Se laisser vivre ou inventer sa vie ? Se laisser porter par le courant ambiant ou ramer à contre-courant ?
Quel genre de personne suis-je, et qui suis-je par rapport aux autres ? Notre conscience devient ce dont elle se nourrit. Et la qualité de notre identité dépend des choix dont nous restons toujours les maîtres...
Tout seul sur une île déserte, comment saurais-je qui je
suis vraiment ?
J'ai besoin d'autrui pour savoir qui je suis. Parce que
j'interagis avec mon environnement et que les réactions des autres à mon égard,
et aussi mes réactions à l'égard des autres, m'offrent des éléments
d'appréciation concernant mon comportement et ce qui le sous-tend – à savoir ce
qui me constitue profondément, ce qui est ma nature réelle.
Cette nature ne m'est pas imposée. Bien sûr, il y a
l'hérédité, tous les conditionnements subis dans ma prime jeunesse surtout
(environnement familial, social, scolaire, etc.) mais je reste le pilote et,
même si certaines limites me sont imposées, je peux choisir de monter ou de
descendre, d'infléchir ma trajectoire, modifier l'orientation prise. Une
liberté demeure.
Par rapport à autrui, j'ai donc le choix de me comporter
comme ceci ou comme cela, de devenir ceci ou cela.
Nous allons déterminer les comportements possibles de façon
binaire. Ce sera sans doute un peu simplificateur mais aura le mérite d'être
clair.
Sur le chemin de la vie, un peu comme le petit chaperon
rouge, nous sommes souvent amenés à choisir entre deux voies qui se présentent.
L'une est la plus fréquemment empruntée. Elle est large,
plane, bref elle est plus facile
donc plus attirante. La plupart des voyageurs la choisissent. Nous sommes au
vint-et-unième siècle : c'est une autoroute.
L'autre est moins fréquentée : elle monte, elle est plus
étroite, demande des efforts, elle est donc moins séduisante et, partant, peu
fréquentée. Nous sommes au vint-et-unième siècle et pourtant c'est un sentier.
Traduction : dans nos comportements individuels et dans nos
relations avec autrui nous pouvons agir comme la majorité ou bien, pour les
raisons que nous verrons, opter pour une manière de faire – donc, forcément,
une manière d'être beaucoup moins répandue. Êtes-vous un mouton ou un rebelle ?
A vous de voir…
MOI dans le monde – mon identité.
L'homme
unidimensionnel
En d'autres termes, c'est vivre au niveau du corps et des
émotions – pas au-delà. Je vise surtout à satisfaire mes besoins, à accomplir
les désirs imposés par mes pulsions : possession, amplification compulsive de l'avoir,
consommation à tous les niveaux. Je constitue un excellent client pour tout ce
que l'économie de marché me propose et à laquelle je contribue par mon travail.
Je ne me casse pas la tête avec des problèmes existentiels et vais là où le
vent du confort et du système D me poussent. Je suis un efficace qui veut
recueillir vite ce qu'il a semé (investi) afin d'accroître ses revenus –
financiers, sentimentaux - c'est pratiquement la même chose. Quelques-unes de
mes expressions favorites : "Aller de l'avant ; j'en veux ; faut se bouger
; je l'aurai ; on n'a qu'une vie, hop hop faut qu'ça roule ; combien ?"
1bis/ Le sentier
délaissé : recherche incessante d'ouverture sur mes différents plans. L'homme
multidimentionnel
J'ai conscience de posséder plusieurs plans d'existence (physique, mental, émotionnel, spirituel…) et m'efforce de les développer de
façon harmonieuse. Je cultive cette conscience par laquelle je puis accéder à
d'autres plans plus verticaux qu'horizondaux. Je vais en profondeur, j'explore,
ne suis pas un boulimique de la possession, vise plus la qualité de l'être
que la quantité de l'avoir. Actif mais pas hyperactif, je sais marquer des
pauses, rentrer en moi-même, débusquer mes travers, solliciter des ressources
intérieures autres qu'exclusivement intellectuelles.
2/ L'autoroute
fréquentée : vive la variété, la multiplication des expériences sensuelles !
L'homme morcelé et extraverti.
Morcelé et protéiforme : je me fais caméléon pour pouvoir fouiner partout sans être ennuyé, me déguise
pour expérimenter ce qui me séduit, goûte à tous les plats savoureux que les
circonstances me proposent. Je m'éclate – et le mot dit bien cette tendance à
me morceler, cette quête incessamment renouvelée, cette profusion multiforme
dans laquelle je me complais. Je mets toute mon énergie à vivre de façon
centripète, zappe sans cesse, picore à gauche et à droite dans une frénétique
volonté de ne rien laisser passer. Je consomme à outrance des biens matériels
ou, si je suis un intellectuel, des connaissances, des livres, des théories
(l'une remplaçant l'autre, au gré des découvertes). J'adore la fréquentation
des gens, bavarder avec tout le monde, multiplie les relations, en change sans
cesse, prends, laisse, vise à séduire mon entourage quel qu'il soit, ne peut rester seul sans
être en état de manque, se solitude insupportable.
2 bis/ Le sentier
délaissé : recentrage, recherche d'autonomie et d'indépendance, de stabilité
intérieure. L'homme unifié et intérieur.
L'observation de ce qui m'entoure, avec la prise de distance
critique que cela suppose, est mise à profit pour un retournement par lequel je
vise d'abord à me connaître mieux. Réalisant que le mental est avide de
changement, je ramène sans cesse ma conscience à un point central, me glisse
dans la position du "témoin" (cf. Patanjali), oriente le plus souvent
possible mon attention vers le "point-source" afin de mettre fin aux
fluctuations mentales qui m'agitent et me perturbent (cf. "yoga chitta vritti nirodha"). Bien
que sociable, je vis des relations de qualité, fuyant le plus possible les mondanité superficielles et m'attache à établir des liens profonds plutôt que de jacasser
sans cesse. C'est pourquoi la solitude est pour moi une nécessité. Elle m'aide
à "me rassembler", à "me recentrer".
LE MONDE et moi ; la place des autres
3/ L'autoroute
fréquentée : l'évasion, la fuite dans le virtuel, les attentes incessantes. La
négation des autres. L'homme aveuglé.
Au "vrai monde" je substitue un monde imaginaire, répondant à
mes désirs de plus grande jouissance. Bien qu'adulte, je considère la vie comme
un jeu video : il y a les "amis" (aussi peu réels que ceux de
Facebook) et les ennemis à abattre. Mon entourage est en effet composé de deux
types d'individus : ceux qui collaborent avec moi et les concurrents- adversaires qui m'en veulent, les jaloux !
Je ne vois pas le monde tel qu'il est mais tel que je le
désire ou le crains. Je "projette" sans cesse, en affaires et en amitié comme en
amour. Les autres ? ne m'intéressent pas sauf si j'y vois un intérêt pour moi.
Ils doivent être à mon service. Au pire, me rendre service.
J'adore les images faciles – type publicité, photos de
reportage niais – qui me montrent la réalité
sans laisser de place aux incertitudes déstabilisantes ; les images qui disent
tout (sauf la vérité), sans blabla compliqué, celles qui ne renvoient à aucune intériorité. Je
n'aime donc pas beaucoup l'art (surtout l'art abstrait) dès qu'il exige un
questionnement personnel – c'est une prise de tête inutile.
3bis/ Le sentier
délaissé : regard sans concession sur la réalité, recherche incessante de ce
qu'elle est et de ce que sont les autres. L'homme lucide.
Débusquer les faux-monnayeurs, distinguer les vessies des
lanternes me paraît primordial. Adhérer à ce qui est, choisir la poésie comme poésie, l'imaginaire comme imaginaire
pourquoi pas, mais non pas confondre le réel et les images du réel interprété.
Je suis conscient que les univers virtuels que font miroiter les vendeurs en
tous genres ne sont que des miroirs aux alouettes destinés à nous plumer. C'est
vrai dans beaucoup de domaines, y compris spirituel. Les faux dieux abondent
et font recette. Il convient de les percer à jour et surtout de ceux
édifiés par mon désir d'absolu. Ce que je souhaite être n'est pas ce que je
suis et je dois être vigilant : endosser un costume de personnage plus parfait que
celui qui le porte est tentant. La vie n'est pas un théâtre et je ne joue pas à
faire semblant – sans quoi je passe à côté de toute vérité.
Autrui me renvoie à ma responsabilité. Je ne le réduis jamais à mes
désirs et tente de faire silence en moi pour entendre ce qu'il cherche à me
dire – parfois au-delà des mots.
A l'image je préfère l'écrit : j'y suis beaucoup plus
impliqué, un texte n'est pas univoque et la richesse des sens possibles empêche
toute confiscation de mon intériorité – pour peu que je conserve mon esprit
critique et cette aptitude à la délibération attentive et honnête.
4/ L'autoroute
fréquentée : le divertissement d'abord donc l'inculture. L'homme superficiel.
Les futilités sont ma nourriture préférée : ma
"culture" se borne à connaître quelle star va épouser quelle autre
star après avoir quitté cette star. Pareil pour les émissions TV : le clinquant
des images, de la musique et la logorrhée creuse des présentateurs me font
passer d'agréables moments – me "vident la tête" (mais de quoi
est-elle remplie ?) Platon et sa bande d'intello chiants, non merci, pas pour
moi ! La Bible, la Bhagadad-machinchose, pas mieux ! Quand je pense, c'est pour
calculer, peser le pour ou le contre de l'opération qui va me rapporter un max
et satisfaire mes appétits de richesse, de pouvoir, de célébrité. Si je me
cultive un peu, par exemple en lisant le dernier Goncourt, c'est pour briller,
séduire ceux que je vois comme des clients potentiels (en affaire ou en amour).
4bis/ Le sentier
délaissé : la connaissance de l'humain et de l'univers pour plus de liberté
vraie. L'homme cultivé.
Je n'apprends pas pour apprendre mais pour comprendre. Pour
avoir une "tête bien faite". Pour distinguer l'essentiel de
l'inutile. La philosophie m'aide à progresser vers ce qui est authentiquement
humain. La connaissance des grandes traditions et des religions m'offre des
repères pour une route menant à plus de sens. La poésie et l'art sont autrement
plus riches de significations que tout le clinquant et le maquillage derrière
lesquelles notre société de marché dissimule la laideur qu'elle engendre. Je ne
suis pas blasé, suis capable d'émerveillement parce que le monde, perçu dans sa
profondeur, m'offre des strates infinies, des perspectives riches de possibles.
Ma liberté peut alors s'exercer en connaissance de cause, n'étant pas réduite à
des choix binaires du type blanc ou noir…
Alors ? Mouton ? Rebelle ?
Un peu des deux, sans doute… Plutôt le sentier ? Forcément, si vous êtes sur ce blog vous n'êtes pas sur l'autoroute - ou alors sur une aire de repos.
Et, si vous avez des enfants, vous leur conseilleriez
l'autoroute ou le sentier ?
Ah, bien sûr, l'autoroute permet d'aller vite, de
"gagner du temps"… Du temps gagné pour faire quoi, au fait ? Pour gagner
de l'argent ? Non ? Du loisir, bien sûr, suis-je bête ! Se détendre… Oui, parce
que, sur l'autoroute, bonjour le stress…
Le sentier, lui, autorise les pauses. Moins de stress. Voire
pas du tout. Ah, ça c'est vrai, on ne "gagne" pas du temps… On s'autorise
même à en perdre un peu – ben oui, les livres, la méditation tout ça, ça en
prend… Mais si, au bout du sentier, on gagne la sérénité ? Il y en a même qui
disent qu'en perdant ce temps-la on peut gagner… l'éternité ! On entend
vraiment n'importe quoi !
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