Rencontre sur le Mékong

dimanche 26 février 2023

 

LA DÉMARCHE DE SRI AUROBINDO (1872 – 1950)

 

Sans reprendre sa biographie (facilement accessible dans divers ouvrages ou sur l'internet) rappelons simplement que Sri Aurobindo fit des études brillantes à Cambridge, retourna en Inde en 1892, fut arrêté durant un an pour son implication dans le mouvement indépendantiste, puis acquitté. Établi à Pondichéry en 1910 il s'engagea dans un combat plus ample et plus essentiel à ses yeux que celui visant la liberté de son pays : ce combat prolongeait ses expériences spirituelles préalables (dont sa rencontre déterminante avec le yogi Vishnou Bhaskar Lélé) et ne visait rien moins qu'à rechercher une voie dont il pressentait qu'elle pourrait changer la condition de l'humanité tout entière.

 

Aux yeux de Sri Aurobindo, l'homme est un être de transition et il lui est possible de collaborer avec la nature, d'accélérer l'évolution de la conscience humaine dont ladite nature se charge avec lenteur : "Nous sommes arrivés à une nouvelle crise de transformation aussi cruciale que dut l'être la crise qui a marqué l'apparition de la Vie dans la Matière ou la crise qui a marqué l'apparition du Mental dans la Vie."[1]

 

Sans être opposé à la science, il en mesure les limites et opte pour une voie spirituelle apte à transcender la conscience mentale limitée. Il s'agit de se laisser pénétrer par la conscience divine sans pour autant rejeter la matérialité humaine. 

 

Le "yoga intégral" de Sri Aurobindo ne dissocie pas méditation et action ; il consiste à intégrer le Divin dans la totalité de notre être, non par souci de libération personnelle mais pour transformer la conscience globale terrestre en une Conscience supérieure par l'accès au Supramental, but ultime de l'évolution de l'humanité.

 

Tout ce que nous faisons et tout ce qui nous constitue (nos dimensions physique, vitale, mentale et spirituelle) doit alors "être yoga" – en d'autres terme "divinisé".

Le vital (situé de la poitrine au bas-ventre) transmet l'énergie permettant au corps de vivre. Sensibles aux influences extérieures, tous nos contenus psychiques perturbés (peurs, violence, pulsions, avidité, etc.) sont en liens avec cette zone.

Bien que nécessaire à nos facultés d'action, de création, ce vital, gouverné par l'ego, résiste à l'avènement de la Conscience supérieure. Le mental ne pouvant régénérer ce qui devrait l'être pour nous permettre d'accéder à la paix intérieure, pour purifier et rendre positivement actif le vital, il convient de faire descendre jusqu'à lui la Force – la Conscience divine –, la laisser envahir tous les plans de l'être. De chakra en chakra, ce flot pourra alors régénérer chaque couche du vital, par une descente (et non une ascension type kundalini) progressive permettant la transformation manifestée par une paix, un discernement, un amour illimités : Sat-chit-ananda (félicité totale, vérité et conscience absolues)

Cette démarche individuelle (mais à effet collectif), progressive, mène au Supramental sachant que ce dernier est insaisissable si nous tentons de le définir mentalement.

Il s'agit donc d'une transformation menant du "mental ordinaire" très obscur au "mental supérieur" propre aux être de pensée. Sa lumière est plus intense, la joie dure plus, l'amour est plus vaste, il reçoit des éclairs issus de plans plus élevés  mais demeure réduit aux concepts qui ont besoin des mots.

Viennent ensuite le "mental illuminé" dans lequel la conscience s'ouvre sur un silence créateur, "le mental intuitif" permettant de fulgurantes perceptions et enfin, sommet rarement atteint de la conscience humaine, le Surmental, de nature cosmique, "océan d'éclairs stables"[2], compréhension totale, royaume divin sans les contradictions ou les projections du moi. On peut y accéder par une discipline d'une intensité continue et sans faille à laquelle Sri Aurobindo, rejoint par Mère (Mira Alfassa) qui le seconda, dédia le restant de sa vie à partir de 1910 – soit quarante années.

 

"Le Supramental, vision globale, voit non seulement le monde entier des choses [alors que le mental découpe le monde en visions éparpillées] et des êtres dans une vision unique, qui relie tous les faisceaux sans rien opposer [ce que réussit le "surmental"], mais il voit le point de vue de chaque chose, chaque être, chaque force…" Autant dire qu'on se réfère à une autre dimension de la Conscience qui échappe à nos notions habituelles mais que Satprem, proche de sri Aurobindo et de Mère, s'efforça de cerner de façon efficace (en vingt-cinq pages tout de même) dans un ouvrage majeur[3].

 

POUR ALLER PLUS LOIN :

 

Satprem (Bernard Enginger) 1923 - 2007

- Sri Aurobindo ou l'aventure de la conscience, Buchet-Chastel, Paris, 1970, 1984, 2003. Sans doute le premier ouvrage à lire avant de s'attaquer à l'œuvre de Sri Aurobindo. Passionnant comme tout ce qu'a écrit ce disciple écrivain qui a publié les treize volumes de L'Agenda de Mère.

- Par le Corps de la Terre ou Le Sannyâsin (Robert Laffont, 1974). Quête spirituelle d'un personnage hors-normes. Un roman d'une puissance et d'une beauté indiscutables. Il ne porte pas directement sur Sri Aurobindo mais l'esprit est là.

 

Sri Aurobindo :

- La Vie Divine (4 volumes), éd. Albin Michel, "Spiritualités vivantes", 1973. Pour les mordus, en vue d'une compréhension exhaustive de sa philosophie.

- Le guide du yoga, éd. Albin Michel, "Spiritualités vivantes", 2007. Ouvrage court mais accessible et très éclairant.

- La pratique du yoga intégral, éd. Albin Michel", Spiritualités vivantes", 1987.

- La Bhagavad Gitâ, éd. Albin Michel, "Spiritualités vivantes", 1970. Très lisible avec des commentaires riches.

 

Gérard Duc

 



[1] Cité par Satprem, Sri Aurobindo ou l'aventure de la conscience, Albin Michel, p. 343

[2] Op. cit. p. 244

[3] Op. cit. chapitre 15

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