Rencontre sur le Mékong

lundi 4 février 2013

VEDANTA - Notions basiques...



 Regards sur le VEDÂNTASÂRA de S.Y. SARASVATI


Ces extraits commentés mettent en évidences des principes qu'un aspirant à la Libération ne peut ignorer.



Au XVe siècle, Sadânanda Yogindra Sarasvati écrivait Vedântasâra (= L'essence du Vedanta). Yvonne Laurence, qui traduisit ce texte édité en 1959 par le Centre védantique Ramakrichna, s'inspira elle-même de l'édition de Swâmi Nikhilânanda.
Nous nous sommes contenté de citer quelques extraits des versets qui nous paraissent les plus importants parce qu'ils permettent de rappeler ce qu'est l'essentiel du Vedanta mais aussi et surtout parce qu'ils s'adressent particulièrement à ceux qui aspirent à la réalisation spirituelle.
Les quelques commentaires apparaîtront peut-être comme évidents aux pratiquants de longue date. Nous les dédions à tous ceux qui commencent une formation et à ceux  qui ne détestent pas se rafraîchir la mémoire.

6. "L'aspirant qualifié est celui qui a déjà approfondi l'étude des Veda et des textes annexes (…), qui a été lavé de toute souillure en cette vie – ou dans une vie antérieure – par le renoncement aux actes intéressés ou interdits …"

Viennent les obligations religieuses imposées à la caste de brahmanes en rapport avec les 4 étapes de la vie (brahmacharya, grihasta, vânaprstha, sannyâsa). Les slokas suivants évoquent la nécessité d'accomplir les rites, l'interdiction de certains actes, les pénitences, les pratiques de dévotion, de purification et de concentration.

14. "Les résultats secondaires des nitya (rites quotidiens obligatoires) et naimittika karma (rites occasionnels) d'une part, et des upâsâna (méditation sur le saguna brahman, le brahman doté d'attributs) d'autre part, conditionnent les états posthumes et donnent accès respectivement au monde des ancêtres (pritiloka) et au monde des dieux (satyaloka). Tel est l'enseignement de la shruti."

Les "états posthumes" : lorsque nous mourons, le principe vital quitte le corps, s'engage dans la voie des ancêtres, passe un temps de repos et se réincarne.
Le principe vital de celui qui a beaucoup médité s'échappe par le sommet du crâne, rejoint le monde des divinités, traverse différents plans régis par ces divinités, en assimile les divers états, donc poursuit son évolution spirituelle avant de se fondre avec le saguna brahman, au moment du pralaya (dissolution cosmique).
Le sage qui, lui, a réalisé l'identité de l'atman-brahman en mourant (videhamukti) ou durant sa vie terrestre (jîvanmukti) n'a rien à parcourir après sa mort. Il se résorbe en brahman.

15. "Les moyens immédiats d'atteindre la connaissance sont : la discrimination entre ce qui est permanent et ce qui est transitoire…"

16. "La discrimination entre ce qui est permanent et ce qui est transitoire consiste à établir que seul brahman est permanent et tout ce qui n'est pas Lui est transitoire."

Nous retrouvons dans ce verset un  des fondements les plus importants du Vedanta. Rappelons que dans le Vedanta les critères de la Réalité (par différenciation avec la réalité) sont les suivants :   
                                               -    le Réel ne peut être affecté par l'un des 3 modes du temps.
-    le Réel est évident par lui-même.
-    le Réel ne peut être contredit.

Seul brahman est le Réel. Seul brahman est immuable. Dès lors se pose la question : où dénicher ce brahman immuable dans cet univers où tout est transitoire et impermanent ? Où trouver ce Réel impermanent et immuable dans un univers fait d'impermanence, de mouvement, de transformations incessantes ?

Tout simplement (!) en évitant, dans un premier temps, de confondre ce Réel avec  le réel qui m'entoure, celui que je capte avec mes 5 sens. Ce n'est pas vraiment facile : il nous est impossible de dissocier deux consciences qui coexistent au moment où se produit chaque perception : la conscience de l'objet perçu (qui me fait dire : "la cruche existe, cet arbre existe, la colère existe", etc.) et, en même temps, la conscience d'exister. La conscience des objets perçus change, mais non la conscience d'existence. La conscience des objets est faite de la perception de ces objets; elle est donc transitoire. La conscience de l'existence, elle, demeure toujours identique, immuable, quel que soit l'objet de la perception.
Ainsi cohabitent en nous, indissolublement, le Réel et l'irréel – ou réel, que je prends souvent pour le Réel.

Une image fort connue aide à comprendre ce  concept : le Réel c'est l'argile. Je ne vois qu'une cruche – c'est le réel. Puis-je voir l'argile (le Réel, donc) ? Non : je ne verrai jamais que la forme prise par cette invisible Réalité qu'est l'argile. Mais dira-t-on : cette motte de terre? Forme ! Mais là, cette poussière fine, n'est-ce pas de l'argile ? Non : ce n'est qu'une forme abritant l'Essence qui constitue la vraie Réalité de l'argile comme elle constitue la vraie Réalité de tout ce qui constitue l'univers.
Ce Réel est présent dans notre mental mais, malgré notre tendance à l'enfermer dans des notions (comme l'espace, le temps, la causalité), il ne saurait se réduire aux apparences de l'univers phénoménal.

Nous voilà renvoyés à notre question initiale : comment arriver à cette "discrimination" dont il est si souvent question dans les textes ? Comment arriver à faire la part du réel et celle du Réel ? La réponse est toujours la même : en connaissant brahman comme étant l'Etre pur, l'Essence, le substrat de l'univers, présent au cœur de toutes les choses et de tous les êtres mais ne se réduisant pas à ces choses ou à ces êtres. En connaissant que les apparences impermanentes des phénomènes forment un écran déformant, suscitent de notre part une appréhension erronée, et nous mènent à l'erreur par ignorance.
Fort bien, mais comment connaître tout cela ? La réponse est contenue dans les différentes voies  du yoga : par le jnâna-yoga mais aussi par le bhakti-yoga, par le raja-yoga ou par le karma-yoga que ce traité évoque au verset 17.

17. "…Une absence complète d'attraction et de répulsion à l'égard de toute jouissance est ce que l'on nomme le renoncement aux fruits de l'acte…"

On sait que toute action accomplie avec attachement suscite des imprégnations (samskâra) qui nous rendent toujours plus esclaves. Renoncer aux fruits, aux résultats, est le 2ème moyen d'atteindre la Connaissance. L'homme ignorant oppose son moi (qu'il perçoit comme permanent) à tout ce qui n'est pas lui. Dès lors, il oscille entre l'attachement et la répulsion, l'attachement et la peur de tout ce qui risque de faire obstacle à son avidité… La violence accompagne bien évidemment ce processus - et l'angoisse… L'angoisse (de ne pas obtenir ce que je veux, de perdre ce que j'ai réussi à obtenir) s'incruste dans la mémoire, fait naître un malaise permanent, une tension qui me déchire entre l'envie de posséder et la crainte de perdre : je passe ainsi sans cesse (et souvent sans en avoir conscience) de la peur au désir – qui est une façon illusoire de conjurer la peur. Et si la joie de posséder apparaît, ce n'est que fugacement tant la peur de perdre ou de ne pas posséder davantage viennent tôt l'empoisonner.

Le chercheur qui vise la réalisation s'efforce de considérer le moi (l'ego) comme élément de la Totalité. Il le voit comme un non-moi. "Il ne se prend pas pour l'auteur de l'action; sait que le sentiment du moi appartient également au cosmos". Dès lors, il n'est plus d'opposition entre le monde et lui. Il ne connaît ni répulsion ni attraction. Ses actes sont l'expression de la force cosmique agissant à travers lui. Totalement dénué d'attentes, de désirs, son attention est permanente; il agit dans l'instant présent, spontanément, librement (puisqu'il a renoncé aux fruits), en un mot : intelligemment. Mais comprenons bien : nous ne sommes plus là sur le plan de l'intelligence exclusivement cérébrale, intellectuelle. Nous sommes sur un plan éminemment supérieur.

Notons aussi au passage que ce verset ne condamne pas la "jouissance". C'est l'"attachement" – ou la répulsion – par rapport à la jouissance qui est condamnable. Eprouver du plaisir est dans notre nature. Il s'agit de ne pas en faire le but de notre vie mais non pour autant de refouler ce qui est une réalité. Dans un cas comme dans l'autre il y aurait égarement.

27. Le sujet (du Vedântasâra) est l'identité du soi individuel et de brahman dont la nature est pure Intelligence et doit être réalisée. Tel est le but, la raison d'être des textes védantiques.

29. Le but à atteindre consiste à chasser l'ignorance qui voile cette identité qu'il faut réaliser, et à obtenir la Félicité résultant de la Réalisation du Soi intérieur…




L'identité du Jîva (soi individuel) et de brahman ne doit pas être interprétée au pied de la lettre. Le Jîva est limité, ignorant, alors que brahman est omniscient et pure Intelligence, infinitude. Cependant, au-delà des attributs respectifs qui opposent le saguna brahman et le Jîva, demeure le substrat qui est Conscience pure et pure Intelligence. Toute différence est donc abolie. Il faut comprendre le terme "identité" dans un sens métaphysique et non littéral.

Le dernier verset de ce chapitre rappelle la nécessité du guru, qui est "le suprême brahman". Terminons en rappelant ce que dit Swâmi Vivekânanda : il faut que l'âme à laquelle est transmise l'impulsion donnée par le maître soit prête à la recevoir :"C'est une mystérieuse loi de la nature, mais dès qu'une âme a un ardent désir de religion, celui qui transmet la force religieuse doit apparaître et apparaît en fait…"


                                                                                                                                          G D

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