Rencontre sur le Mékong

mercredi 16 octobre 2013

POESIE ET QUETE D'ABSOLU (3) - Le mythe de l'Age d'Or

Mémoire d'un temps heureux...


Naissance de mythe antique



Dans l'état actuel de nos connaissances, les Sumériens (Golfe persique, 4000 ans av. J.-C., à l'origine de la première écriture connue) furent les premiers à imaginer un Age d'Or à l'aurore des temps. Cet âge n'a pas encore toutes les perfections que lui prêteront les textes ultérieurs mais, dans sa simplicité, il nous apparaît aijourd'hui comme l'une des expressions les plus émouvantes de la sensibilité humaine. Ce moment paradisiaque est évoqué dans un poème intitulé Unmerkar :

"Autrefois, il fut un temps où
Il n'y avait pas de serpent, 
Il n'y avait pas de scorpion
Il n'y avait pas d'hyène
Il n'y avait pas de lion
Il n'y avait pas de chien sauvage ni de loup
Il n'y avait pas de peur ni de terreur :
L'homme n'avait pas de rival."
(S.N. Kramer, L'Histoire commence à Sumer)

Quand on étudie les différentes descriptions de l'Age d'Or, on constate très vite qu'elles se ressemblent toutes. Cela n'a rien d'étonnant. Une telle existence implique, en général, la suppression de toutes les contraintes de la vie terrestre mortelle.
L'homme vit dans une harmonie et une paix naturelles, sans avoir à travailler, à faire la guerre, à maintenir le lourd édifice des lois, des tabous, ders interdits et des obligations qui sont le lot de toutes les communautés.
Chaque désir, chaque rêve concrétisés dans cet Age est l'envers des acquis - non ce qu'on appelle maintenant le "bien-être" mais la "simple" possibilité de vivre - survivre - sans souffrir.
Le mythe apparaît dans Les Travaux et les Jours d'Hésiode, immédiatement après le mythe de Pandore. L'origine de l'Age d'Or est celui qu'Hésiode met en scène aux VIIIe-VIIe s. av. J.-C.
Prométhée a trompé les dieux en volant le feu ; Zeus, en représailles, envoie Pandore à Prométhée et enlève à l'homme les moyens de vivre ; le travail nécessaire clôt définitivement l'âge de la tranquillité et de la proximité de l'homme avec les dieux.
La différence essentielle avec l'Eden auquel on songe immédiatement, est que les dieux créent successivement plusieurs races d'hommes, sans grande précision sur la nature de leur reproduction et que la présence de femmes est laissée en suspens dans le récit d'Hésiode.
Cette succession d'âges, correspondant à des races d'hommes successives prend la forme d'une décadence et d'un éloignement progressif à la fois des dieux et de la valeur fondamentale qu'est la justice. L'inspiration est sans doute à chercher du côté des civilisations orientales.
L'Age d'Or est donc le temps qui suit immédiatement la création de l'homme. Saturne (le Chronos des Grecs) règne dans le ciel. C'est une période de paix et de justice. Les hommes, proches des dieux, sont presque éternels, meurent sans souffrance, s'endormant pour toujours. Ce "règne de Saturne" prend fin lorsque Jupiter (Zeus) le conclut en le faisant suivre de quatre autres périodes dont Hésiode dresse une vision terrifiante : l'Age d'Argent, l'Age d'Airin ou de Bronze, l'Age des Héros et l'Age de Fer - qui coïncide avec notre présent...

Hésiode, Les Travaux et les jours, v.109-201 :

"D’or  fut la première race d’hommes  que créèrent les Immortels, habitants de l’Olympe. C’était au temps de Cronos, quand il régnait encore au ciel. Ils vivaient comme des dieux, le cœur libre de soucis, à l’écart et à l’abri des peines et des misères. : la vieillesse misérable sur eux ne pesait pas ; mais, bras et jarret toujours jeunes, ils s’égayaient dans les festins, loin de tous les maux. Mourant, ils semblaient succomber au sommeil. Tous les biens étaient à eux : le sol fécond produisait de lui-même une abondante et généreuse récolte, et eux, dans la joie et la paix, vivaient de leurs champs, au milieu de biens sans nombre. Depuis que le sol a recouvert ceux de cette race, ils sont, par le vouloir de Zeus puissant, les bons génies de la terre, gardiens des mortels, [ l’œil ouvert aux sentences et aux crimes, vêtus de brume, partout répandus sur la terre ] dispensateurs de la richesse : c’est le royal honneur qui leur fut départi.     
Puis une race bien inférieure, une race d’argent, plus tard fut créée encore par les habitants de l’Olympe. Ceux-là ne ressemblaient ni pour la taille ni pour l’esprit  à ceux de la race d’or. L’enfant, pendant cent ans, grandissait en jouant aux côtés de sa digne mère, l’âme toute puérile, dans sa maison. Et quand, croissant avec l’âge, ils atteignaient le terme qui marque l’entrée de l’adolescence, ils vivaient peu de temps, et, par leur folie, souffraient mille peines. Ils ne savaient pas s’abstenir entre eux d’une folle démesure. Ils refusaient d’offrir un culte aux Immortels ou de sacrifier aux saints autels des Bienheureux, selon la loi des hommes qui se sont donné des demeures. Alors Zeus, fils de Cronos, les ensevelit, courroucé, parce qu’ils ne rendaient pas hommage aux dieux bienheureux qui possèdent l’Olympe.  Et, quand le sol les eut recouverts à leur tour, ils devinrent ceux que les mortels appellent les Bienheureux des Enfers, génies inférieurs, mais que quelque bonheur accompagne encore.
     Et Zeus, père des dieux, créa une troisième race d’hommes périssables, race de bronze, bien différente de la race d’argent, fille des frênes, terrible et puissante. Ceux-là ne songeaient qu’aux travaux gémissants d’Arès et aux œuvres de démesure. Ils ne mangeaient pas le pain ; leur cœur était comme l’acier rigide ; ils terrifiaient. Puissante était leur force, invincibles les bras qui s’attachaient  contre l’épaule à leurs corps vigoureux. Leurs armes étaient de bronze, de bronze leurs maisons, avec le bronze ils labouraient, car le fer noir n’existait pas. Ils succombèrent, eux, sous leurs propres bras et partirent pour le séjour moisi de l’Hadès frissonnant, sans laisser de nom sur la terre. Le noir trépas les prit, pour effrayants qu’ils fussent, et ils quittèrent l’éclatante lumière du soleil.
     Et quand le sol eu de nouveau recouvert cette race, Zeus, fils de Cronos, en créa
encore une quatrième sur la glèbe nourricière, plus juste et plus brave, race divine des héros que l’on nomme demi-dieux, et dont la génération nous a précédés sur la terre sans limites. Ceux-là périrent  dans la dure guerre et dans la mêlée douloureuse, les uns devant les murs de Thèbes aux sept portes, sur le sol cadméen, en combattant pour les troupeaux d’Œdipe ; les autres, au-delà de l’abîme marin, à Troie, où la guerre les avait conduits sur des vaisseaux, pour Hélène aux beaux cheveux, et où la mort, qui tout achève, les enveloppa.
   Et plût au ciel que je n’eusse pas à mon tour à vivre au milieu de ceux de la cinquième race, et que je fusse ou mort plus tôt ou né plus tard. Car c’est maintenant la race de fer. Ils ne cesseront ni le jour de souffrir fatigues et misères, ni la nuit d’être consumés par les dures angoisses que leur enverront les dieux. Du moins trouveront-ils  encore quelques biens mêlés à leurs maux.
Mais l’heure viendra où Zeus anéantira à son tour cette race d’hommes périssables : ce sera le moment où ils naîtront avec des tempes blanches. Le père alors ne ressemblera plus à ses fils ni ses fils à leur père ; l’hôte ne sera plus cher à son hôte, l’ami à son ami, le frère à son frère, ainsi qu’aux jours passés. A leurs parents, sitôt qu’ils vieilliront, ils ne montreront que mépris ; pour se plaindre d’eux, ils s’exprimeront en paroles rudes, les méchants ! et ne connaîtront même pas la crainte du Ciel.  Aux vieillards qui les ont nourris, ils refuseront les aliments. [mettant le droit dans la force ; et ils ravageront les cités les uns des autres] Nul prix ne s’attachera plus au serment tenu, au juste, au bien : c’est à l’artisan de crimes, à l’homme tout démesure qu’iront leurs respects ; le seul droit sera la force, la conscience n’existera plus. Le lâche attaquera le brave avec des mots tortueux, qu’il appuiera d’un faux serment. Aux pas de tous les misérables humains s’attachera la jalousie, au langage amer, au front haineux, qui se plaît au mal. Alors, quittant pour l’Olympe la terre aux larges routes, cachant leurs beaux corps sous des voiles blancs, Conscience et Vergogne, délaissant les hommes, monteront vers les Eternels. De tristes souffrances resteront seules aux mortels : contre le mal il n’y aura point de recours. "


Les Romains utilisaient ce mythe sans vraiment y croire pour symboliser un passé meilleur. Lucrèce, Catulle, Horace, Cicéron, Virgile, pensent plus à un passé agricole heureux, à l'espoir de la paix.
Avec Ovide seulement (43 av. JC) revient le récit des âges de l’humanité qui sera une source d'inspiration privilégiée pour les poètes, les graveurs et les peintres jusqu'au XVIIIe siècle. Sénèque poursuivra.

Dans le mythe hésiodique le temps était cyclique alors que dans le vision judéo-chrétienne l'Age d'Or sevoit comme période d'achèvement mettant un terme à l'Histoire et au Progrès. La venue du Messie est promesse de restauration.

On retrouvera le mythe dans la littérature française.

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