Pour mieux comprendre les Upanishad...
"Âtman" et "brahman"[1], termes omniprésents dans
les Upanishad, recouvrent un sens fondamental dont il convient de bien saisir
la nature - autant que faire se peut… En effet, ces notions d'ordre métaphysique
s'appréhendent sans doute plus par l'intuition que par la raison.
Âtman-brahman
L'un et l'autre sont Sat (= ce qui est), Tat (= Cela), autres dénominations de l'absolu, du "Un-sans-second".
Bien qu'étant identiques dans
leur essence, l'âtman et le brahman sont parfois différenciés en ce sens que
l'âtman est considéré comme le brahman individuel, le brahman étant l'âtman
universel : "Le brahman réside dans
le cœur [il porte alors le nom d'Âtman] Les sages qui le contemplent au dedans
de leur âme, ces sages-là possèdent, et non d'autres, le repos éternel"
(Kâthaka Upanishad, II, V, 12-13).
Atman
Voici quelques caractères propres
à l'âtman (si l'on peut dire, puisqu'il est inqualifiable) tels qu'on les
trouve dans quelques Upanishad :
"Tu demandes ce que c'est que le Brahman ? C'est ton propre Âtman qui
est intérieur à tout !" (Brihad
Âranyaka Upanishad III, 4-5).
"L'Âtman doit être perçu au moyen de l'Âtman même que l'on désire
connaître. L'Âtman de celui qui désire connaître l'Âtman trouve sa propre
essence" (Mundaka Upanishad,
III, 2-3).
"Sa forme n'est pas un objet visible. Nul ne saurait le voir avec l'œil.
C'est par le cœur, par la pensée, par l'esprit qu'on le perçoit" (Kâthaka Upanishad, II, VI, 9).
"Cet Âtman ne peut être atteint ni par l'étude, ni par la science"
(Kâthaka Upanishad, I, II, 22).
La Brihad Âranyaka Upanishad s'arrête longuement sur la nature de l'âtman
:
"L'Âtman […] réside à l'intérieur du cœur, le Purusha qui est lumière.
Restant identique, il passe d'un monde à l'autre, semble penser et se mouvoir".
Il est "ni ceci ni cela […]
insaisissable […] indivisible […] indépendant […] sans liens, il ne souffre
pas, il ne périt pas." (III, IX, 26). "L'essence de l'homme [Purusha], l'Âtman
intime réside éternellement dans le cœur de tout homme. Patiemment on doit
l'extraire de son propre corps, comme la graine de son enveloppe" (VI,
17). "On ne le voit pas et il voit,
on ne l'entend pas et il entend, on ne le pense pas et il pense, on ne le
connaît pas et il connaît" (III, VII, 31).
"Cet Âtman qui est caché dans tous les êtres ne se manifeste pas. Mais
il est perçu par l'intelligence pénétrante de ceux qui perçoivent les choses
subtiles" (Kâthaka Upanishad,
I, III, 12).
Brahman
Le brahman est très fréquemment
évoqué. Ainsi la Svetâsvatara Upanishad
décrit longuement "l'Être éternel
qui réside en lui-même". N'en citons qu'un court extrait : "Il est cet univers, il est le passé et
l'avenir, il est le maître de l'immortalité. Il est l'arbitre de l'univers
mobile et immobile… Il est le premier, le grand esprit… Il est le dieu unique
qui, pareil à l'araignée, s'enveloppe par son essence, à l'aide des fils du
pradhâna [la Nature]. Il est unique, il est libre, il est celui qui multiplie
la semence unique des âmes individuelles. Il est l'agent de toutes choses,
l'omniscient, la matrice et le moi, l'auteur du temps, le possesseur des
qualités, le maître de l'indéveloppé et de l'Âtman individuel, la cause de la
transmigration et de la délivrance" (III, 12 et sq.). On retrouve
fréquemment ce même type de longue énumération comme si les auteurs voulaient
donner l'équivalent stylistique de la profusion métaphysique : le brahman est
tout et son contraire ! Ainsi la Mândûkya
Upanishad (6, 7) après nous l'avoir présenté ("Il est le Seigneur de toute chose, il est omniscient, il est le
régisseur interne, il est la matrice de l'univers, il est le commencement et la
fin des êtres. C'est l'Âtman, c'est celui qu'il faut connaître"), nous
laisse face à des qualificatifs que notre raison ne peut concilier. C'est bien
là le but de l'auteur, brahman-âtman échappant par essence à toute
conceptualisation : "Sans
intelligence interne, sans intelligence externe, n'étant pas non plus un
faisceau d'intelligence, n'étant ni intelligent ni inintelligent, invisible,
échappant à toute relation, imperceptible, sans signe distinctif, ne tombant
pas dans la pensée, ne pouvant être décrit, ayant pour essence l'idée
d'homogénéité… tel est l'état suprême du Brahman".
Pourtant certains textes
n'hésitent pas à le personnifier : "Lui
seul reste éveillé dans la destruction de l'univers […] C'est par lui que cet
univers est médité, c'est en lui qu'il revient se dissoudre." (Maitri Upanishad, VI, 17). Cela peut
aller jusqu'à une forme de dualisme (les Upanishad restant cependant de nature moniste).
"Cet être éternel qui réside en
lui-même, supérieur à tout ce qui peut être connu […] hommage à ce dieu qui est
dans le feu, qui est dans l'eau, qui pénètre dans le monde entier, qui est dans
les plantes, qui est dans les arbres […] Il est le premier-né, il est dans la
matrice…" (Kâthaka Upanishad,
II, V, 9). Même regard, encore plus appuyé, dans la Svetâsvatara Upanishad : "L'Âtman
individuel est enchaîné par suite de sa nature de jouissant ; quand il connaît
le Divin il est délivré de toutes ses chaînes" (I, 10). Ce dualisme
annonce le Sâmkhya - alors que le monisme est caractéristique du futur Vedanta.
Le dénominateur commun
Presque toutes les Upanishad
n'ont d'autre but que d'enseigner aux adeptes à s'identifier avec l'"âme"
universelle, à devenir cette "âme". De cette fusion jaillit la
délivrance (moksha), le salut.
La plupart des Upanishad se
terminent par un hymne sur la félicité (ânanda) de l'absorption mystique :
"Celui qui connaît Brahman, l'être
suprême, devient Brahman lui-même, il traverse le chagrin, il traverse le
péché, délivré de ses liens, il devient immortel" (Mundaka Upanishad, III, II, 8). De même
la Maitri Upanishad s'achève sur
l'extase qui résulte de cette union avec le Tout, union de l'ascète "dont les sens sont absorbés comme dans le
sommeil…"
La conception du salut ainsi
développée dans les Upanishad aboutit à la discipline du yoga.
GD
[1] A ne pas confondre avec Brahmâ (écrit plus rarement Brâhman) un des trois dieux majeurs, ni avec brâhman désignant aussi le nom du prêtre chargé des sacrifices
dans les cultes védiques. L'absence de majuscule concernant les deux réalités
étudiées dans cet article vient du fait qu'il ne s'agit pas de noms propres
(encore moins de personnes) mais de notions métaphysiques – comme on écrirait
l'"âme", sachant que ce point de vue n'est pas partagé par tous les
auteurs (la majuscule peut pointer le caractère absolu d'une notion) ; d'où
l'écriture (Âtman, Brahman) que vous rencontrerez ici ou
là - dans certaines citations par exemple.
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