Rencontre sur le Mékong

lundi 4 février 2013

PERES DU DESERT et YOGI

Une même volonté de Réalisation



Il ne s'agit pas de faire du syncrétisme non plus que de relier artificiellement deux croyances aussi différentes que le Christianisme et l'Hindouisme mais, au-delà des divergences souvent dogmatiques, la même quête d'absolu et des moyens souvent proches.





Les pratiques de ces moines des IIIe et IVe s. qui vécurent souvent en ermites dans le désert égyptien, ne sont pas très connues. Eux-mêmes s'efforçaient de les cacher aux profanes. Ce qu'on en sait nous est parvenu par de brèves sentences appelées "apophtegmes".

Leur croyance était fondée sur le Christianisme mais ils étaient quelque peu suspects aux yeux de l'Eglise officielle qui les qualifiait de "frères séparés".

En parcourant les recueils rassemblant ces apophtegmes, on ne peut s'empêcher d'être frappé non seulement par leur forme souvent percutante qui les apparente aux aphorismes des Maîtres indiens, mais également par le fond.

Il ne s'agit pas de faire du syncrétisme non plus que de relier artificiellement deux croyances aussi différentes que le Christianisme et l'Hindouisme mais, au-delà des divergences souvent dogmatiques, il est un fonds commun incontestable. La source de toute véritable religion ne peut qu'être unique si le Divin est unique. Aussi diverses que soient les démarches (aussi diverses, en fait, que le sont eux-mêmes les humains), on le sait bien, le but visé est de dé-couvrir ( = ôter le voile qui masque) la part intérieure qui nous relie à l'Origine et réaliser (= rendre réelle, effective) l'union avec cette Origine, en nous libérant de toutes les illusions qui nous en séparent.

C'est sans doute pour cette raison que, dans certaines pensées ou pratiques issues de la démarche ascétique des Pères du désert, nous découvrons une parenté parfois étroite avec la tradition propre au yoga.

D'abord le fait que les paroles rapportées sont succinctes, parfois sibyllines car issues des dialogues entre un Instructeur et ses disciples, dialogues dont la retranscription écrite demeure souvent incomplète ou laconique.

Le sujet central concerne la plupart du temps le problème du Salut (les moines du désert sont appelés parfois "Oi thelontes sôthênai" : "ceux qui veulent être sauvés"). Toute leur existence est donc tendue vers cette volonté exclusive : se "libérer" des liens qui enchaînent l'homme au "monde" (songer à l'adjectif "mondain" avec ce qu'il suppose de futile). Le terme de "voie royale" (voie dite par eux comme "la plus courte et la plus sure") se retrouve fréquemment dans les textes. Comment ne pas songer au terme de "Raja-Yoga" ? Les exigences de cette voie sont, entre autres, l'abandon de la famille et de tous les biens matériels – ainsi font également en Inde les Sannyâsin (et les sâdhu, mais ces derniers ne sont pas moines).

Les Sages ("Anciens") tels Antoine, l'abbé Macaire, etc. sont considérés comme les plus directs représentants de "Dieu sur terre" ; on écoute leurs paroles parce qu'elles sont habitées par l'Esprit (= le Souffle) et sont "paroles de Dieu" (sic).

Les disciples qui interrogent ces Anciens connaissent les saintes Ecritures, les conseils et préceptes qu'elles contiennent. Alors, pourquoi tant de questions posées ?
C'est qu'ils attentent des vieillards qu'ils les guident dans le choix des moyens d'accéder au Salut, qu'ils leur indiquent la voie convenant le mieux à la situation concrète et spirituelle dans laquelle ils se trouvent. Ils désirent fréquemment une seule chose, une formule simple, facile à retenir. Comment ne pas penser à la recherche du mantra indien [1]  ?

Certains moines faisaient vœu de silence pour une période plus ou moins longue (l'Abbé Dioscore, par exemple, entreprenait chaque année une pratique, se proposant de ne voir personne ou bien de garder le silence pour tout l'an)[2].

Il ne semble pas que ces Pères du désert aient pratiqué à proprement parler de postures pouvant rappeler le yoga. Néanmoins le corps n'est pas nié (comme il le sera plus tard) ; au contraire, il joue un rôle important, en rapport avec la pratique intérieure et spirituelle : "Un frère interrogea un vieillard : qu'est-ce que la culture de l'âme pour que celle-ci porte des fruits ? Le vieillard répondit : la culture de l'âme consiste en ceci : l'hésychia du corps, beaucoup de prière somatique (c'est-à-dire vocale)[3]".

L'assise silencieuse est également pratiquée "A Scété, un frère vint trouver l'abbé Moïse pour lui demander une parole. – Reste assis dans ta cellule, lui répondit-il, elle t'enseignera tout." (op. cit.)

C'est surtout par le travail que le corps remplit une fonction essentielle, un travail qui se fait dans la prière continuelle, sans l'attente des fruits. Perspective qui n'est pas sans évoquer la Bhagavad-Gîta. Dans un cas comme dans l'autre, ce n'est pas l'homme qui agit mais le Divin à travers l'homme : "Un frère interrogea l'Abbé Moïse : En tout labeur de l'homme, qu'est-ce qui lui vient en aide ? Le vieillard répondit : c'est Dieu qui vient en aide." (op. cit.)

Quant aux miracles (les siddhi indiens), ils sont fréquents : fauves amadoués, marche sur l'eau, puits à sec de nouveau alimenté, etc. Un certain Abbé Paul déclarait ainsi : "Lorsque quelqu'un a acquis la pureté, toutes les créatures lui sont soumises, comme elles l'étaient à Adam dans le Paradis avant qu'il ne désobéît à l'ordre de Dieu".

Que conclure ?
Ces points de convergence entre les Pères qui vivaient dans le désert et les yogi qui vivaient dans la forêt (cf. les Āraṇyaka) ne cachent pas les divergences évidentes entre les deux types de croyance. Mais cette rapide mise en perspective ne peut que rassurer quant à l'universalité de l'Essentiel et aussi à la validité encore très actuelle de certaines pratiques, également universelles, permettant d'y accéder.

GD


Quelques apophtegmes (source : www.missa.org)

"Théophile, l'archevêque d'Alexandrie, vint un jour à Scété. Les frères qui étaient réunis, demandèrent à l'abbé Pambo de dire quelques mots à l'évêque pour l'édifier. Mais il répondit : " S'il n'est pas édifié par mon silence, il ne le sera pas par mes paroles".

"Abba Poémen
 - Un jour qu'Abba Isaac était assis chez l'Abba Poémen, on entendit le cri d'un coq. Il lui dit : "Il y a donc cela ici, Abba ?". Le vieillard lui dit : "Isaac, pourquoi me forcer à parler ? Toi et tes semblables, vous entendez cela. Mais celui qui est vigilant n'en a nul souci".

" Un ancien a dit : " Si un moine prie seulement quand il est debout pour la prière, il ne prie pas du tout".

"On demanda à un ancien : " Que faut-il faire pour être sauvé ? " Il tressait des palmes ; sans lever les yeux de son ouvrage, il répondit : " Ce que tu vois là. " (Abba 52)







[1] On ne peut à ce propos passer sous silence la parenté unissant le "japa" indien et la "prière du cœur" (voir Petite Philocalie de la prière du cœur, ouvrage présenté par J. Grouillard, coll. Sagesse, éd. A. Michel).
Et, de même, ne croirait-on pas lire un traité de yoga lorsqu'on découvre les conseils… d'Ignace de Loyola (qui, soyons clair, n'est pas un "Père du désert" puisque né en 1491 et fondateur de la Compagnie de Jésus) : " La troisième manière de prier consiste à chaque inspiration ou expiration à prier mentalement en prononçant chaque mot du Pater Noster ou de toute autre prière qu'on récitera ern ne prononçant qu'un mot entre l'une et l'autre respiration."
[2] Cette pratique est fréquemment rencontrée en Inde – Chandra Swami, pour ne citer qu'un exemple, garde le silence depuis plusieurs dizaines d'années et répond aux questions par écrit. En revanche il éclate de rire sans chercher à se retenir – son silence est joyeux !
[3] Les sentences des Pères du désert, Abbaye Saint-Pierre – Solesme, 1966.

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