Rencontre sur le Mékong

samedi 19 janvier 2013

PARABOLES REVISITEES (2) - Non respect du Shabbat

Le non-respect du Shabbat  (Jean, 5 : 16)


"Ils poursuivaient Ieschoua parce qu'il avait fait cela un jour de Shabbat." (L'Evangile de Jean, traduit par J.-Y. Leloup, Ed. Albin Michel)





Même guérir un paralytique, ainsi que vient de le faire Jésus, c'est agir. Or la loi juive ne transige pas : on de doit rien faire durant le Shabbat. Voilà qu'est posé le problème qu'on retrouve dans la Bhagavad-Gîtâ : qu'est l'action ? Qu'est la non-action ?
"Sur ce qu'est l'action et ce qu'est l'inaction, les sages mêmes sont perplexes et se trompent", dit Krishna (4 : 16). Le mental est-il capable de ne pas agir ?  Notre corps est-il capable de ne pas agir ? nos organes ? nos muscles ? L'immobilité d'une posture de yoga n'est qu'apparente, cette immobilité n'étant que le résultat de milliers de micro-mouvements qui annulent un mouvement plus ample. La mort elle-même ne peut empêcher le mouvement (nos cellules se transforment alors). Nous ne pouvons pas ne pas agir et refuser l'action c'est encore agir.

Chercher à s'abstenir d'agir est donc voué à l'échec. En revanche, ce qui est possible, c'est de ne pas être asservi par l'action. En d'autres termes c'est rester détaché de l'action. Etre détaché de l'action c'est ne pas penser à autre chose en repassant ou en cuisinant ou en rédigeant un rapport, etc. Etre détaché de l'action c'est agir sans rien attendre de cette action. Comment ? dira-t-on : si je repasse une chemise j'attends qu'elle soit repassée - et si possible impeccablement ! A cela on peut répondre que le résultat de mon action, si je suis tout entier dans son accomplissement juste, viendra forcément lorsque l'action sera achevée. Dès lors je peux agir sans anticiper, sans désirer quoi que ce soit. Il suffit que je repasse bien… et la chemise sera bien repassée sans que j'aie eu besoin de désirer le résultat - les "fruits" dit la Bhagavad-Gîtâ. Si je projette dans mon imaginaire le résultat (la chemise magnifiquement nette) alors que je suis en train d'agir en vue de ce résultat, je crée une distorsion, une dysharmonie entre ce à quoi je pense et ce que fait mon corps - ce qui se solde souvent d'ailleurs par un signal concret, une maladresse. Le faux plis, la chemise brûlée me rappellent soudain à l'ordre - au sens propre du terme puisque j'étais " en désordre". Fort bien, répliquera-t-on : je n'attends pas de résultat (du moins j'essaie de ne pas y penser sans cesse) mais que fait alors mon mental, pendant que mon corps - mes mains - repasse la chemise ? Faut-il répondre à cette question sans vexer les pratiquants de yoga que nous sommes ? Mon mental sera dans l'attention des gestes à accomplir. Est-ce tout ? Oui, commençons par cela : c'est déjà un exercice extrêmement difficile; mon mental a de la peine à se fixer et à garder la conscience de ce que fait le corps. Mais, diront ceux qui connaissent bien les textes, ne faut-il pas offrir l'action au Divin ? Certes… Rien ne m'empêche d'avoir une pensée d'offrande au moment où je vais agir. Mais penser au Divin tandis que j'agis c'est encore être dans le mental et donc en dysharmonie avec l'acte en train de s'accomplir. L'attention d'abord.

Revenons-en au Jésus de cet épisode. Les Juifs auraient-ils tort d'exiger le non-agir du Shabbat ? Bien sûr que non : le Shabbat est ce moment réservé à Dieu, ce moment où, ne faisant rien de trop absorbant, l'homme peut alors orienter son esprit "verticalement", le tourner vers la transcendance. Ce temps nous est destiné, à nous qui sommes incapables de rester branchés en continu sur ce courant d'énergie qui nous fait vivre. Mais Jésus, lui, comme tous les être libérés, est en contact permanent avec la "Source" - avec le "Père", si l'on veut employer son vocabulaire. Cela signifie qu'il n'a plus besoin du Shabbat parce qu'il est continuellement en Shabbat et que ses actes n'affectent pas sa communion permanente avec le Divin : toute œuvre qu'il accomplit est œuvre de Dieu. Cela, les Juifs ne le comprennent pas parce qu'ils refusent à Jésus son véritable statut et qu'ils le considèrent comme ils sont eux, c'est-à-dire imparfait. Or Jésus guérissant le paralytique un jour de Shabbat est en accord avec lui-même et avec son dharma. Il agit, certes, mais sans distorsion aucune, sans rompre l'unité de tout son être avec le Tout.

Nous, si nous ne sommes pas encore des jivan-mukta (des "libérés vivants"), nous avons besoin du Shabbat. Nous avons besoin du silence, du recueillement, de ces moments d'immobilité durant lesquels le corps et l'esprit s'unissent en vue d'un recentrage.  L'observation du souffle est un bon moyen d'opérer ce retour à l'unité. Mais il nous est aussi possible d'instaurer des petits Shabbat en travaillant à être plus attentifs à ce que nous faisons. La concentration (sans crispation) sur ce que nous faisons (marcher, manger… repasser !) stabilise le mental et lui apprend les premiers pas qui mènent au silence plus profond de la méditation.

Photos d'Olivier Föllmi                          
                                                                                                       G D                                                                                                                                                                                                      

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