Sûrya Upanishad
Upanishad du Soleil
Le dévot indien "prolonge et répète le sacrifice initial, celui qui dans la
cosmologie védique correspond à l'acte même de la création du monde... La
société n'est donc pas seconde par rapport à la nature : l'une et l'autre ont
même origine et se constituent simultanément ; ce qui les précède et les
détermine l'une et l'autre, c'est le rite" (Malamoud C., 1985, "À l'articulation de la nature et de
l'artifice : le rite", in Le genre humain, n° 12, pp. 240-241)
Les Upanishad
Le terme d'Upanishad
signifie : "enseignement donné dans
l'intimité" ou "enseignement
qui détruit l'ignorance" (Swâmi Nityabodânanda). Dans tous les cas il
s'agit de textes transmis au disciple par le Maître, le Guru, comme se transmet une réalité ultime qui met en situation
d'éveil. Cela va donc au-delà d'un "cours", d'un enseignement de type
purement intellectuel, mais n'empêche en rien d'en faire une lecture raisonnée
et attentive. Elles offrent en effet de quoi réfléchir et de quoi comprendre
mieux la civilisation indienne et ses conceptions métaphysiques Les auteurs des
Upanishad sont restés dans l'ombre : la réalité de leur enseignement n'en
brille que davantage.
Les Upanishad se
rattachent à la Shruti (=
"révélation", textes d'origine divine transmis à des êtres
privilégiés), comme les Veda, les Brâhmana et les Âranyaka. Elles constituent l'épilogue, la dernière partie du Veda dont elles mettent en lumière les aspects essentiels. Elles en sont en
quelque sorte le couronnement. On en compte plus de 200 (certains auteurs
disent : plus de 400) dont une vingtaine dites "majeures" : Chandogya, Brihâdaranyaka, Mundaka,
Mandukya, Kena, Katha, Isha, Taittiriya pour les plus connues.
Elles ont été
composées avant notre ère (les premières datations les situaient aux environs
de 600 avant J.C. Actuellement on les repousse aux environs de 1200 voire1500
avant J.C.) Ce qui est certain c'est qu'elles ont été écrites à des époques
très différentes.
La Sûrya
Upanishad
Celle que nous
nous proposons d'aborder n'est pas datée et appartient au groupe des Upanishad
dites "mineures". Elle exalte les vertus de Sûrya, le dieu soleil qui n'est ni plus ni moins un des visages
perceptibles du divin absolu inconnaissable, sans forme et sans attribut, le Brahman[1] qui,
avec l'Âtman[2],
constitue le centre irradiant des
Upanishad[3].
C'est un rite qui
est exposé dans cette Upanishad et qui, par sa répétition, vise pour le dévot à
"réaliser les quatre buts de
l’incarnation humaine." [4]
Ces quatre étapes plus ou moins chronologiques de la vie humaine d'un dévot
sont les suivantes :
"- dharma : devoir, droiture, vertu et religion, se
résumant en la voie qui sera propice à l’évolution spirituelle maximale dans
cette incarnation ;
- artha :
l’acquisition de biens matériels ;
- kâma : les
plaisirs des sens ;
- moksha : la
libération, ce dernier but étant considéré comme le plus noble, mais impliquant
l’accomplissement préalable de dharma."
Celui qui
atteindrait le but ultime, moksha, la
libération, serait sans nul doute, un être spirituellement avancé et familier
de Sûrya.
La nature de Sûrya
Elle n'est pas
précisée dans cette Upanishad. Le soleil est ailleurs présenté comme fils d'Aditi ou de Dyaus ou bien il apparaît comme fils ou mari de l'aube, Ushas.
Il est aussi connu
sous les noms de Aditrya, Vivasvan, et,
plus couramment, Savitri et Savitar.
Savitri est
le Verbe Divin, la fille du Soleil, la déesse de la suprême Vérité qui descend
et naît pour sauver
Il est nommé Savitr (= Savitar) avant son lever, mais Sūrya
entre l'aube et le crépuscule. Il est célébré dans le Rigveda où il est l'un des Adityas
c'est-à-dire un des enfants de la déesse Aditi. Il a quatre
épouses : la connaissance, la souveraineté, la lumière et l'ombre.
Il est père de Manu, premier homme, de Yama (dieu de la mort) et de Yamî qui, à sa fin, deviendra un des
trois fleuves les plus sacrés de l'Inde : la Yamunâ. C'est près de Puri,
à Konarak qu'on trouve le temple le
plus connu qui lui est consacré.
Est présente dans l'Upanishad
la description des caractéristiques physiques de ce dieu qui, "lança
en mouvement la roue du Temps"
: debout sur son char, dans le lotus rouge, il a quatre bras et tient deux lotus.
Ce qu'on
sait par d'autres textes ou représentations c'est que chaque jour il traverse
le ciel sur son char tiré par sept chevaux[5] ou un seul à sept têtes.
On le trouve parfois avec, dans ses quatre mains[6] : un chakra[7], un lotus[8], une conque[9], la quatrième main faisant
un geste de protection. Le conducteur du char, fouet en main, est Aruna (= Arun), dieu de l'aurore
Ses pouvoirs
Quant à ses
pouvoirs, ils sont immensément étendus. Cela se comprend puisque, comme
créateur, comme agent de manifestation donc, il prend le nom de Savitar et s'assimile ainsi au Brahman, le Soi universel.
Il est
partout à la fois, "face à nous, et simultanément derrière nous,
comme au-dessus de nos têtes et bien en-dessous de nos pieds."
Son pouvoir
extériorisé, est directement perceptible par les hommes. Il apparaît d'abord
par son mouvement dans le ciel, son aptitude à "dessécher, à brûler" et par la création des éléments naturels
et de toutes les créatures peuplant l'univers. C'est grâce à sa lumière et à sa
chaleur que peuvent croître les moissons. Il n'est guère surprenant que, pour
les agriculteurs, il soit considéré comme un des plus grands dieux.
Il est aussi à l'origine de ce qui constitue la psyché humaine : "Antahkarana ,
l’organe interne, doué de sens et de conscience, qui constitue l’ego individuel
et possède quatre fonctions différentes, répondant chacune à un des termes
suivants : buddhi, l’intellect ; ahamkara, l’ego ; manas, le
mental instinctif, qui sont la triple expression de chitta, la conscience. Il
est quintuple quand on lui adjoint chaitanya, la conscience supérieure."
L'Upanishad
ne manque pas de préciser qu'il est aussi le prâna et les cinq souffles vitaux, les cinq jnanendriyas (organes sensoriels) : ouïe, toucher, vue, goût
et odorat, et les cinq karmendriyas
(organes d’action) : organes de la parole, de génération, d’excrétion, de
préhension et de locomotion.
S'il est tout ce qui constitue la création incarnée, il
est aussi, sur un autre plan, les dieux
: Parjanya, le dieu des pluies
(ce qui surprendrait un météorologue), Rudra,
Vishnu, Vayu (le vent), Bhumi (la
terre) et aussi les dieux de l’eau, du feu, de l’espace, des points cardinaux… Il
en va de même pour la syllabe Om, ô
combien sacrée : Surya est Om.
Ne sont pas
oubliés les textes poétiques et sacrés des Védas
dont la source est évidemment divine et procède de Sûrya qu'on appelle aussi l'œil du monde, le victorieux, le
purificateur, le témoin des actes, etc.
Les bienfaits dispensés par le rite
Que pourra
acquérir celui qui saura comment mettre en pratique l'Upanishad, en récitera
correctement le texte, pratiquera correctement le rite d'adoration ? Il sera
libéré des maladies graves (comme la lèpre) et connaîtra la prospérité
(richesse, cheptel abondant) et l'immortalité. Tout cela à condition de ne pas
consommer de la nourriture impure, de ne pas avoir de relations sexuelles
impures, de ne pas entretenir de conversations impures – ce qui lui sera rendu
possible s'il récite l'Upanishad à midi et aux deux crépuscules, face tournée
vers l'astre.
En octobre et novembre, dans plusieurs états indiens, a
lieu sur quatre journées la
Chhat
Puja particulièrement
attendue par les dévots hindous qui rendent hommage à Sūrya et lui
adressent des offrandes sur les bords de rivières sacrées, de lac ou de la mer,
dont les rives de la mer d’Oman à Bombay.
Sûrya – soleil : métaphysique et physique
Quand on considère les chiffres en lien avec le
soleil, né il
y a 4,6 milliards d'années, centre de notre galaxie et de ses deux cents
milliards d'étoiles, un vertige nous saisit.
Sa masse est 330 000 fois celle de la
Terre, ce qui le situe dans la catégorie des étoiles légères
et lui dessine un futur bien tracé puisque, dans environ 5 milliards
d'années, après consommation de son hydrogène central, il
se dilatera et se transformera en naine blanche d'une densité de une
tonne par centimètre cube !
Notre système solaire est situé
à 26 000 années-lumière du centre de notre galaxie qui tourne
sur elle-même à la vitesse de 900 000 km/h, tandis que la Terre
tourne autour du Soleil à 108 000 km/h.
Ces quelques chiffres sont éloquents : le rôle majeur
que possède le soleil chanté dans l'Upanishad sur un plan spirituel, trouve son
équivalent scientifique en ce qu'il crée en nous un sentiment d'émerveillement
teinté d'effroi. Nous nous sentons peu de chose, aussi bien face à Sûrya
que face au soleil. Ce vertige est affaire de grandeur. Métaphysique ou
physique, la disproportion est la même : d'un côté le divin et nous ; de
l'autre le cosmos et nous. Dans les deux cas la rencontre du beaucoup avec le
peu, du tout avec le presque rien. Avec, pour point de jonction cet
extraordinaire cadeau : la Conscience qui est sans doute le dénominateur commun
entre l'homme et le cosmos et dont il n'est pas du tout certain que ce soit le
second qui englobe et ait engendré le premier, mais l'inverse…
Un autre
point, présent dans l'Upanishad et confirmé par la science, est le lien vital
unissant le soleil et la terre avec ses différents règnes, en particulier
végétal et animal.
L'Upanishad ne s'égare pas lorsqu'elle
évoque son rôle créateur – même s'il n'est pas en soi l'origine absolue de
toute création. Quelques rappels s'imposent.
Faut-il le rappeler, la vie telle
qu'elle est sur terre n'existerait pas
sans lui. Apparue il y a plus de 3
milliards d'années, la
photosynthèse a révolutionné la biosphère en
permettant aux plantes, aux algues et à
certaines bactéries de
transformer son énergie en énergie
chimique. Ce processus a fourni à
l’atmosphère terrestre l’oxygène, inexistant à l’origine, et sans lequel l’expansion
de la vie n’aurait pu se
produire.
En-dehors du climat proprement dit,
de nombreux liens nous unissent encore à lui sans que nous en ayons vraiment
conscience. Par exemple, son activité de surface qui obéit à des cycles de onze
ans, est directement observable dans les cernes des arbres qui, on le sait, enregistrent
la concentration de carbone 14 émis dans l'atmosphère.
De même ce sont ses éruptions qui projettent des
particules très énergétiques vers la Terre et créent la lumière et les voiles mouvants
des aurores boréales. Si toutes les actions du soleil sont loin d'être entièrement
élucidées, son impact électrique
et magnétique (cf. les
éruptions) ne fait plus de doute. Chaque seconde, notre corps est traversé par 60 milliards de neutrinos
solaires.
Enfin, quand
l'Upanishad dit que le soleil "…lança en
mouvement la roue du Temps", comment ne pas penser au rôle qu'il joua
dans l'élaboration des calendriers ? Si les
premiers calendriers sumériens et chinois étaient fondés sur le cycle lunaire,
plus facile à observer, les Égyptiens
établirent très tôt un calendrier solaire. D'autres civilisations associèrent les
deux astres dans un calendrier luni-solaire. Et si les musulmans conservent le
calendrier lunaire, notre calendrier occidental actuel, le calendrier grégorien
hérité des Romains, est solaire.
Conclusion
L'arrogance de l'homme moderne dit
"civilisé" fait qu'il n'a plus, comme ses ancêtres, conscience que
c'est la nature qui le relie au grand Tout et ne fait de lui qu'une partie interdépendante
de l'univers. Il s'est coupé de son intimité avec cet univers dont il a fait un
objet – dans le meilleur des cas un objet d'étude, dans le pire un objet
d'exploitation et de ressources financières, un enjeu de consommation et de
puissance géopolitique.
Sans parler de la destruction
inconsidérée de l'environnement naturel, l'homme a mis fin à l'harmonie qui
donnait du sens à sa présence sur la terre et dans le cosmos.
Nous pouvons sourire devant le
contenu d'une telle Upanishad, devant l'apparente naïveté de son contenu, ce
dernier semblant échapper au plus élémentaire bon sens. Ce serait agir à partir
des conditionnements qui font de nous l'homme "civilisé" que nous
évoquions à l'instant. Le désir de tirer profit de tout, donc de tout posséder,
de tout contrôler (y compris l'espace sidéral), de tout gérer, paraît
"naturel" et fait oublier et mépriser les liens souvent intimes que
nous partagions avec le monde vivant, minéral, végétal ou animal… Sans parler
même de sacré, l'émerveillement, le respect qui nous habitaient face aux
prodiges de la vie non humaine nous ont bien souvent désertés.
N'est-il pas regrettable qu'il nous
faille produire un effort quasi impossible pour changer notre regard ? Pour
redonner à notre perception cette acuité supérieure qui n'est plus capable que
de s'arrêter à la surface d'une réalité vidée de tout sens et se bornant aux
seules apparences extérieures et exploitables ?
Que de tels textes existent encore
est heureux : leur poésie renferme la mémoire de ce que nous avons été, il y a
longtemps. Mais le progrès est passé par là, il est maintenant trop tard pour
revenir à une forme de pensée plus juste, plus "sauvage". Néanmoins,
il est possible de changer notre perception de la réalité, ce que,
paradoxalement, commence à faire la physique la plus en pointe dont les
découvertes rejoignent des conceptions de la nature terrestre et du cosmos que les
physiciens mainstream ignorent encore
ou feignent d'ignorer pour cause de subventions allouées à la seule science
officielle.
La voie que certains autres chercheurs
en physique et en neurosciences, encore minoritaires ou marginaux, continuent à
tracer n'est que le début d'une révolution qui, cela paraît dorénavant certain,
nous mènera vers une conception restaurée de la nature et des rapports unissant l'homme et le macrocosme.
Certains d'entre eux sont à la veille de découvertes, en particulier sur la
nature de la Conscience, qui éteindront le sourire condescendant que posent les
rationalistes purs et durs sur la vision de plus en plus métaphysique vers
laquelle s'orientent les scientifiques éclairés. Ces découvertes, nées de la
physique quantique, changeront notre perception matérialiste de l'univers, de
la place de l'humain dans cet univers. Nous ferons alors une lecture nouvelle et
plus juste des textes anciens, aussi déconcertants qu'ils puissent encore
actuellement paraître.
Gérard
Duc
[1] Réalité ultime, absolue,
inqualifiable, la "Conscience qui se connaît en tout ce qui existe, l'existence supracosmique qui sous-tend le cosmos"
(Jean Herbert et Jean Varenne, Vocabulaire de l'hindouisme, Dervy, 1985,
p. 36.)
[2] Nom donné au Brahman dans un
être vivant incarné. Sa nature est donc identique à celle du Brahman. On peut
le traduire par le Soi, l'âme, le Souffle divin, Cela, etc.
[3] De ce point de vue et dans ce
contexte, la Salutation au Soleil, en yoga, n'est pas qu'un simple échauffement
!
[4] Sans autre précision la source
des citations provient de la traduction et
des explications de M. Buttex, d’après la version anglaise du Dr. A. G.
Krishna Warrier et publiée par The Theosophical Publishing House, Madras, Les
108 Upanishad.
[5] Les sept jours de la semaine.
[6] Peut-être les quatre saisons.
[7] Un chakra est une roue. En particulier roue de la loi
de la vie (dharma) et symbolique du mouvement infini de l'espace-temps.
[8] Symbole de pureté et de beauté, d'une existence s'épanouissant
glorieusement.
[9] Symbolise la création née du son primordial om (= aum).
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