des vertébrés, situé dans le cerveau (pour les exigeants : le long du faisceau médian du télencéphale),  le "système de récompense" vise à obtenir un plaisir aussi immédiat que possible. C'est le cas pour ce qui concerne la nourriture, la reproduction, l'adaptation à l'environnement – en lien direct avec le bien-être émotionnel.

Or méditer ne procure pas de manière instantanée ce plaisir, comme l'action de manger un baba au rhum (si j'aime ça, évidemment).

Et pourtant, des études ont montré que le bien-être procuré par la méditation, s'il n'est pas forcément perceptible dans l'instant, le devient rapidement. "Des améliorations émotionnelles, cognitives et sociales sont possibles à l'issue de 5 séances de 20 minutes" (Futura-sciences). Mais oubliez cela ! D'abord parce que 20 minutes c'est long… C'est là d'ailleurs qu'apparaît le deuxième obstacle.

 

2/ S'asseoir sans rien faire pendant un long moment devient vite insupportable

Cela est inévitable. Nous sommes toujours dans le "faire", même lorsque nous disons "Je n'ai rien fait de toute la journée". Écouter un débat ou un disque, contempler un paysage ou un tableau, bayer aux corneilles, manger, rêvasser, sont des activités – qui, de plus, m'apportent "quelque chose" de plaisant…

Mais rester assis à observer Dieu sait quoi, (nous y reviendrons), franchement… je ne ressens rien d'agréable, ça m'énerve plutôt et ça me paraît interminable !

Ce constat est absolument "normal". Nous ne sommes pas programmés pour cette "inactivité". Il est naturel qu'une forme de rejet apparaisse si on se l'impose trop longtemps. En plus, cerise sur le… baba, on a tendance à culpabiliser ("Je ne suis même pas capable de…", "J'aurais mieux fait de…") C'est pourquoi, en ce qui concerne la durée, pour commencer (ou recommencer) il est vraiment nécessaire de ne pas chercher à dépasser quelques minutes – ce qui n'est déjà pas si facile.... Si l'on respecte ce tempo, quelques minutes finiront par paraître brèves et seront beaucoup plus efficaces que 20 ou 30 ou a fortiori 60 minutes (la qualité de l'expérience, si cette dernière n'est pas spontanée et agréable, est inversement proportionnelle à la quantité du temps qu'on lui consacre)… Il arrive cependant que le moment le plus intensément apaisé de la méditation survienne après 5 minutes… Il revient à chacun d'expérimenter ce qui convient le mieux. Nous fonctionnons tous différemment.

 

3/ Que faire pendant ce temps d'assise ? Quelle technique adopter ?

Des techniques il en existe de multiples. Vous le savez si vous en avez eu vent, certaines sont complexes et elles peuvent décourager avant qu'on les ait expérimentées ! C'est logique car elles s'adressent à des "spécialistes" (souvent indiens) et elles visent des objectifs de nature spirituelle, transcendantale, ce qui revient un peu à vouloir apprendre à marcher sur l'eau avant de savoir ramer… 

Celle qui vous est proposée ici est unanimement reconnue comme la plus efficace par ceux qui l'ont adoptée (si vous souhaitez des références je vous les transmettrai).

 

La première chose à intégrer est qu'il n'y a aucun effort à fournir. Rien de contraignant. Il s'agit d'abord de s'asseoir confortablement (même sur une chaise), de ne pas être gêné corporellement. Ensuite il suffit de fermer les yeux (ce n'est pas obligatoire mais plus facile) et d'observer ce qui se passe. C'est tout ! Observer ce qui se passe, c'est prendre conscience de la respiration (inspir, expir avec les petites pauses entre chaque) et des pensées dont l'enchaînement, inévitablement, vient s'immiscer et interrompre le cours de cette observation. Il convient alors de prendre les pensées sur le fait, de les accepter sans râler, de simplement en être conscient ("Tiens ! je viens de penser au coup de téléphone que je dois donner et ensuite à tante Berthe qui est malade, puis à la vaccination anti-Covid – j'y vais ou j'y vais pas ? etc.") On constate alors sans ajouter de jugement, sans faire de commentaire (du type "C'est nul, c'est casse-pieds, je n'arrive pas à rester concentré, etc.") puis de revenir aussitôt à l'observation de la respiration. ET C'EST TOUT !

Surtout, ne rien attendre de particulier. En quittant la posture je n'aurai rien à raconter d'extraordinaire. Peut-être me sentirai-je sur un petit nuage ou un peu ailleurs… ou content que ce soit fini, ou rien du tout,  peu importe. L'essentiel a eu lieu. Je n'en ai pas eu conscience mais mon cerveau, oui !

Si durant ces 5 minutes on perçoit des images, des visages, des points lumineux ? Cela peut arriver. Dans ce cas on procède comme pour les pensées : on constate le phénomène, sans plus, et on revient à l'observation du mouvement respiratoire.

Quant à la respiration elle sera tranquille, plutôt lente, régulière, apaisante. On surveillera les épaules (elles seront relâchées) et le dos, si possible pas affaissé.

 

Concernant les effets obtenus

La première règle, on vient de le dire, est de ne rien attendre ! Toute attente crée une crispation. Si je m'assieds alors que la volonté de me détendre m'habite durant l'exercice, cela crée une tension – l'opposé de ce qui est souhaité ! 

Il est légitime d'espérer les bienfaits déjà mentionnés. Nous les obtenons un jour ou l'autre. Mais oublions de les attendre ! Quand nous ingérons un comprimé contre une douleur quelconque, nous ne restons pas plantés devant notre montre : la douleur cesse ou s'atténue, c'est à ce moment que surgit le constat de l'efficacité du remède. 

 

Au bout de quelque temps de cette pratique assidue, si vous n'attendez rien, n'espérez rien (c'est sans doute le plus difficile au début – mais seulement au début), vous serez surpris d'avoir dépassé les 5 minutes parce que, finalement, vous venez de vivre un moment agréable – sans plus, peut-être, mais "quelque chose" commence à vous plaire. Ne vous forcez pas alors à vous fixer des objectifs de temps : si un quart d'heure s'écoule, il doit s'être passé spontanément. Mieux valent 5 minutes agréables qu'un quart d'heure d'efforts. Oubliez compétition et records…

 

Une objection surgit parfois : "Méditer, n'est-ce pas une façon un peu lâche de me mettre à l'abri du monde?" Affirmons sans hésiter que méditer c'est au contraire s'intégrer au monde, c'est "entrer dans la danse de la réalité".

Autre objection : "Méditer n'est-ce pas prétendre à vouloir jouer les sages ?" En aucun cas. C'est simplement m'ouvrir à qui je suis, avec mes imperfections. C'est me mettre un peu en retrait, devenir plus conscient et être moins perturbé par des émotions qui, dans le quotidien, me malmènent. Je ne serai peut-être pas toujours calme mais de plus en plus pacifié…

 

Mais tout cela et tout ce qui n'est pas abordé ici, on le constate progressivement, on le vit avec la pratique. Rien donc ne sert de développer : chacun l'expérimentera avec le temps. Comme dit le sage : "Tu me demandes quel goût a le citron. Je peux t'en parler pendant des heures. Mais tu ne sauras jamais réellement quel est le goût du citron si tu ne le goûtes pas toi-même !"

 

A vous de voir… ou non !

 

                                                                                                                                GD

 


 




 ET SI ON PARLAIT D'AMOUR ?

 

Si la rédaction de ce doc est de mon crû, son contenu doit beaucoup au philosophe André Comte-Sponville qui, lui-même, pour plusieurs conférences faites dans les années 2000, a opéré une synthèse judicieuse à partir des auteurs grecs surtout.

 

 

Le français accorde au mot "amour" des significations extrêmement variées qui font qu'on aime aussi bien l'argent, que les babas au rhum, sa mère, le vent, les animaux, etc. Pour y voir plus clair il faut avoir recours au grec. Dans cette langue les anciens auteurs désignaient l'amour par 3 termes englobant des significations bien distinctes. Grâce à cela nous sommes capables de très bien comprendre le phénomène complexe de ce qu'est l'amour face auquel nous sommes bien souvent désorientés, voire complètement perdus, au vu de nos expériences respectives, heureuses ou/et malheureuses… 

 

Les Grecs distinguaient trois formes d'amour EROS, PHILIA, AGAPÈ qui vont nous permettre d'y voir clair !

 

EROS

 

Terme connu mais mal compris. A cause de "érotisme", "érotique", on pense à la sexualité. Mais ce n'est pas que cela. Il désigne pour les Grecs l'amour-passion, ce qu'on ressent quand on est fou d'amour… au début d'une histoire d'amour.

 

EROS = L'AMOUR SELON PLATON 

Dans Le Banquet, Platon propose plusieurs discours dont deux très intéressants : celui de Socrate et celui d'Aristophane.

 

Que dit Aristophane ? Des choses très belles mais très fausses !

Sa théorie, poétique, est très séduisante car elle dépeint l'amour tel que nous aimerions qu'il soit – un mythe en quelque sorte, qui nous éclaire sur nos illusions amoureuses. Il imagine que dans un temps très reculé l'humanité était composée d'êtres doubles. Ils avaient deux visages, quatre bras et quatre jambes. 

Certains (les hommes) avaient 2 sexes d'hommes, d'autres (les femmes) deux sexes de femmes et les androgynes un sexe d'homme et un sexe de femme. 

Jaloux de leur puissance, Zeus les coupa en deux de haut en bas. Le résultat fut que ces individus furent amputés de leur moitié avec 2 bras, 2 jambes, un seul sexe et en quelque sorte condamnés à rechercher sans cesse leur moitié perdue pour recréer l'unité perdue. 

L'amour était donc le désir de se fondre avec l'objet aimé. Les créatures avec deux sexes d'homme recherchaient un homme (leur moitié manquante), les femmes avec deux sexes de femme recherchaient une autre femme (leur moitié perdue) ; les androgynes hommes recherchaient la femme perdue et les androgynes femmes recherchaient l'homme perdu. 

C'est ainsi que, suivant que nous sommes issus des uns ou des autres, nous sommes homosexuels ou hétérosexuels. 

Cet amour, aux yeux d'Aristophane, est idéal car : 

-       exclusif : on recherche l'homme ou la femme de sa vie antérieure

-       définitif : quand on a trouvé sa moitié c'est pour la vie.

-       heureux : nous sommes comblé

-       mettant fin à la séparation et à la solitude

 

Ce serait donc l'amour rêvé, fusionnel.

 

Mais Aristophane a tort parce que :

-       il n'est pas vrai que l'amour soit exclusif : on est en principe presque toutes et tous amoureux plusieurs fois, que ce soit successivement ou, comme cela se produit parfois, simultanément (ce n'est pas parce qu'une femme trompe son mari qu'elle ne l'aime pas. Idem pour l'homme, évidemment).

-       Il n'est pas vrai que l'amour soit définitif. Qui n'a pas vécu l'expérience du désamour ?

-       Il n'est pas vrai que l'amour nous comble absolument. Nous pouvons aimer et être malheureux sur d'autres plans. L'amour ne suffit pas.

-       Il n'est pas vrai que l'amour met fin à la séparation et à la solitude. Même dans le coït et dans l'orgasme simultané, la dualité existe encore, on reste deux et il est impossible de savoir ce que l'autre a vécu. On demeure donc seuls.

Aristophane n'est pas dans la vérité.

 

Que dit Socrate ?

1/ L'amour est désir

2/ Le désir est manque

 

Ce qu'on n'a pas (ce dont on manque) et ce qu'on n'est pas, dit Socrate, voilà les objets du désir et de l'amour.

Voilà pourquoi, si souvent, le bonheur est manqué. Comme dit Aragon "il n'y a pas d'amour heureux".

Pourquoi ?

Être heureux dit Platon c'est avoir ce qu'on désire.

Seulement si le désire est manque, on désire ce qu'on n'a pas. On ne peut donc être heureux.

On rétorquera que certains de nos désirs sont satisfaits. Certes, seulement, dans ce cas, il n'y a plus de manque. Donc plus de désir. On a ce qu'on désirait… avant. Or être heureux ce n'est pas avoir ce qu'on désirait mais avoir ce qu'on désire, maintenant. 

 

EROS est donc le pôle du manque : IL N'Y A PAS, POUR PLATON, D'AMOUR HEUREUX.

 

On peut citer nombre d'exemples allant dans ce sens dans d'autres domaines. Qu'est-ce que je serais heureux si… Et quand on obtient ce qu'on désirait (si c'est le cas) on n'est pas heureux pour autant. Comme il n'y a plus de manque il n'y a plus de désir et on n'"aime" plus (ou beaucoup moins) ce qui paraissait indispensable à notre bonheur. Alors on se crée un autre désir… et ainsi de suite.

 

Tomber amoureux c'est découvrir que quelqu'un nous manque terriblement. On ne supporte pas de vivre sans elle (ou sans lui). Si on n'arrive pas à séduire l'autre, le manque fait souffrir. Si on arrive à le séduire et qu'on partage une vie commune, à force, la personne manque de moins en moins – puisqu'elle est là. On la désire donc de moins en moins. Et comme l'amour est désir, cette personne, on l'aime de mois en moins. Cela prend 6 mois ou 6 ans (chacun son rythme !) et un matin on se pose la question : suis-je encore amoureux ? (dire à la Saint Valentin : "Je t'aime comme au premier jour" est un mensonge. Gentil certes mais un mensonge…) 

 

Mais attention : ne plus être amoureux ne signifie pas qu'on n'aime plus (cf. la suite)

Cela signifie qu'on n'est plus en manque donc qu'on n'aime plus comme au début.

On n'est plus chez Platon mais chez Schopenhauer (ou Michel Houellebecq !) pour qui lorsqu'il n'y a plus de manque donc plus de souffrance il n'y a pas de bonheur pour autant mais de l'ennui. Ce dernier n'est pas le malheur ni le bonheur, c'est l'absence du bonheur au lieu même de sa présence attendue. 

(exemple différent et trivial : je croyais être heureux en acquérant cette voiture et quand je l'ai le bonheur n'est pas là. Je ne suis pas malheureux mais il y a ennui.)

Pour Schopenhauer notre vie oscille de la souffrance (parce que je n'ai pas) à l'ennui (parce que j'ai). 

 

POURTANT IL EXISTE DES COUPLES HEUREUX, ce que n'explique pas Platon. On doit donc avoir un autre regard : PHILIA.

 

PHILIA

 

PHILIA = L'AMOUR SELON ARISTOTE.

 

Signifie, en grec, l'"amitié" mais avec un sens plus large. 

(Dans le passé on parlait de son mari, de son épouse : "mon ami", "mon amie".) Montaigne appelait l'amour entre conjoints qui s'aiment : l'"amitié maritale".

 

Philia est donc l'amour de ce qui ne manque pas.

Pour Aristote l'amour est ce qui réjouit et non ce qui manque. Il est joie.

Et si aimer c'est se réjouir, Aragon a tort : l'amour étant joie, Il n'y a pas d'amour malheureux (sauf, bien sûr dans le deuil ou l'abandon de l'autre : les deux situations recréent le manque et nous sommes renvoyés à Platon)

 

Il faut faire intervenir Spinoza.

Il serait d'accord avec Platon pour qui l'amour est désir. Mais pas pour dire que l'amour est manque. Le désir pour lui est puissance. Pas dans le sens de  "pouvoir" mais : puissance de jouir et jouissance en puissance (dans le sens "puissance sexuelle")

Observons au passage que si Platon avait raison notre vie sexuelle serait encore plus compliquée qu'elle l'est. Car nous sommes capables de désirer qui ne nous manque pas (à noter cependant que certains hommes en particulier ne peuvent faire l'amour que quand ils sont seuls. Et lorsque la femme est là et se donne il n'y a plus d'érection. Sa "puissance" est absente – et on peut alors parler d'une forme d'"impuissance" en tout cas d'un "moment d'impuissance").

 

L'amour est une joie qu'accompagne l'idée d'une cause extérieure dit Spinoza. C'est-à-dire : "chaque fois que je pense à toi je me sens joyeux." C'est une déclaration d'amour très rare car elle ne demande rien. On est loin du contexte platonicien, où dire "Je t'aime" c'est dire "Tu me manques"  dans le sens "I need you" : c'est donc demander et même tout demander (= demander quelqu'un !)

 

Un couple heureux c'est un couple qui est passé de Platon à Spinoza : quand il n'y a plus de manque il reste la joie (même si dans le réel c'est un peu plus compliqué),

PHILA n'est pas moins d'amour. C'est plus d'amour.

Souvent, on voudrait (en particulier les jeunes-filles) qu'Eros dure toujours. Eros, la passion, peut durer toute une vie, c'est possible, mais à condition qu'elle soit malheureuse. Le manque peut durer très longtemps et on peut en mourir (Adèle H)

Il est important de comprendre la nécessité du passage à Philia si l'on cherche la joie. C'est plus de joie, plus de subtilité et de profondeur dans le plaisir, mais aussi plus de vérité (Eros aime non pas l'autre mais les illusions qu'il se fait sur l'autre = la cristallisation de Stendhal). Quand on finit par se connaître vraiment cela devient vite catastrophique. L'idéal est donc l'union de la joie dans la vérité,

Un ami est quelqu'un qui vous connaît très bien et… vous aime quand même !

 

AGAPÈ

 

300 ans après Aristote arrive Jésus : Aimez votre prochain…

 

Comment comprendre avec Eros et Philia.

Dieu n'est pas Eros ! Et on ne peut être amoureux du prochain, de tout le monde, de son ennemi.

 

Dieu n'est pas ton ami. L'ami c'est celui qui nous préfère. Dieu ne me préfère pas,

 

Donc pour l'amour évangélique et les premiers chrétiens l'amour qui se veut universel a été traduit par les latins : caritas et en français : charité.

 

Agapè est l'amour selon Jésus qui a son égal dans le registre philosophique avec Simone Weil (attention : pas Simone Veil !)

 

Qui a vécu une fois dans sa vie cet amour inconditionnel ?

Simone Weil cite Thucydide : "Partout et toujours par une nécessité de nature  tout être tend à affirmer au maximum sa puissance." C'est la logique de la guerre, de la politique, de l'économie, du sexe masculin donc Eros. "Tout homme est un tyran quand il bande" (Nietzsche)

Sauf quand il y a amour de charité (donc Agapè). Il réduit alors sa puissance ou renonce é l'exercer. Exemple de l'enfant à qui on va demander gentiment de cesser de faire ceci ou cela… ranger la chambre, trop de bruit… Par amour on va affirmer sa puissance… mais on peut aussi parfois renoncer à l'exercer…

Dieu renonce au max à exercer sa puissance. Ayant créé le monde il est tout le bien. Il ne peut faire mieux ni ajouter du bien. Dieu n'a pu créer que le mal dit Weil. Sans mal le monde serait parfait et il n'y aurait pas de monde mais seulement Dieu.

Dieu se retire, diminue sa puissance pour que quelque chose d'autre existe, C'est donc par amour – agapè.

Dans un couple heureux il se peut que l'un recule d'un pas. Exemple : Monsieur propose une activité alors que Madame a envie de pleurer. S'il sent le moment de faiblesse, Monsieur recule de deux pas. Par amour il n'exerce pas son "pouvoir aimant".

 

L'enfant commence par prendre (Eros) c'est normal. L'adulte doit apprendre à donner (Philia) pour ne pas rester infantile.

 

EN (BRÈVE) CONCLUSION : ces 3 amours ne s'opposent pas mais représentent un cheminement vers plus de maturité spirituelle.

 

YOGA EN MUSIQUE ?

 

La musique en tant que divertissement ne ravit pas seulement les amateurs de variété ou les mélomanes de tous crins. Depuis belle lurette, soigneusement choisie en fonction de l'objectif visé, telle ou telle musique peut jouer un rôle social non négligeable : inciter les soldats à marcher vers la mort, les clients à dépenser plus, les noctambules à "s'éclater" et à consommer, etc. 

Il suffit d'aller sur un moteur de recherche et de taper "Musique New-Age" ou "Musique de relaxation" pour se trouver face à des centaines de sites proposant des centaines de compositions – la plupart assez médiocres. 

Les bienfaits d'une musique adaptée, sont actuellement bien repérés : elle détend, favorise le sommeil, soulage l'anxiété et la douleur. Des chercheurs en neurosciences ont découvert que certaines d'entre elles ont le pouvoir de réduire la pression artérielle, d'activer la production de dopamine. Elles seraient efficaces pour traiter certaines maladies comme celle de Parkinson, l'épilepsie, la démence sénile, etc.[1]

 

Il n'est donc pas étonnant que certains professeurs de yoga aient recours à la musique, estimant judicieux de l'imposer à leurs élèves[2], "pour leur bien".

Leurs arguments sont pleins de bonnes intentions. Voici pour exemple ce qu'il est dit sur la page https://yoga.ooreka.fr/astuce/voir/305682/musique-et-yoga, une des premières, assez raisonnable, que nous avons trouvée[3] sur ce sujet :

"Le yoga est connu pour ses bienfaits au niveau de la santé et du bien-être. Si on lui ajoute de la musique, cette dernière peut également participer à l'ambiance, tout en incitant au mouvement et au fait de lâcher prise pour mieux se reconnecter avec soi-même.

L'addition de musique dans une séance de yoga ne peut être faite au hasard et il convient de la choisir précautionneusement afin d'en retirer tous les bienfaits. Nous faisons le point.

Pratique du yoga en musique Afin de calmer un trop grand nombre de pensées qui peuvent venir perturber une séance de Yoga, utiliser la musique peut s'avérer être une solution. Elle permet en effet de :

- calmer l'esprit et donc d'avoir un mental moins actif, moins présent ;

            - se concentrer plus aisément sur l'instant présent et les messages que peut faire parvenir le corps ;

- de bouger lentement ou en rythme."

 

Hormis les arguments "objectifs" cités plus haut, ajoutons ceux, plus personnels[4], de tel(le) ou tel(le) professeur(e) qui trouve cette option "super cool" (sic)… D'autant plus cool que le choix de la musique est ouvert : « On peut utiliser tout style, de Mozart à Justin Bieber en passant par Coldplay. Ce qui vous correspond et vous inspire sur le moment. » (suit une playlist de morceaux choisis). " Ce qui vous correspond et vous inspire" dit le texte. Qui est ce "vous" sinon le professeur qui décide donc, pour tout le groupe que, par exemple, Justin Bieber inspirera chacun ? No comment. Par honnêteté, précisons cependant que, dans la même page, les bienfaits du silence sont relevés. Mais pas de bon cœur… Ainsi Delphine, professeure, déclare : « Je ne diffuse jamais de musique à texte pendant le Savasana (la dernière pose de relaxation pendant laquelle on reste allongé pendant plusieurs minutes sur le dos en laissant le corps se relâcher et s’ancrer dans le sol). » Nous voilà à demi-rassurés : pas de musique à texte – donc pas de Justin Bieber ! – durant la détente finale. Et pourquoi pas le silence total ? Quant à l'auteur de l'article, Mathieu, il avoue : "Personnellement, j’ai testé une séance de yoga avec musique issue de bruit naturels (eau qui coule, sons de la nature, cascades...) et ce genre de mélodie harmonieuse peut vous aider à apporter la petite touche finale de bien-être. Mais attention vous risquez de vous endormir !" Mathieu est observateur mais il reste évident que pour lui la seule fonction du yoga est de se sentir bien…

 

Que penser de tout cela ?

Essentiellement que la plupart des arguments en faveur de la musique durant un cours de yoga sont les mêmes qu'on pourrait avancer pour un cours de stretching ou de fitness. Ils témoignent d'un manque de réflexion et manifestent une dérive actuelle évidente. Et une dérive de poids, le yoga se réduisant à une gymnastique du corps et de l'esprit. Pourquoi dès lors ne pas trouver un vocable autre que "yoga" pour une activité qui s'en écarte de plus en plus souvent ? Si ses bienfaits sont indéniables dans les deux domaines, physique et mental, il n'a pas pour but premier d'apporter plus de confort ou, comme on dit plus pudiquement – et improprement –, de bien-être[5]. Il faut se rendre à l'évidence, la dimension spirituelle, essence même du yoga, semble oubliée dans ce yoga dégénéré. 

Il y a fort à parier que les partisans d'un yoga sonorisé ne conçoivent ou ne perçoivent ni le rôle du silence ni, a contrario, les effets perturbants d'un support musical sur une conscience qui cherche à se déployer. De fait, et c'est plus grave, ils semblent ignorer totalement la  nature de la démarche dans laquelle le yoga originel (comme celui de Patanjali) engage cette conscience…

Les plus grands maîtres indiens dont les âsana sont encore conservées par les professeurs "sonophiles", n'ont jamais accompagné leur pratique de musique alors qu'ils en auraient eu la possibilité. Dieu sait pourtant qu'elle est inspirante… Manque d'imagination ? Non, bien sûr, mais ils ne mêlaient pas tout : il y a un temps pour se recueillir en s'aidant d'un râga et un temps pour rejoindre, dans la nudité du silence, le bruissement silencieux de l'âme. Oublier ses tracas, remplacer le bavardage du mental par le bavardage – même harmonieux ­– de la musique,  se détendre, se défouler, tout cela est sans doute positif mais ce n'est pas le rôle du yoga. 

Comment pourrait-on par ailleurs "lâcher prise" (sic) que ce soit avec du Mozart ou du Metal berlinois, alors que c'est elle, la musique, qui nous prend ? Comment, grâce à elle, "se reconnecter avec soi-même" (sic) ? Et puis qu'entend-on précisément par cette expression très mode – "se reconnecter avec soi-même" ?[6]… La découverte de qui je suis, la recherche d'unité (cf. le sens du mot yoga) exige une plongée dans les profondeurs de l'être en dépassant les émotions qu'au contraire la musique vise à provoquer. Y compris une symphonie ou un kirtan indien. Même si elle favorise une certaine intériorité, la musique la plus sublime est convertie par l'oreille en messages nerveux (organe de Corti) et crée des émotions localisables dans une zone du cortex cérébral. On reste dans le corps. Ce n'est pas en soi une faiblesse, évidemment, mais le yoga vise au-delà.

 

Et le Aum, les mantra, dira-t-on ? Ne permettent-ils pas, dans certaines conditions, l'accès à cet "au-delà" du corps ? Certes, mais lorsqu'un Maître intervient par ce biais, il ne s'agit pas pour lui de créer une "nappe sonore" en vue de déstresser ses disciples ! Il s'agit d'opérer une percée souvent fulgurante dont le but n'est pas d'anesthésier mais au contraire d'éveiller à plus grand que soi. 

Une musique peut certes inspirer, affiner les perceptions, nous transcender et même nous faire changer d'état de conscience. Mais l'utiliser comme fond sonore sur lequel on plaque un cours de yoga ne valorise ni la musique ni le cours. Laissons ce type de cocktail aux supermarchés ou aux salons de massages. S'il est inspirant de "s'envoler" en écoutant Deva Premal, Anouchka Shankar ou Tina Turner lorsqu'elle interprète des chants sacrés bouddhistes ou hindouistes, il est préférable d'avancer en yoga sans une béquille musicale dont on risque de ne plus pouvoir se passer. 

 

Intégrer systématiquement la musique à un cours yoga (une "ponctuation" musicale pouvant en revanche très bien se justifier) ce serait à l'extrême se préparer à admettre ce qui existe déjà, par exemple dans ce centre de yoga de Chelsea[7] : le "yoga nu" dont la justification est "la célébration du corps et de ses différentes formes", "la confiance en soi, la connexion (encore !) avec soi-même et avec les autres"… Mais n'est-il pas vrai qu'on peut tout justifier ? Innover… tel est le moyen par lequel on se rassure, on nourrit son ego et son compte en banque. Modifier ce qui a été mis en place depuis des millénaires par des Êtres inspirés en prétendant l'améliorer est une marque de présomption inepte et stupide. Bien sûr, se recueillir silencieusement, aller vers plus de verticalité, cela ne se voit pas et n'impressionne personne ; c'est trop simple, un peu aride, donc pas très fun ni cool. Mais c'est le seul moyen permettant de pratiquer un yoga pouvant mériter encore ce nom. 

 

                       Gérard Duc



[1] De Silvia Bencivelli, journaliste scientifique in Futura-sciences, 15-12-2017 

[2] Ont-ils conscience que, dans un groupe, certains élèves puissent être dérangés et par la présence de musique et par le type de musique choisie ? Ce non-respect de la liberté des individus est-il de nature très yogique ?

[3] Nous avons vu par ailleurs cette remarque sur laquelle nous ne nous arrêterons pas :

"Bon à savoir : certains professeurs peuvent faire le choix d'utiliser des musiques plus modernes telles que le rock'n'roll, la pop ou encore la techno."

[4] Tout ce qui suit dans ce paragraphe est tiré de la page : https://www.superprof.fr/blog/playlist-pour-le-yoga/

[5] Après tout le "bien-être" peut se trouver dans une foule d'activités qui n'ont rien à voir avec l'"être" tel qu'il convient de l'entendre sur le plan philosophique ou spirituel.

[6] *Se connecter" suppose un câblage horizontal de type informatique. Un certain vocabulaire actuel, très "branché" (!), influence nos schémas de pensée en les appauvrissant.

[7] Bold and Naked Yoga de Monika Werner et Joschi Schwarz