Transhumanisme, projet démiurgique
ou l'ultime solitude
"Dans la
fourmilière, c'est l'ultra moderne solitude" (Alain Souchon)
LES
NOUVEAUX PROMETHEE
Comme on le sait,
Prométhée créa de l'humain à partir de boue - ce que Zeus ne lui pardonna pas.
La cause de la colère du dieu des dieux était que Prométhée s'attribuait un
pouvoir divin qui ne lui revenait pas. Quant aux motivations ayant poussé
Prométhée à s'emparer de ce pouvoir et à rivaliser avec Zeus en se
faisant créateur, nous en sommes réduits à les deviner... Était-ce pour
assouvir un besoin de puissance ? Pour se rassurer sur sa capacité à franchir
les limites de son pouvoir ? Ces questions, comment ne pas se les poser à
propos des scientifiques qui, actuellement, éprouvent le besoin de créer des
humains "plus qu'humains" ? A les entendre, tous prétendent améliorer
la condition humaine. On pourrait croire leur démarche désintéressée. Ce serait
pure naïveté. Car leurs motivations profondes sont autrement ambiguës et,
au-delà de leurs discours généreusement "humanistes", il est assez facile de
percevoir leur désir de dominer la nature – à commencer par la mort – et de
mettre fin à la peur intime de ne plus exister. N'envisageant d'aucune façon la
possibilité d'une transcendance, ils s'en remettent au seul pouvoir de leur
intelligence et des technologies qu'elle engendre
Dès les origines, l'homme chercha à dominer la
matière. Dès le XIXe s. les sciences s'occupèrent surtout de l'énergie. Au XXIe
s. l'information est au centre des recherches. Un pas supplémentaire est en
train d'être franchi qui fait se marier l'intelligence artificielle et
l'intelligence humaine. Nous sommes à la veille d'une confusion dont les
conséquences ne semblent pas être mesurées. Refusant d'être dépendants des lois
de l'Univers certains scientifiques prétendent lui imposer leurs propres lois.
Se désolidarisant de la Nature – du cosmos – dont nous sommes issus, par une
démarche exclusivement matérialiste ils entraînent l'humain sur la voie d'un
exil qui risque de le mener vers une contrée sans âme dans laquelle des
hommes-machines auront pour objectif prioritaire de durer coûte que coûte, avec
les autres mais chacun pour soi. L'ultime solitude aura été atteinte
Transhumanisme, projet démiurgique
ou l'ultime solitude
"Dans la
fourmilière, c'est l'ultra moderne solitude" (Alain Souchon)
LES
NOUVEAUX PROMETHEE
Comme on le sait,
Prométhée créa de l'humain à partir de boue - ce que Zeus ne lui pardonna pas.
La cause de la colère du dieu des dieux était que Prométhée s'attribuait un
pouvoir divin qui ne lui revenait pas. Quant aux motivations ayant poussé
Prométhée à s'emparer de ce pouvoir et à rivaliser avec Zeus en se
faisant créateur, nous en sommes réduits à les deviner... Était-ce pour
assouvir un besoin de puissance ? Pour se rassurer sur sa capacité à franchir
les limites de son pouvoir ? Ces questions, comment ne pas se les poser à
propos des scientifiques qui, actuellement, éprouvent le besoin de créer des
humains "plus qu'humains" ? A les entendre, tous prétendent améliorer
la condition humaine. On pourrait croire leur démarche désintéressée. Ce serait
pure naïveté. Car leurs motivations profondes sont autrement ambiguës et,
au-delà de leurs discours généreusement "humanistes", il est assez facile de
percevoir leur désir de dominer la nature – à commencer par la mort – et de
mettre fin à la peur intime de ne plus exister. N'envisageant d'aucune façon la
possibilité d'une transcendance, ils s'en remettent au seul pouvoir de leur
intelligence et des technologies qu'elle engendre
Dès les origines, l'homme chercha à dominer la
matière. Dès le XIXe s. les sciences s'occupèrent surtout de l'énergie. Au XXIe
s. l'information est au centre des recherches. Un pas supplémentaire est en
train d'être franchi qui fait se marier l'intelligence artificielle et
l'intelligence humaine. Nous sommes à la veille d'une confusion dont les
conséquences ne semblent pas être mesurées. Refusant d'être dépendants des lois
de l'Univers certains scientifiques prétendent lui imposer leurs propres lois.
Se désolidarisant de la Nature – du cosmos – dont nous sommes issus, par une
démarche exclusivement matérialiste ils entraînent l'humain sur la voie d'un
exil qui risque de le mener vers une contrée sans âme dans laquelle des
hommes-machines auront pour objectif prioritaire de durer coûte que coûte, avec
les autres mais chacun pour soi. L'ultime solitude aura été atteinte
QU'EST-CE
QUE LE TRANSHUMANISME ?
Il est assez
significatif que le terme de transhumanisme
ne se trouve toujours pas dans les dictionnaires papier alors qu'il existe
depuis 1957, utilisé pour la première fois par Julian Huxley (premier directeur
de l'UNESCO), frère d'Aldous (auteur du roman Le Meilleur des Mondes). En revanche, sur le web, les définitions
ne manquent pas. Ce "mouvement
culturel et intellectuel international prônant l'usage des sciences et des
techniques afin d'améliorer les caractéristiques physiques et mentales des
êtres humains" (Wikipedia), bien qu'encore peu connu en France,
commence à faire parler de lui depuis qu'articles, émissions, conférences et
ouvrages lui sont consacrés. Mais ce sont surtout les Américains et en
particulier les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) et les ingénieurs de la
Silicone Valley qui sont à l'origine de ce qui s'annonce d'ores et déjà comme
une lame de fond en train de recouvrir le paysage technologique planétaire. 55 % de la vie numérique (e-mails, e-commerce, musique, vidéo, réseaux
sociaux…) d’un utilisateur moyen est passée
sur ces quatre plates-formes (chiffre de 2014)
La définition citée est
lacunaire. En effet, les sciences et techniques concernées n'ont pas pour seul
but d'"améliorer" l'humain, de le "réparer"[1] dit-on
également, mais aussi de l'augmenter".
On comprendra
facilement que "réparer" un organisme humain ne soulève guère
d'objections (ou alors il faudrait remettre en question le port de lunettes, de
prothèses[2], etc.)
Mais la biochirurgie passe de plus en plus de la "réparation" à
l'"augmentation", ce qui ne manque pas de prêter à réflexion, dès
lors qu'il s'agit d'ajouter au corps un objet issu de la technologie afin de
doter un humain de compétences non naturelles. Entre les deux démarches la
frontière est mince mais les implications considérables.
La notion même de
"nature" dans l'expression "nature humaine" perd son sens
originel dès lors qu'est considérée comme "naturelle" toute
modification apportée à l'homme par l'homme. La question de fond, posée depuis
l'Antiquité par nombre de philosophes, demeure entière : "Qu'est-ce que
l'homme ?" Cette question cruciale devient de plus en plus complexe par le
fait même que s'estompe rapidement la séparation entre l'être vivant et la
réalité inanimée – ce qui vit et ce qui est inerte étant dorénavant hybridé (en
2007, Craig Venter crée une bactérie de
synthèse donc artificielle[3]). Se
pose très vite aussi la question de l'intelligence, celle-ci n'étant plus la
prérogative de l'humain, ni même celle des animaux, voire des végétaux. On
parle sans même s'en étonner d'objets "intelligents" comme la
voiture. Et cette intelligence des machines est appelée à dépasser la nôtre,
affirment les technosciences. Tous les paradigmes sont d'ores et déjà bouleversés…
UN FAISCEAU D'INNOVATIONS
Apparemment, le projet
d'augmentation ne pose aucun problème éthique aux tenants du transhumanisme. A
commencer par Ray Kurtzweil, ingénieur en chef chez Google, dont les projets
agendés (jusqu'alors toujours réalisés) réduisent à des notions scientifiques
réalistes ce qui semble relever de la science-fiction[4].
Parmi ces innovations
pouvant nous interpeler, notons :
- la pose d'implants
dans le cerveau ou ailleurs (déjà expérimentée) sera banalisée en 2025
- le prolongement de la
vie à un âge très avancé dès 2025, prémisse à la mise en place d'un corps
indéfiniment améliorable[5]
- la fabrication
d'organes par imprimante 3D en 2031
- Le projet de la
société Calico, fondée en 2013 et dirigée par Arthur Levinson[6], grâce
aux centaines de millions de dollars investis, ayant pour but affiché de
"tuer la mort" dès 2045
- Téléchargement
du maillage synaptique neuronal sur un serveur : «Dans trente ans, les humains seront capables de télécharger leur esprit
en totalité vers des ordinateurs pour devenir numériquement immortels.»
(Ray Kurzweil, Global Futures 2045
International Congress, 2015)
On aura compris que, du
transhumanisme, on s'achemine vers le posthumanisme.
La californienne
"Université de la Singularité"[7] (soutenue par Peter Thiel, cofondateur de Paypal) introduite
en France en 2015[8],
annonce l’avènement vers 2060 d’une intelligence supérieure à l’intelligence
humaine. Larry Page, fondateur de Google, avec différentes figures liées à la
firme, ont lancé cette "Université" destinée à dynamiser, faire
converger et diffuser les différents travaux de recherche qui permettraient
d’atteindre ce but.
Si les transhumanistes
ont des points de vue parfois différents, ils ont aussi des points communs.
Tous sont matérialistes, tous ont pour démarche la prise en charge de
l'évolution, ce qui suppose l'acceptation de diverses interventions dans de
multiples champs des connaissances scientifiques actuelles. Leurs projets sont
croisés et s'interpénètrent à partir de ce qu'on appelle la convergence des
NBIC, à savoir : Nanotechnologies[9],
Biotechnologies, Intelligence artificielle et Sciences cognitives (robotique,
cerveau).
Ces domaines, par le
fait qu'ils concernent l'humain et, pour certains, les premiers moments de sa
constitution, impliquent le génome - ensemble du matériel génétique qui préside
à la formation d'un individu. Rappelons que ce matériel est contenu dans toute
cellule et plus précisément dans le noyau où se trouvent les chromosomes (23
paires), eux-mêmes constitués d'ADN portant environ 25 000 gènes indiquant aux
cellules le rôle qu'elles doivent jouer. L'ADN contient toute l'information
génétique (génome) nécessaire au développement et au fonctionnement de notre
corps.
Hormis l'allongement de
l'existence et l'augmentation des capacités naturelles, il faudrait un long
chapitre concernant les interventions sur ce génom[10] qui
permettent déjà aux futurs parents dans certains pays de choisir la couleur des
yeux, de la peau, etc. de l'enfant qu'ils désirent. La sélection naturelle fait
place à l'artificielle et l'eugénisme[11]
triomphe.
L'ectogénèse (création
hors du ventre de la mère grâce à un utérus artificiel[12]), même
si on n'a pas encore mis au point le placenta artificiel, a déjà permis à
un couple de Jordaniens d'obtenir au Mexique un enfant au code génétique
modifié et possédant trois ADN ! Après la GPA (Gestation pour autrui), l'enfant
"hors-sol" n'est plus une vue de l'esprit.[13]
La modification du
génome laisse entrevoir l'augmentation de l'aptitude au raisonnement et l'élargissement
de la mémoire externalisée par des adjonctions confiées à Google.
Depuis
avril 2016, Fredrik Lanner, biologiste travaillant sur les cellules souches à
l’Institut Karolinska de Stockholm, a mis au point des expériences qui
impliquent l’édition du génome sur les embryons humains. Les expériences sont
maintenant approuvées en Suède, en Chine et au Royaume-Uni…
Mentionnons
également la découverte du rôle des télomères et de la télomérase dans le
maintien de l'intégrité du génome, le vieillissement et le contrôle de la
prolifération cellulaire. Cette découverte a valu le Nobel 2009 à Elizabeth
Blackburn, Carol Greider et Jack Szostak. Les télomères sont les structures à
l'extrémité des chromosomes qui protègent ceux-ci de la dégradation. L'ennui
est qu'à chaque division cellulaire, ils sont raccourcis. Quand leur longueur
atteint un seuil limite, cela déclenche l'entrée en sénescence de la cellule.
La télomérase est une enzyme qui reconstitue l'extrémité des chromosomes et
qui, judicieusement utilisée, prolongera la vie des cellules.[14]
DES
OPTIONS INCONCILIABLES ?
Les transhumanistes s'accordent tous sur une pieuse
intention : ils souhaitent le bonheur de l'homme et affirment viser la fin de
la souffrance, de l'humiliation, de la vieillesse et de la mort. Larry Page[15],
directeur de Alphabet Inc., filiale
de Google, investisseur de Tesla Motors,
envisage un monde interconnecté avec l'humain et ce, pour le plus grand profit
de tous. Notre intelligence, reliée à celle des machines, rendra notre vie plus
facile. Ses perspectives semblent dénuées de tout calcul machiavélique de
domination et les seuls obstacles envisagés sont d'ordre technique donc destinés
à être bientôt levés.
Le plus surprenant peut-être est qu'aucun d'eux ne
fait entrer en ligne de compte une autre réalité que le couple corps - mental.[16] C'est un peu comme si l'univers numérique, binaire,
conduisait ces technoscientifiques à penser l'humain en termes également binaires.
Quid d'une troisième dimension, qu'elle ait pour nom : âme, prâna, ki, chi,
pneuma, rûach, spiritus, esprit, souffle ? Cette troisième dimension, celle
d'une transcendance, d'un au-delà de l'intelligible, du rationnellement compréhensible,
est radicalement niée par les leaders du transhumanisme actuel.
Il va dès lors de soi
que les tenants d'une religion, quelle qu'elle soit[17], crient
au loup et condamnent ces pratiques au nom d'une transcendance, du divin, du
sacré, des dogmes, etc.
Le problème est que
tout argument, tant qu'il s'appuie sur une croyance, est impuissant à
convaincre des scientifiques pour qui n'existe rien d'autre que la connaissance.
Il est vain de vouloir lutter contre l'athéisme en voulant
imposer Dieu.
De plus, distinguer ce qui nous humanise de ce qui nous déshumanise n'est pas
évident. D'où un inévitable dialogue de sourds. D'un côté les
"technolâtres" ou "biotransgressifs" ; de l'autre les
"technophobes" (ou "bioconservateurs") qui, disent les
transhumanistes, sont destinés à devenir les "chimpanzés de
l'avenir". Entre ces deux types de postures, il reste cependant de la
place pour une attitude moins outrancière et une réflexion plus nuancée et plus
lucide comme, par exemple, celle des acteurs de Humanity+ [18]
[1] Ce qui est déjà une
façon de le réifier : jusqu'alors on "réparait" un objet, pas un être
vivant.
[2] Un bras bionique
commandé par le cerveau existe depuis 1998
[3] Voir ce qui concerne la
"Biologie de synthèse", domaine scientifique mariant biologie et
ingénierie.
[4] Voir la liste des
projets datés à l'adresse : iatranshumanisme.com
[5] Cf. les
souris de l'université de Rochester. Une équipe américaine
a prolongé de 30% l’espérance de vie moyenne de souris en nettoyant leur
organisme des cellules sénescentes. Ils sont de plus parvenus à éliminer
plusieurs pathologies liées à l’âge et à augmenter leur espérance de vie en
bonne santé. «Le problème majeur serait de conduire des
essais pendant 30 ans sur des jeunes en bonne santé, avec le risque
d’effets secondaires importants», souligne Jean-Claude Ameisen (Le Monde 3 févr. 2016
[6] Biologiste,
siège au conseil d'administration d''Apple et du laboratoire
pharmaceutique Hoffmann-La Roche,
[7] Il ne
s’agit pas d'une université (aucun diplôme) mais d’une entreprise qui a
vocation à générer des profits. A sa tête en France : Zak Allal, 28 ans,
entrepreneur, médecin, pianiste. Sa définition de cette école : « C’est un
point dans l’évolution de l’histoire de l’humanité où l’on connaîtra une
accélération du changement tellement intense qu’on atteindra un point de
non-retour. Cela coïncidera avec l’apparition d’une super-intelligence. » 3 000 dossiers pour 80 places. Coût des études : 30
000€ les 10 semaines…
[8] Jean-Paul Mazoyer,
directeur de "informatique et Industrie", groupe de Crédit Agricole
SA, déclare : "le niveau d’ambition de l’Université de la Singularité
est assez inhabituel, je trouve ça intéressant … Le travail sur les
exosquelettes et sur l’intelligence artificielle nous intéresse bien plus que
le transhumanisme qui n’est pas notre sujet ».
[9] Nano = un milliardième de mètre
(50 000 fois plus petit que le diamètre d'un cheveu)
[10] Emmanuelle
Charpentier a inventé la technique de CRISPR/Cas9 qui a révolutionné le domaine
de l'ingénierie génétique et consiste à
couper-coller l'ADN.
[11] "Ensemble des méthodes et pratiques visant à
intervenir sur le patrimoine
génétique de l'espèce humaine" (Wikipédia) avec toutes les dérives
socio-politiques que cela peut engendrer.
[12] Les chercheurs parviennent à reproduire les cinq premiers
jours de la gestation ainsi que les derniers
jours (semaines 24 à 35) dans des « super-couveuses »
[13] Rien de scientifiquement
impossible à la création d'un humain à plus de 3 ADN.
[15] En 2016, selon Forbes, sa fortune est estimée à 36,4
milliards de dollars.
[16] Ce dualisme a sa source au
XVIIIe s. qui envisageait un "homme nouveau" en-dehors de toute
métaphysique. Le terme de "mental" que nous choisissons ici est
parfois remplacé par "esprit" par d'autres auteurs.
[17] Comme par exemple le Père Jean
Boboc, théologien orthodoxe et docteur en médecine (nombreuses vidéo sur l'internet)
J'aime te lire... il ne faut donc pas être inquiet, mais attentif.
RépondreSupprimerEn effet. Donc s'informer et informer en essayant de ne pas déformer !
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