Rencontre sur le Mékong

mercredi 16 janvier 2013

REINCARNATION : OUI ? NON ?



"Nous pensons qu'il y a quatre types de renaissance. Le premier […] est celui d'un être incapable de décider […] Il s'incarne uniquement en fonction de ses actions passées. A l'opposé se trouve celle d'un Bouddha pleinement illuminé, qui manifeste simplement une forme physique dans le but d'aider les autres […] La troisième catégorie comprend l'être qui, grâce à des réalisations spirituelles antérieures, est en mesure de choisir, ou au moins d'influer sur le lieu et les conditions de la renaissance. Enfin, le quatrième type est appelé la manifestation bénie. En ce cas, la personne reçoit une influence qui lui confère le pouvoir, surpassant ses capacités ordinaires, d'accomplir des fonctions bénéfiques telles que l'enseignement de la religion." (Tenzin Gyatso, le Dalaï-lama actuel)

Pauvre dans cette vie ?


Historiquement parlant…
Disons-le d'emblée, le Christianisme actuel fait figure d'exception. La croyance en la réincarnation remonte probablement au chamanisme. En Égypte le dieu Thot décide si les âmes doivent revenir sur terre en vue de se perfectionner. En Grèce, à Rome, chez les Celtes, parmi de nombreux peuples indiens d'Amérique, dans certaines tribus d'Afrique et, bien sûr, en Asie (hindouisme, bouddhisme, taoïsme…) la transmigration des âmes est une croyance acquise. Stipulons au passage que la kabbale juive, le soufisme musulman et certaines mystiques chrétiennes (Plotin, Denys l'Aréopagite, Maître Eckhart) intègrent parfaitement cette croyance.

Scientifiquement parlant…
Pour la science occidentale, un électroencéphalogramme plat prouvant que le cerveau n'a plus d'activité, est le signe scientifique de la mort. Mais l'affirmation selon laquelle "plus rien ne se passe" n'a rien de scientifique… Il s'agit là d'une notion qu'on peut considérer comme primaire. Ce n'est pas parce que j'ai éteint ma lampe qu'il n'y a plus d'électricité dans le fil. On a suffisamment répertorié de cas de personnes revenues à la vie après une mort apparente pour être certain qu'il se passe "quelque chose". Biologiquement rappelons que le fœtus "meurt" au monde liquide et migre dans un autre univers. Que, dans notre vie d'adultes nos cellules meurent et renaissent et que, par conséquent, nous habitons un corps sans cesse différent.

Le point de vue hindouiste : Samsara et karma
Samsara est le terme indien désignant la longue route, le cycle des morts et des renaissances successives. Le karma est le principe de cause à effet selon lequel chacun récolte ce qu'il a semé. Tout acte entraîne des conséquences heureuses ou malheureuses - on l'expérimente sans cesse. Ainsi, tant que notre ego nous maintient dans l'ignorance de ce qu'est la réalité et continue de nous soumettre à notre orgueil, à notre avidité, à nos colères, etc. nous ne pouvons échapper à la succession des renaissances. Il est possible de se préparer des vies meilleures en évitant de se soumettre à nos tendances négatives et en transformant égoïsme, jalousie, avarice, etc. en compassion, pardon, générosité… Mais seul un acte accompli sans désir donc sans attente (ce qui est rare !) ne "fabrique" pas du karma. Nos retours sur terre prendront fin lorsque nous nous serons débarrassés de l'ego - ce que réalisent certains sages. C'est ce qu'on nomme "délivrance", "libération", "éveil" (ou "nirvâna" dans  le contexte bouddhique).
Cette loi est en soi d'une logique imparable : quoi de plus naturel que cette juste rétribution de tous nos actes ? Elle préserve notre liberté de choix. Sur le fond elle n'a rien de choquant, même aux yeux d'un chrétien, puisque toute vie spirituelle prône non l'acquisition, l'accumulation, le renforcement des tendances de l'ego, mais au contraire le dépouillement, le détachement et l'ouverture à autrui et au "souffle" (donc à l'Esprit).

A-t-elle un rapport avec la survivance des castes indiennes ?
Les castes n'ont rien de notre organisation sociale. Des parias peuvent être milliardaires et des brahmane (la plus haute caste, celle des prêtres) misérables. Si les parias eux-mêmes (les intouchables) ne tiennent pas à la suppression effective des castes (pourtant officiellement abolies) c'est qu'ils sont souvent convaincus que les souffrances qu'ils endurent, pour peu qu'ils se conduisent bien durant cette vie, les mèneront rapidement vers une existence future nettement plus enviable. Supprimer les castes serait, de leur point de vue, anéantir les "bénéfices" déjà acquis par les souffrances endurées.

Du côté tibétain : Le Bardo Thödol, Livre des Morts
Contrairement à ce qu'on pourrait penser, l'attitude des Tibétains face à la mort n'a rien de mystique : la mort est aussi "expérimentale" qu'un voyage dans l'espace physique. Ils ont a disposition des récits à leurs yeux aussi dignes de foi que des récits de voyageurs. Leurs méthodes de méditations leur permettent de retrouver le souvenir de leurs vies antérieures. La vie ne pouvant être issue du néant elle ne peut y retourner. Chacun, suivant la connaissance acquise de soi-même peut intervenir sur le destin qui l'attend. De ce point de vue, la mort est pour eux l'occasion à saisir pour un avenir bien meilleur. D'où la nécessité de connaître parfaitement les diverses phases du "passage" afin de les traverser lucidement et de les mettre à profit pour ses existences suivantes.

Des preuves ?
- Les très nombreux témoignages des Tibétains dont les chefs spirituels (à commencer par le Dalaï-lama) donnent des pistes pour que soit retrouvé l'enfant en qui ils seront réincarnés (tulku). Les tests qu'on fait subir à ces enfants semblent exclure toute possibilité de supercherie ou d'erreur.

- Nous avons évoqué le souvenir des personnes déclarées cliniquement mortes et qui sont revenues à la conscience. Leurs témoignages concordent souvent : tunnel, lumière, êtres proches parfois ou êtres de lumière, retour - malgré l'envie de demeurer dans cet état de béatitude...  On s'en doute, ces phénomènes ne sont pas considérés comme des preuves irréfutables par un certain nombre de scientifiques car assimilés à des réactions purement biochimiques du cerveau.

- Les témoignages spontanés de personnes, témoignages formulés en toute conscience. L'un des premiers scientifiques à s'être intéressé à eux est le docteur américain Ian Stevenson (né en 1918) qui a examiné de très près plus de trois mille cas et, en 1960, a publié un ouvrage dans lequel il fait le récit des enquêtes longues et minutieuses qui l'ont amené à la conviction que la réincarnation est un fait, selon lui, indiscutable. Il constate que les enfants parlent beaucoup de leurs vies antérieures puis, qu'avec l'âge, le souvenir s'estompe et, souvent, disparaît.

- Les diverses méthodes de  "régressions" (dont le lying, méthode hindoue ancienne, adaptée par Swâmi Prajnanpad et abondamment évoqués dans leurs ouvrages par Denise et Arnaud Desjardins) qui permettrait de remonter dans les vies antérieures. Le but du lying est de dégager la voie spirituelle entravée par des blocages psychiques appartenant le plus souvent à une vie passée (75 sujets sur 88, précise Denise Desjardins). On a objecté que ce retour dans le passé était une plongée dans la mémoire collective engrangée dans nos molécules d'A.D.N. (et qui portent en elle la mémoire de notre humanité). Comment se fait-il alors que certaines régressions puissent permettre à celles ou ceux qui les ont vécues de guérir de traumatismes psychologiques dont l'origine se situe bien avant leur vie actuelle ?

- L'analyse des rêves. Un rêve qui se répète, dont le cadre, toujours le même, est d'un réalisme troublant et dont la situation, dépourvue d'étrangeté, est également toujours semblable, s'avère être parfois le moyen permettant au sujet d'accéder à un lieu et à des événements vécus par lui en un temps révolu. Les exemples semblent abondants.

- La xénoglossie, ou faculté de parler une langue étrangère sans l'avoir apprise. Dominique Lormier cite le cas de ce médecin de New-York (années 1930) dont les jumeaux parlaient entre eux une langue étrangère inconnue. Emmenés au département de langues étrangère de l'université de Columbia il s'avéra que les bambins parlaient… l'araméen !

Riche dans la prochaine ?


Dans le doute…
Un dicton tibétain dit : "Ne te pose pas de question sur tes vies antérieures, contente-toi de considérer avec attention ta forme corporelle présente ! Ne te pose pas de question sur tes vies futures, contente-toi d'observer ce qu'il y a dans ton esprit maintenant !"
Qu'on accepte ou non le principe de la réincarnation ; qu'on croie plutôt à la résurrection chrétienne, dans un cas comme dans l'autre, notre comportement, suivant qu'il est exécrable ou exemplaire, risque de déterminer la suite de notre aventure existentielle… Sur le fond, sachant cela, nous pouvons tout à fait ignorer ce qui, finalement, ne saurait constituer un "problème" et nous appliquer à vivre aussi juste que possible, ici et maintenant.
                                                                                                          Gérard Duc

Pour aller plus loin : de nombreux ouvrages – plus ou moins sérieux –  existent. On lira avec intérêt  le livre de Jean Herbert : Spiritualité hindoue (éd. Albin Michel, collection "Spiritualités vivantes") qui aborde entre autres le sujet sous l'angle de l'hindouisme.






[1] Le Seigneur du Lotus blanc, C.B. Levenson, Livre de Poche n° 6778, pp. 206-207
[2] Les juifs hassidiques ont même l'équivalent des bodhissatva bouddhistes qui acceptent de se réincarner pour aider tous ceux qui souffrent : les  zaddikim.
[3] Les Vies antérieures, Dominique Lormier, Le Félin, 2004, p.102
[4] Le Livre tibétain des Morts, R. Thurman, Livre de Poche n° 14332, p. 57

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