Satya (Yoga-sutra II, 36) : véracité – ou : authenticité, bonne foi, sincérité…
"Véracité"... Pourquoi pas "vérité" ? Parce que "vérité" s'oppose à "erreur" tandis que "véracité" désigne la qualité de celui qui "dit la vérité ou croit la dire" (Le Robert). Nous sommes donc sur le plan qui nous concerne – il n'est en effet pas question de prétendre dire la "vérité" : à moins d'être un sage réalisé, nous ne sommes jamais à l'abri de l'"erreur". En revanche, cela ne nous dispense pas de viser à la bonne foi.
"Être
vrai" c'est donc se conformer à une attitude qu'on croit vraie ; c'est se
refuser à la mauvaise foi, à la duplicité, ne mentir ni à autrui ni à soi-même.
Ce
n'est pas facile et surtout ce n'est pas une garantie contre l'erreur, ni le
mal (si on admet son existence) : le pire des tyrans peut être en accord avec
ce qu'il croit vrai.
Lorsque
un couple se déchire, il se peut fort bien que chacun soit honnête avec
soi-même et soit dans "sa vérité" même si, a priori, deux vérités opposées
ne sont pas concevables, "la" vérité ne pouvant être multiple.
A la
véracité il convient donc d'ajouter la volonté de justice, le non-attachement,
le souci – voire l'amour du prochain… le désintéressement, en fait : la liste
des yama !
Lors
d'une situation conflictuelle, être dans satya
suppose un renoncement de taille : celui du narcissisme et de l'égoïsme.
Comment être vrai (donc juste) si l'on cherche à faire passer ses propres
intérêts avant ceux d'autrui ? Cela implique que l'on reconnaisse ses
faiblesses comme faiblesses. Penser, agir juste, la plupart du temps, ne peut
aller sans conflit intérieur, sans angoisse et sans souffrance. Un tiraillement
entre le désir humain d'utiliser son intelligence pour triompher abusivement de
l'autre et l'exigence spirituelle du renoncement à mentir – ne serait-ce que par omission.
Si
je réussis à ne pas faire passer au premier plan mes propres intérêts, si
j'accepte de me voir tel que je suis, que je renonce à maquiller la réalité
dont j'ai connaissance (ce qui est un peu ennuyeux : l'ignorance évite la
culpabilité !), il n'en reste pas moins que tout n'est pas résolu. En effet, il
est tentant de se considérer comme on voudrait être, et difficile de se voir
tel que l'on est… Il est facile de s'abuser et, en conséquence et en toute
"honnêteté", de se prévaloir de son bon droit alors qu'on est en
plein mensonge.
Se
reconnaître tel que l'on est (donc avec ses petitesses) suppose une harmonie
entre soi et soi qui permet d'être vrai, alors que se croire tel qu'on aimerait
être implique une dysharmonie : celle de l'amour-propre. L'amour-propre vise
d'abord l'assentiment d'autrui au détriment de sa propre vérité. Je cherche à
paraître "aimable" parce que je suis convaincu de l'être : sans le
savoir je joue donc un rôle et ne puis dès lors être "vrai".
Dysharmonie… avec toutes les conséquences fâcheuses (fâcherie, colère, maladies
diverses) que je ne m'expliquerai pas avant de me reconnaître un beau jour tel
que je suis réellement.
Combien
de personnes crient-elles à l'injustice de la vie ? Celle-ci, la vie, fait
pleuvoir sur elles des événements négatifs… qu'elles créent sans s'en rendre
compte parce que les rapports établis avec autrui sont entachés de mensonges
inconscients et d'attitudes en désaccord avec la vérité des situations…
Si ne
pas dire la vérité à autrui peut être parfois une exigence morale (la sincérité
à tout prix avec n'importe qui dans n'importe quelle circonstance peut être
meurtrière), ne pas se la dire à soi-même lorsque cela se peut, est
inexcusable.
Se
croire toujours dans la véracité c'est s'en interdire l'accès. Mieux vaut systématiquement
examiner si aucune part de mauvaise foi ne pervertit nos actes apparemment les
plus irréprochables lorsqu'un intérêt quelconque est en jeu. Car nous sommes
facilement enclins à mêler le vrai et le faux, pour à la fois préserver nos
propres intérêts (matériels, psychologiques ou spirituels) et, en même temps,
échapper à tout risque de critique – y compris pour les plus scrupuleux,
d'autocritique – la plus dérangeante, évidemment.
Satya,
comme tous les yama, peut être mis en pratique avec une certaine insouciance ou
bien avec la conscience aiguë des exigences qu'il suppose. Une âme
"simple" n'aura sans doute pas à faire face aux mêmes questionnements
(voire aux mêmes tentations) qu'un esprit affûté. La nature même des
prescriptions patanjaliennes peut
être perçue de manière très différente… Faire ce constat c'est être ramené à la
différence – parfois même à la distance qui existe entre la vérité et la véracité. Nous laisserons à chacun le loisir de méditer sur cette
réalité sémantique qui recouvre une réalité rien moins que métaphysique…
GD
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