Rencontre sur le Mékong

vendredi 1 mai 2020

YOGA, NEUROSCIENCES, MEDITATION... Où en sommes-nous ?

Neurosciences, méditation, yoga… Où en est-on ? Qu'en penser ?

"Il nous faut choisir entre le bonheur et ce que l'on appelait autrefois le grand art. Nous avons sacrifié le grand art. Nous avons à la place le Cinéma Sentant et l'orgue à parfums." (G. Orwell, Le Meilleur des Mondes)

Proches origines
Dans son ouvrage de 1850, La Vie sans principes, l’écrivain américain Henry David Thoreau établissait clairement un lien entre la santé et une forme de vie plus contemplative : "Pouvoir regarder le soleil se lever ou se coucher chaque jour, afin de nous relier à un phénomène universel, préserverait notre santé pour toujours". Depuis, des rencontres officielles associant neurosciences et méditation (plus précisément méditation bouddhiste – vipassana) ont abordé de front le rapport entre  méditation et santé – à commencer par celle de l'esprit. Dès 1987, deux fois par an, les conférences Mind and Life – Esprit et Vie – rassemblaient nombre d'éminents chercheurs de toutes disciplines (neurosciences mais aussi physique quantique, astrophysique, etc.) et personnalités du monde spirituel dont, en première ligne, le Dalaï Lama. Depuis 2004 le Massachusetts Institute of Technology, l'Académie Nationale des Sciences des USA, l'université d'Oxford, accueillent ces rencontres. De plus en plus les thèmes choisis concernent  les effets de la méditation sur le cerveau. 
A qui serait choqué par ce mariage que certains jugent encore contre nature, laissons répondre le Dalaï Lama lui-même : "… les grands maîtres indiens n'acceptaient pas à priori les enseignements du Bouddha, ils utilisaient le raisonnement et l'analyse pour examiner le contenu du texte. Cette manière de faire est basée sur une parole du Bouddha qui dit : « Mes disciples ne doivent pas accepter mon enseignement simplement à cause de leur foi et de leur dévotion, mais au contraire l'analyser, comprendre sa signification et ensuite le mettre en pratique." (Discours inaugural du Dalaï-lama à la rencontre organisée par le Mind and Life Institute à Delhi en Novembre 2010)
Cette déclaration suivait plus précisément la rencontre de Madison, à l'université du Wisconsin, lors de laquelle Richard Davidson présentait les résultats de ses expériences sur de grands méditants observés par IRM (Imagerie à Résonnance Magnétique) et EEG (Électroencéphalogramme) et mettant en évidence les processus cérébraux activés lors de la méditation – résultats qui enthousiasmèrent le Dalaï Lama : "Dans une certaine mesure, si la science veut sérieusement avoir accès à toute la gamme des méthodes nécessaires à une étude complète de la conscience, je pense que l'expérience de – je dirai même l'entraînement à – certaines de ces techniques de discipline mentale (ou d'autres techniques similaires) devra devenir partie intégrante de la formation du spécialiste des sciences cognitives. [] J'ai le sentiment que c'est dans ce domaine que les traditions contemplatives de longue date, comme le bouddhisme, peuvent apporter une contribution potentielle immense à la science et à ses méthodes…"[1]
En 1979, donc bien avant ces premiers échanges, le Dr Jon Kabat-Zinn (thèse en biologie moléculaire), médecin, professeur émérite à la Faculté de Médecine de l'Université du Massachussets, créait la première clinique de réduction du stress, la Mindfulness Based Stress Reduction Clinic (ou MBSR, en français : "Méditation de la pleine conscience pour réduire le stress") et, en 1995, le Center for Mindfulness in Medecine, Health Care, and Society, centre dédié au concept de "pleine conscience" dans les domaines de la médecine, de la santé et de la société. Lui-même devait devenir membre du conseil d'administration du Mind and Life Institute évoqué plus haut.

Qu'est-ce que la "Méditation de Pleine Conscience" ?
Le décor historique étant posé il est temps de préciser ce qu'est la "Mindfullness" ou "Méditation de Pleine Conscience" (que nous abrégerons par MPC) à qui n'aurait pas encore découvert au moins un des trente ouvrages ou les vidéos de Christophe André…[2] La traduction de "Mind" peut se discuter ; au terme de *Conscience", très polysémique en français, on pourrait préférer celui d'"Attention".
En effet, de quelle méditation s'agit-il ? La question est importante car la grande majorité des individus ignore ce que peut recouvrir ce terme en général. La MPC n'est pas une réflexion approfondie sur un quelconque sujet ; non plus une méditation de type religieux ou spirituel même si, quelles qu'elles soient, les nombreuses formes de méditation comportent des points communs. En fait, de prime abord, la MPC est une méditation "classique", répondant à une définition généralisante puisqu'il s'agit d'une attitude mentale de retrait permettant de stabiliser l'attention, d'observer sans réagir les stimulations externes ou internes (pensées, émotions) qui nous assiègent.
Si l'on s'en réfère à Christophe André, une précision peut être apportée : la MPC vise l'élargissement du champ de conscience ; on prête d'abord attention à la respiration[3] puis aux sensations corporelles puis aux émotions et pensées sans se limiter à un seul de ces points d'observation. Rappelons que certaines méditations, en effet, procèdent plutôt par resserrement de l'attention. Mais les deux "méthodes" ne s'excluent pas nécessairement.

Quels sont ses objectifs ?
La réponse tient en un mot : le "mieux-être". Ou la "santé". Il n'est pas question ici d'Éveil spirituel, de Libération, de Nirvana, etc. Ce sont les vertus thérapeutiques procurées qui sont visées : diminution du stress, augmentation de l'immunité, régression de diverses pathologies, régulation de la tension artérielle et diminution des états post dépressifs. Il semble également attesté par des expériences sérieuses que l'expression des gènes, c'est à dire la production des protéines nécessaires au bon fonctionnement de l'organisme est modifiée très positivement. Cela confirme que nous ne sommes pas complètement déterminés par notre hérédité.
Il est à noter également le maintien de la vie des télomères, structures prolongeant et protégeant l'extrémité des chromosomes. Ces télomères ont tendance à se raccourcir avec le stress, l'inflammation et, inévitablement, avec le temps, et ne peuvent alors retarder la fin de vie des cellules. Il s'agit ni plus ni moins que du vieillissement de toutes les cellules de l'organisme, vieillissement dont on connaît l'issue. Or des expériences avec divers groupes de méditants et de non méditants prouvent les effets bénéfiques d'une retraite de trois mois sur l'activité des télomères. Effets psychologiques positifs (diminution du stress, diminution du neuroticisme[4]), et effets structurels sur l'activité accrue des télomères, autrement dit sur la longévité des cellules immunitaires. En un mot, méditer contribue à vivre plus longtemps !

Liens avec la méditation yogique
Si la mise à distance de l'agitation mentale est préconisée dans la MPC, il ne s'agit cependant pas la cessation des vritti (agitation du mental) visée par Patanjali… Il suffit d'écouter Christophe André :
"… s’il nous est impossible d’empêcher pensées ou émotions négatives d’apparaître à notre esprit, nous pouvons garder nos distances vis à- vis d’elles. C’est ce que permet la méditation dite de pleine conscience : prendre les pensées pour des pensées, non pour des certitudes. L’enjeu est de comprendre qu’il y a une différence fondamentale entre être préoccupé par un problème, et réfléchir au fait qu’on est préoccupé par un problème." (Site de C. André ; article : "Un esprit sain dans un corps sain").
Dès lors la différence d'approche, semblable dans les moyens, s'avère très différente dans les objectifs. La MPC est une méditation laïque, celle du yoga est d'ordre spirituel. D'un côté deux acteurs : le corps et le mental, point barre ; de l'autre : le corps, le mental, mais, de surcroît, les dimension de l'Être (cf. les kosha) dont nous ne ferons pas l'injure aux adeptes du yoga de rappeler l'existence, non plus de ce que ces dimensions imposent concernant notre "réalité"… D'un côté la possible accession à une Transcendance ; de l'autre l'accession à un mieux-être uniquement psycho-physiologique.
A partir de ce constat il revient à chacun de se réjouir ou de déplorer la propagation croissante de la MPC : se réjouir de l'avènement d'une pratique (pourtant très ancienne mais jusque-là limitée au domaine spirituel) permettant à tout un chacun de découvrir une dimension supplémentaire de l'existence autorisant l'accès possible à une forme de sérénité laïque ; déplorer que cette même pratique, bien que procurant un indéniable mieux-être, puisse, pour le plus grand nombre, se limiter à l'acquisition d'un objet de  confort supplémentaire sans pour autant ajouter du sens à l'existence. Ce n'est pas anodin : se sentir moins stressé dans une cage ne supprime pas la conscience de l'enfermement – elle-même pouvant être à l'origine d'un autre stress plus fondamental que celui lié à notre rythme de vie, nos activités professionnelles, etc.

Un point de vue personnel
Il ne s'agit pas là de mettre en doute, ni en question les bienfaits de la MPC, sachant que celle-ci peut être un tremplin permettant à ses pratiquants d'aller au-delà du confort mental, de découvrir des horizons plus riches et, pourquoi pas, d'accéder à d'autres dimensions de l'Être que celles purement pragmatico-psycho-biologiques !
Les réserves qu'on peut émettre ne sauraient donc concerner la MPC en soi mais ce qui gravite autour.
En effet, la MPC a tout pour séduire les marchands du temple dont la seule raison d'être est le profit. La MPC apparaît d'ores et déjà comme un produit de consommation de bon rapport. Ce que les Maîtres authentiques proposaient gratuitement, par pure compassion, s'avère être un gadget facile à se procurer contre monnaie sonnante et trébuchante. Une fois de plus, le quantitatif se met au service du qualitatif : tant de semaines de formation, tant d'heures par jour contre tant d'euros (beaucoup, parfois, il suffit pour s'en convaincre, de visiter les sites abondants) et le tour est joué… La sérénité, la bonne santé et la jeunesse  à la portée de tous. Donnant-donnant. Mais pas forcément gagnant-gagnant…

La traçabilité du "produit MPC" est donc importante : quelle est le background du formateur ? Quelle a été sa formation ? Dans quel domaine ? Comment procède-t-il ? Bref, nous voilà contraints de nous poser le même type de questions que celles que nous abordons au rayon boucherie ou légumes du supermarché si nous sommes soucieux de déjouer les pièges des arnaques semées sur notre route de consommateurs plus ou moins dociles.
Et puis, pour finir, sinon une réserve, du moins une mise en garde : la MPC, comme la plupart des autres formes de méditation, n'a rien d'un remède miracle. Certes, les résultats sont réels mais pas assurés à 100%. D'autre part, il faut demeurer vigilant : la MPC n'est pas à conseiller à tous dans précautions préalables. Elle peut mener à des états de conscience d'ordre transpersonnel, voire catapulter ladite conscience au-delà des limites auxquelles elle est ordinairement cantonnée. Deux conséquences sont alors à envisager si le sujet, encore ligoté par des nœuds psychiques importants, donc vulnérable, est pris en charge par un charlatan : l'inefficacité totale de la démarche dans le meilleur des cas ou, plus gravement, la dégradation accrue du psychisme. Toute méditation risque en effet de mener à l'accroissement des névroses : ce qui se passe dans certaines sectes le démontre amplement. Un travail de nettoyage, d'accompagnement, est donc parfois souhaité avant de se lancer tête baissée dans ce type de "thérapie". D'où la nécessité de savoir vers quoi et vers qui on se tourne – au même titre qu'on ne se livre pas sans conscience au premier individu se proclamant psychologue (il existe environ 350 techniques psychothérapeutiques répertoriées) ou médecin.
Important également d'être au clair avec ses propres attentes : gérer son stress (comme on dit), acquérir un plus grand confort existentiel ou s'embarquer dans une quête de type humaniste, philosophique, voire dans une sâdhana (démarche spirituelle) n'est pas la même chose. Les frontières ont de plus en plus tendance à s'estomper et, de même que le yoga se confond avec une gymnastique douce, la méditation fait actuellement partie des multiples produits anesthésiants vendus sur l'internet. Il n'est pas certain que cette profusion de gadgets à visée lénifiante, permette aux humains d'aller vers plus de conscience. Considérer la méditation (quelle que soit sa forme) comme un sédatif, c'est fuir l'expérience indispensable de la rugosité, de la violence souvent, d'une réalité qu'on ne peut esquiver sous peine de vivre à moitié ou "à côté". En effet, regrettable ou non, aucun progrès intérieur (en particulier spirituel) n'est possible dans l'évitement des états de souffrance que la vie impose. Faire de son bien-être une priorité à tout prix, reviendrait à parcourir à l'envers le cycle naturel de l'Évolution et se précipiter vers un stade végétatif indigne de notre condition humaine. Or, au vu des incitations actuelles qui envahissent la sphère spiritualomachinchose, on peut se demander quel niveau de conscience caractérisera les individus qui s'inscriront dans cette quête effrénée du confort mental.  On rencontre de plus en plus sur la toile mais aussi dans les séminaires, les stages, les rayons des librairies, ces consommateurs de produits occultes, sorte de chiens truffiers à la recherche du champignon magique, du mudra, du mantra ou autre recette prodigieuse qui les rendra "heureux"... Dans Le Meilleur des Mondes, son roman visionnaire écrit en 1932, Aldous Huxley, n'a pas pensé à ces dupes plus ou moins consentantes mais elles auraient sans conteste une place de choix dans son système dictatorial parfait où les esclaves décérébrés aiment par-dessus tout leur état de servitude.

Gérard Duc



[1] Sa Sainteté le Dalaï Lama “Tout l'univers dans un atome”, chapitre : “Vers une science de la conscience” Pocket, fév. 2009)

[2] Né en 1956, thèse de doctorat en 1980, mémoire de psychiatrie en 1982. Exerce à l’hôpital Sainte-Anne à Paris, au sein du service hospitalo-universitaire de santé mentale et de thérapeutique. Spécialisé dans la prise en charge des troubles anxieux et dépressifs, et tout particulièrement dans le domaine de la prévention des rechutes. L’un des chefs de file des thérapies comportementales et cognitives en France, et l’un des premiers à introduire l’usage de la méditation en psychothérapie (tiré de Wikipédia)
Chargé d’enseignement à l’université Paris X, il est l’auteur de nombreux livres de psychologie à destination du grand public. Très médiatisé (radios, TV)
Son ouvrage Imparfaits, libres et heureux est couronné du Prix Psychologies-Fnac 2007.
[3] … et non au "souffle". Le "souffle" (pneuma, spiritus, ruach…) n'est pas réductible à la "respiration".
[4] Tendance persistante à nourrir des émotions négatives.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire