Neurosciences, méditation,
yoga… Où en est-on ? Qu'en penser ?
"Il nous faut choisir entre le
bonheur et ce que l'on appelait autrefois le grand art. Nous avons sacrifié le
grand art. Nous avons à la place le Cinéma Sentant et l'orgue à parfums." (G.
Orwell, Le Meilleur des Mondes)
Proches
origines
Dans
son ouvrage de 1850, La Vie sans
principes, l’écrivain américain Henry David Thoreau établissait clairement
un lien entre la santé et une forme de vie plus contemplative : "Pouvoir regarder le soleil se lever ou se
coucher chaque jour, afin de nous relier à un phénomène universel, préserverait
notre santé pour toujours".
Depuis, des rencontres
officielles associant neurosciences et méditation (plus précisément méditation bouddhiste
– vipassana) ont abordé de front le rapport entre méditation et santé – à commencer par celle de
l'esprit. Dès 1987, deux fois par an, les conférences Mind and Life – Esprit et Vie – rassemblaient nombre d'éminents
chercheurs de toutes disciplines (neurosciences mais aussi physique quantique,
astrophysique, etc.) et personnalités du monde spirituel dont, en première
ligne, le Dalaï Lama. Depuis 2004 le Massachusetts Institute
of Technology, l'Académie Nationale des Sciences des USA, l'université d'Oxford,
accueillent ces rencontres. De plus en plus les thèmes choisis concernent les effets de la méditation sur le
cerveau.
A qui serait choqué par
ce mariage que certains jugent encore contre nature, laissons répondre le Dalaï
Lama lui-même : "… les grands maîtres indiens n'acceptaient pas à
priori les enseignements du Bouddha, ils utilisaient le raisonnement et
l'analyse pour examiner le contenu du texte. Cette manière de faire est basée
sur une parole du Bouddha qui dit : « Mes disciples ne doivent pas accepter mon
enseignement simplement à cause de leur foi et de leur dévotion, mais au
contraire l'analyser, comprendre sa signification et ensuite le mettre en
pratique." (Discours inaugural du Dalaï-lama à la rencontre organisée par le Mind and Life Institute à Delhi en
Novembre 2010)
Cette
déclaration suivait plus précisément la rencontre de Madison, à l'université du
Wisconsin, lors de laquelle Richard Davidson présentait les résultats de ses
expériences sur de grands méditants observés par IRM (Imagerie à Résonnance
Magnétique) et EEG (Électroencéphalogramme) et mettant en évidence les
processus cérébraux activés lors de la méditation – résultats qui
enthousiasmèrent le Dalaï Lama : "Dans
une certaine mesure, si la science veut sérieusement avoir accès à toute la
gamme des méthodes nécessaires à une étude complète de la conscience, je pense
que l'expérience de – je dirai même l'entraînement à – certaines de ces
techniques de discipline mentale (ou d'autres techniques similaires) devra
devenir partie intégrante de la formation du spécialiste des sciences
cognitives. […] J'ai le sentiment que c'est dans ce domaine que
les traditions contemplatives de longue date, comme le bouddhisme, peuvent
apporter une contribution potentielle immense à la science et à ses méthodes…"[1]
En 1979, donc bien avant ces premiers échanges, le
Dr Jon Kabat-Zinn (thèse en biologie moléculaire), médecin, professeur
émérite à la Faculté de Médecine de l'Université du Massachussets, créait la
première clinique de réduction du stress, la
Mindfulness Based Stress Reduction Clinic (ou MBSR, en français : "Méditation de la pleine conscience pour
réduire le stress") et, en 1995, le Center for Mindfulness in Medecine, Health Care, and Society, centre
dédié au concept de "pleine conscience" dans les domaines de la
médecine, de la santé et de la société. Lui-même devait devenir membre du
conseil d'administration du Mind and Life
Institute évoqué plus haut.
Qu'est-ce que la "Méditation de
Pleine Conscience" ?
Le décor historique
étant posé il est temps de préciser ce qu'est la "Mindfullness" ou
"Méditation de Pleine Conscience" (que nous abrégerons par MPC) à qui
n'aurait pas encore découvert au moins un des trente ouvrages ou les vidéos de
Christophe André…[2]
La traduction de "Mind" peut se discuter ; au terme de
*Conscience", très polysémique en français, on pourrait préférer celui
d'"Attention".
En effet,
de quelle méditation s'agit-il ? La question est importante car la grande
majorité des individus ignore ce que peut recouvrir ce terme en général. La MPC
n'est pas une réflexion approfondie sur un quelconque sujet ; non plus une
méditation de type religieux ou spirituel même si, quelles qu'elles soient, les
nombreuses formes de méditation comportent des points communs. En fait, de
prime abord, la MPC est une méditation "classique", répondant à une
définition généralisante puisqu'il s'agit d'une attitude mentale
de retrait permettant de stabiliser l'attention, d'observer sans réagir les
stimulations externes ou internes (pensées, émotions) qui nous assiègent.
Si
l'on s'en réfère à Christophe André, une précision peut être apportée : la MPC
vise l'élargissement du champ de conscience ; on prête d'abord attention à la
respiration[3] puis aux sensations
corporelles puis aux émotions et pensées sans se limiter à un seul de ces
points d'observation. Rappelons que certaines méditations, en effet, procèdent plutôt
par resserrement de l'attention. Mais les deux "méthodes" ne
s'excluent pas nécessairement.
Quels sont ses objectifs
?
La
réponse tient en un mot : le "mieux-être". Ou la "santé".
Il n'est pas question ici d'Éveil
spirituel, de Libération, de Nirvana, etc. Ce sont les vertus thérapeutiques
procurées qui sont visées : diminution du stress, augmentation de l'immunité,
régression de diverses pathologies, régulation de la tension artérielle et diminution
des états post dépressifs. Il semble également attesté par des expériences
sérieuses que l'expression des gènes, c'est à dire la production des protéines
nécessaires au bon fonctionnement de l'organisme est modifiée très
positivement. Cela confirme que nous ne sommes pas complètement déterminés par
notre hérédité.
Il
est à noter également le maintien de la vie des télomères, structures
prolongeant et protégeant l'extrémité des chromosomes. Ces télomères ont
tendance à se raccourcir avec le stress, l'inflammation et, inévitablement, avec
le temps, et ne peuvent alors retarder la fin de vie des cellules. Il s'agit ni
plus ni moins que du vieillissement de toutes les cellules de l'organisme, vieillissement
dont on connaît l'issue. Or des expériences avec divers groupes de méditants et
de non méditants prouvent les effets bénéfiques d'une retraite de trois mois
sur l'activité des télomères. Effets psychologiques positifs (diminution du
stress, diminution du neuroticisme[4]),
et effets structurels sur l'activité accrue des télomères, autrement dit sur la
longévité des cellules immunitaires. En un mot, méditer contribue à vivre plus
longtemps !
Liens avec la méditation
yogique
Si
la mise à distance de l'agitation mentale est préconisée dans la MPC, il ne
s'agit cependant pas la cessation des vritti
(agitation du mental) visée par Patanjali… Il suffit d'écouter Christophe André
:
"… s’il nous est
impossible d’empêcher pensées ou émotions négatives d’apparaître à notre
esprit, nous pouvons garder nos distances vis à- vis d’elles. C’est ce que
permet la méditation dite de pleine conscience : prendre les pensées pour des
pensées, non pour des certitudes. L’enjeu est de comprendre qu’il y a une
différence fondamentale entre être préoccupé par un problème, et réfléchir au
fait qu’on est préoccupé par un problème." (Site
de C. André ; article : "Un esprit
sain dans un corps sain").
Dès
lors la différence d'approche, semblable dans les moyens, s'avère très
différente dans les objectifs. La MPC est une méditation laïque, celle du yoga est
d'ordre spirituel. D'un côté deux acteurs : le corps et le mental, point barre
; de l'autre : le corps, le mental, mais, de surcroît, les dimension de l'Être
(cf. les kosha) dont nous ne ferons pas l'injure aux adeptes du yoga de
rappeler l'existence, non plus de ce que ces dimensions imposent concernant
notre "réalité"… D'un côté la possible accession à une Transcendance
; de l'autre l'accession à un mieux-être uniquement psycho-physiologique.
A
partir de ce constat il revient à chacun de se réjouir ou de déplorer la
propagation croissante de la MPC : se réjouir de l'avènement d'une pratique
(pourtant très ancienne mais jusque-là limitée au domaine spirituel) permettant
à tout un chacun de découvrir une dimension supplémentaire de l'existence
autorisant l'accès possible à une forme de sérénité laïque ; déplorer que cette
même pratique, bien que procurant un indéniable mieux-être, puisse, pour le
plus grand nombre, se limiter à l'acquisition d'un objet de confort supplémentaire sans pour autant
ajouter du sens à l'existence. Ce n'est pas anodin : se sentir moins stressé
dans une cage ne supprime pas la conscience de l'enfermement – elle-même
pouvant être à l'origine d'un autre stress plus fondamental que celui lié à
notre rythme de vie, nos activités professionnelles, etc.
Un point de vue personnel
Il
ne s'agit pas là de mettre en doute, ni en question les bienfaits de la MPC,
sachant que celle-ci peut être un tremplin permettant à ses pratiquants d'aller
au-delà du confort mental, de découvrir des horizons plus riches et, pourquoi
pas, d'accéder à d'autres dimensions de l'Être que celles purement
pragmatico-psycho-biologiques !
Les
réserves qu'on peut émettre ne sauraient donc concerner la MPC en soi mais ce
qui gravite autour.
En
effet, la MPC a tout pour séduire les marchands du temple dont la seule raison
d'être est le profit. La MPC apparaît d'ores et déjà comme un produit de
consommation de bon rapport. Ce que les Maîtres authentiques proposaient
gratuitement, par pure compassion, s'avère être un gadget facile à se procurer
contre monnaie sonnante et trébuchante. Une fois de plus, le quantitatif se met
au service du qualitatif : tant de semaines de formation, tant d'heures par
jour contre tant d'euros (beaucoup, parfois, il suffit pour s'en convaincre, de
visiter les sites abondants) et le tour est joué… La sérénité, la bonne santé
et la jeunesse à la portée de tous. Donnant-donnant.
Mais pas forcément gagnant-gagnant…
La
traçabilité du "produit MPC" est donc importante : quelle est le
background du formateur ? Quelle a été sa formation ? Dans quel domaine ?
Comment procède-t-il ? Bref, nous voilà contraints de nous poser le même type
de questions que celles que nous abordons au rayon boucherie ou légumes du
supermarché si nous sommes soucieux de déjouer les pièges des arnaques semées
sur notre route de consommateurs plus ou moins dociles.
Et
puis, pour finir, sinon une réserve, du moins une mise en garde : la MPC, comme
la plupart des autres formes de méditation, n'a rien d'un remède miracle.
Certes, les résultats sont réels mais pas assurés à 100%. D'autre part, il faut
demeurer vigilant : la MPC n'est pas à conseiller à tous dans précautions
préalables. Elle peut mener à des états de conscience d'ordre transpersonnel,
voire catapulter ladite conscience au-delà des limites auxquelles elle est
ordinairement cantonnée. Deux conséquences sont alors à envisager si le sujet,
encore ligoté par des nœuds psychiques importants, donc vulnérable, est pris en
charge par un charlatan : l'inefficacité totale de la démarche dans le meilleur
des cas ou, plus gravement, la dégradation accrue du psychisme. Toute
méditation risque en effet de mener à l'accroissement des névroses : ce qui se
passe dans certaines sectes le démontre amplement. Un travail de nettoyage,
d'accompagnement, est donc parfois souhaité avant de se lancer tête baissée
dans ce type de "thérapie". D'où la nécessité de savoir vers quoi et
vers qui on se tourne – au même titre qu'on ne se livre pas sans conscience au
premier individu se proclamant psychologue (il existe environ 350
techniques psychothérapeutiques répertoriées) ou médecin.
Important également d'être au clair avec ses
propres attentes : gérer son stress (comme on dit), acquérir un plus grand
confort existentiel ou s'embarquer dans une quête de type humaniste,
philosophique, voire dans une sâdhana (démarche spirituelle) n'est pas la même
chose. Les frontières ont de plus en plus tendance à s'estomper et, de même que
le yoga se confond avec une gymnastique douce, la méditation fait actuellement
partie des multiples produits anesthésiants vendus sur l'internet. Il n'est pas
certain que cette profusion de gadgets à visée lénifiante, permette aux humains
d'aller vers plus de conscience. Considérer la méditation (quelle que soit sa
forme) comme un sédatif, c'est fuir l'expérience indispensable de la rugosité,
de la violence souvent, d'une réalité qu'on ne peut esquiver sous peine de
vivre à moitié ou "à côté". En effet, regrettable ou non, aucun
progrès intérieur (en particulier spirituel) n'est possible dans l'évitement
des états de souffrance que la vie impose. Faire de son bien-être une priorité
à tout prix, reviendrait à parcourir à l'envers le cycle naturel de l'Évolution
et se précipiter vers un stade végétatif indigne de notre condition humaine.
Or, au vu des incitations actuelles qui envahissent la sphère spiritualomachinchose,
on peut se demander quel niveau de conscience caractérisera les individus qui s'inscriront
dans cette quête effrénée du confort mental. On rencontre de plus en plus
sur la toile mais aussi dans les séminaires, les stages, les rayons des
librairies, ces consommateurs de produits occultes, sorte de chiens truffiers à
la recherche du champignon magique, du mudra, du mantra ou autre recette prodigieuse
qui les rendra "heureux"... Dans Le Meilleur des Mondes, son
roman visionnaire écrit en 1932, Aldous Huxley, n'a pas pensé à ces dupes plus
ou moins consentantes mais elles auraient sans conteste une place de choix dans
son système dictatorial parfait où les esclaves décérébrés aiment par-dessus
tout leur état de servitude.
Gérard
Duc
[1] Sa Sainteté le Dalaï
Lama “Tout l'univers dans un atome”,
chapitre : “Vers une science de la conscience” Pocket, fév. 2009)
[2] Né en 1956, thèse
de doctorat en 1980,
mémoire de psychiatrie en 1982.
Exerce à l’hôpital Sainte-Anne à
Paris,
au sein du service hospitalo-universitaire de santé mentale et de
thérapeutique. Spécialisé dans la prise en charge des troubles anxieux
et dépressifs,
et tout particulièrement dans le domaine de la prévention des
rechutes. L’un des chefs de file des thérapies
comportementales et cognitives en France,
et l’un des premiers à introduire l’usage de la méditation
en psychothérapie
(tiré de Wikipédia)
Chargé d’enseignement à l’université Paris X, il est l’auteur de nombreux livres de psychologie à
destination du grand public. Très médiatisé (radios, TV)
[3] … et non au "souffle".
Le "souffle" (pneuma, spiritus, ruach…) n'est pas réductible à la
"respiration".
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