Regards sur le VEDÂNTASÂRA de S.Y. SARASVATI
Ces extraits commentés mettent en évidences des principes qu'un aspirant à la Libération ne peut ignorer.
Au XVe siècle, Sadânanda Yogindra Sarasvati écrivait Vedântasâra (= L'essence
du Vedanta). Yvonne Laurence, qui traduisit ce texte édité en 1959 par
le Centre védantique Ramakrichna, s'inspira elle-même de l'édition de Swâmi
Nikhilânanda.
Nous nous sommes contenté de citer quelques extraits
des versets qui nous paraissent les plus importants parce qu'ils permettent de
rappeler ce qu'est l'essentiel du
Vedanta mais aussi et surtout parce
qu'ils s'adressent particulièrement à ceux qui aspirent à la réalisation
spirituelle.
Les quelques commentaires apparaîtront peut-être
comme évidents aux pratiquants de longue date. Nous les dédions à tous ceux qui
commencent une formation et à ceux qui
ne détestent pas se rafraîchir la mémoire.
6. "L'aspirant qualifié est celui qui a déjà approfondi l'étude des Veda et des
textes annexes (…), qui a été lavé de toute souillure en cette vie – ou dans
une vie antérieure – par le renoncement aux actes intéressés ou interdits …"
Viennent
les obligations religieuses imposées à la caste de brahmanes en rapport avec
les 4 étapes de la vie (brahmacharya,
grihasta, vânaprstha, sannyâsa). Les slokas suivants évoquent la nécessité
d'accomplir les rites, l'interdiction de certains actes, les pénitences, les
pratiques de dévotion, de purification et de concentration.
14. "Les résultats secondaires des
nitya (rites
quotidiens obligatoires) et naimittika
karma (rites occasionnels) d'une
part, et des upâsâna (méditation sur le saguna brahman, le brahman doté
d'attributs) d'autre part, conditionnent
les états posthumes et donnent accès respectivement au monde des ancêtres (pritiloka) et au monde des dieux (satyaloka). Tel est l'enseignement de la shruti."
Les
"états posthumes" : lorsque nous mourons, le principe vital quitte le
corps, s'engage dans la voie des ancêtres, passe un temps de repos et se
réincarne.
Le principe vital de celui qui a
beaucoup médité s'échappe par le sommet du crâne, rejoint le monde des
divinités, traverse différents plans régis par ces divinités, en assimile les
divers états, donc poursuit son évolution spirituelle avant de se fondre avec
le saguna brahman, au moment du pralaya (dissolution cosmique).
Le sage qui, lui, a réalisé
l'identité de l'atman-brahman en mourant
(videhamukti) ou durant sa vie
terrestre (jîvanmukti) n'a rien à
parcourir après sa mort. Il se résorbe en brahman.
15. "Les moyens immédiats d'atteindre la connaissance sont : la discrimination entre
ce qui est permanent et ce qui est transitoire…"
16. "La discrimination entre ce
qui est permanent et ce qui est transitoire consiste à établir que seul brahman
est permanent et tout ce qui n'est pas Lui est transitoire."
Nous
retrouvons dans ce verset un des
fondements les plus importants du Vedanta. Rappelons que dans le Vedanta les
critères de la Réalité (par différenciation avec la réalité) sont
les suivants :
- le Réel ne peut être affecté par l'un des 3
modes du temps.
- le Réel est évident par lui-même.
- le Réel ne peut être contredit.
Seul brahman est le Réel. Seul
brahman est immuable. Dès lors se pose la question : où dénicher ce brahman
immuable dans cet univers où tout est transitoire et impermanent ? Où trouver
ce Réel impermanent et immuable dans un univers fait d'impermanence, de
mouvement, de transformations incessantes ?
Tout simplement (!) en évitant,
dans un premier temps, de confondre ce Réel avec le réel qui m'entoure, celui que je
capte avec mes 5 sens. Ce n'est pas vraiment facile : il nous est impossible de
dissocier deux consciences qui coexistent au moment où se produit chaque
perception : la conscience de l'objet perçu (qui me fait dire : "la cruche
existe, cet arbre existe, la colère existe", etc.) et, en même temps, la
conscience d'exister. La conscience des objets perçus change, mais non la
conscience d'existence. La conscience des objets est faite de la perception de
ces objets; elle est donc transitoire. La conscience de l'existence, elle,
demeure toujours identique, immuable, quel que soit l'objet de la perception.
Ainsi cohabitent en nous,
indissolublement, le Réel et l'irréel – ou réel, que je prends souvent
pour le Réel.
Une image fort connue aide à
comprendre ce concept : le Réel c'est
l'argile. Je ne vois qu'une cruche – c'est le réel. Puis-je voir l'argile (le
Réel, donc) ? Non : je ne verrai jamais que la forme prise par cette invisible Réalité qu'est l'argile. Mais dira-t-on : cette motte de
terre? Forme ! Mais là, cette poussière fine, n'est-ce pas de l'argile ? Non :
ce n'est qu'une forme abritant l'Essence qui constitue la vraie Réalité de
l'argile comme elle constitue la vraie Réalité de tout ce qui constitue
l'univers.
Ce
Réel est présent dans notre mental mais, malgré notre tendance à l'enfermer
dans des notions (comme l'espace, le temps, la causalité), il ne saurait se
réduire aux apparences de l'univers phénoménal.
Nous
voilà renvoyés à notre question initiale : comment arriver à cette
"discrimination" dont il est si souvent question dans les textes ?
Comment arriver à faire la part du réel et celle du Réel ? La réponse est
toujours la même : en connaissant brahman comme étant l'Etre pur, l'Essence, le
substrat de l'univers, présent au cœur de toutes les choses et de tous les
êtres mais ne se réduisant pas à ces choses ou à ces êtres. En connaissant que
les apparences impermanentes des phénomènes forment un écran déformant,
suscitent de notre part une appréhension erronée, et nous mènent à l'erreur par
ignorance.
Fort bien, mais comment connaître
tout cela ? La réponse est contenue dans les différentes voies du yoga : par le jnâna-yoga mais aussi par le bhakti-yoga,
par le raja-yoga ou par le karma-yoga que ce traité évoque au
verset 17.
17. "…Une absence complète d'attraction et de répulsion à l'égard de toute
jouissance est ce que l'on nomme le renoncement aux fruits de l'acte…"
On sait que toute action
accomplie avec attachement suscite des imprégnations (samskâra) qui nous rendent toujours plus esclaves. Renoncer aux
fruits, aux résultats, est le 2ème moyen d'atteindre la Connaissance.
L'homme ignorant oppose son moi (qu'il perçoit comme permanent) à tout ce qui
n'est pas lui. Dès lors, il oscille entre l'attachement et la répulsion,
l'attachement et la peur de tout ce qui risque de faire obstacle à son avidité…
La violence accompagne bien évidemment ce processus - et l'angoisse… L'angoisse
(de ne pas obtenir ce que je veux, de perdre ce que j'ai réussi à obtenir)
s'incruste dans la mémoire, fait naître un malaise permanent, une tension qui
me déchire entre l'envie de posséder et la crainte de perdre : je passe ainsi
sans cesse (et souvent sans en avoir conscience) de la peur au désir – qui est
une façon illusoire de conjurer la peur. Et si la joie de posséder apparaît, ce
n'est que fugacement tant la peur de perdre ou de ne pas posséder davantage
viennent tôt l'empoisonner.
Le chercheur qui vise la
réalisation s'efforce de considérer le moi (l'ego) comme élément de la
Totalité. Il le voit comme un non-moi. "Il ne se prend pas pour l'auteur
de l'action; sait que le sentiment du moi appartient également au cosmos".
Dès lors, il n'est plus d'opposition entre le monde et lui. Il ne connaît ni
répulsion ni attraction. Ses actes sont l'expression de la force cosmique
agissant à travers lui. Totalement dénué d'attentes, de désirs, son attention
est permanente; il agit dans l'instant présent, spontanément, librement
(puisqu'il a renoncé aux fruits), en un mot : intelligemment. Mais comprenons
bien : nous ne sommes plus là sur le plan de l'intelligence exclusivement
cérébrale, intellectuelle. Nous sommes sur un plan éminemment supérieur.
Notons aussi au passage que ce
verset ne condamne pas la "jouissance". C'est
l'"attachement" – ou la répulsion – par rapport à la jouissance qui
est condamnable. Eprouver du plaisir est dans notre nature. Il s'agit de ne pas
en faire le but de notre vie mais non pour autant de refouler ce qui est une
réalité. Dans un cas comme dans l'autre il y aurait égarement.
27. Le sujet (du Vedântasâra) est l'identité du soi individuel et de brahman dont la nature est
pure Intelligence et doit être réalisée. Tel est le but, la raison d'être des
textes védantiques.
29. Le but à atteindre consiste à
chasser l'ignorance qui voile cette identité qu'il faut réaliser, et à obtenir
la Félicité résultant de la Réalisation du Soi intérieur…
L'identité du Jîva (soi
individuel) et de brahman ne doit pas être interprétée au pied de la lettre. Le
Jîva est limité, ignorant, alors que brahman est omniscient et pure
Intelligence, infinitude. Cependant, au-delà des attributs respectifs qui
opposent le saguna brahman et le Jîva,
demeure le substrat qui est Conscience pure et pure Intelligence. Toute
différence est donc abolie. Il faut comprendre le terme "identité"
dans un sens métaphysique et non littéral.
Le dernier verset de ce chapitre
rappelle la nécessité du guru, qui est "le suprême brahman".
Terminons en rappelant ce que dit Swâmi Vivekânanda : il faut que l'âme à
laquelle est transmise l'impulsion donnée par le maître soit prête à la
recevoir :"C'est une mystérieuse loi de la nature, mais dès qu'une âme a
un ardent désir de religion, celui qui transmet la force religieuse doit
apparaître et apparaît en fait…"
G D
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