Rencontre sur le Mékong

mercredi 27 février 2013

YOGA ET SEXE - Interactions



Passer sous silence l'influence que le sexe exerce dans la pratique intensive du yoga est une aberration

Le sexe est le moteur du monde. Facteur d'équilibre ou de déséquilibre, aide ou obstacle, tout dépend du rôle qu'on lui fait jouer.




Le rôle de la vie sexuelle varie suivant le contexte dans lequel est placé l'individu. Si bien qu'en parler sans tenir compte dudit contexte conduit à des généralités dont l'intérêt, pour réel qu'il soit, n'aurait que peu de rapport avec notre blog. C'est pourquoi nous limiterons nos considérations au domaine du yoga. La sexualité y joue un rôle extrêmement important, même s'il est assez rare que cet aspect soit abordé. Pourtant, faire comme si la pratique du yoga pouvait exister en-dehors de cette réalité essentielle est une réelle aberration.

Nous avons choisi de délimiter le champ de nos réflexions en reprenant le cadre intéressant pour lequel Dennis Boyes optait dans son ouvrage Le yoga le couple et la société (Dervy-Livres, 1988). Il distinguait trois situations évolutives :

le don-juanisme,
le couple,
la solitude

Ces trois situations peuvent être chronologiques :
la jeunesse expérimente son pouvoir de séduction,
la maturité aboutit souvent à une vie en couple
et la vieillesse implique plus ou moins la solitude.

Vues dans cette succession, ces trois états ne sont pas sans rapport avec les quatre âshrama (stades de la vie) hindouistes (voir article de ce blog traitant ce sujet). Mais ils peuvent aussi ne pas s'inscrire dans une telle continuité : la vie de couple n'est pas inévitable et il existe des vieillards continuant à fonctionner comme des Don Juan. De même, surtout dans le domaine du yoga vécu comme quête spirituelle, la "solitude" peut intervenir bien avant l'âge de la "retraite". Dans tous les cas, les trois états en question "correspondent à des degrés d'éclaircissement et de liquidation des problèmes psychologiques" (Dennis Boyes). Ces problèmes sont en étroite liaison avec la sexualité.

L'ordre d'apparition de ces trois états ne change rien à leur implication sur le plan sexuel, sachant que le plus crucial, celui qui concerne le yogi le plus avancé comme le chercheur à mi-temps, est celui de la solitude. En effet celle-ci s'impose vite à qui se livre à un travail sur soi, comme on dit, y compris dans le cadre d'un couple… Et, comme nous le verrons, ce n'est pas sans poser des problèmes certes surmontables mais souvent délicats…

Le don-juanisme

Le donjuanisme révèle une incapacité : passer du stade esthétique au stade éthique de la relation ; il témoigne aussi de la peur de s'engager, d'aller au-delà d'un certain niveau de communication avec le (ou la) partenaire. Nous n'irons guère plus avant dans l'analyse de cet état, sachant que ses caractéristiques ne présentent pas un contexte favorable au pratiquant de yoga, sauf si celui-ci est suffisamment vigilant, conscient, pour laisser le "Témoin" de Patanjali, ( = Conscience supérieure, non affectée par les vicissitudes affectives, et qui observe de façon neutre, juste et impitoyable) s'exprimer en lui et mettre un terme aux conquêtes incessantes de nature névrotique. Il y a en effet un moyen-terme entre la démarche du jeune-homme qui a besoin d'expérimenter, d'apprendre et ce celui qui, en proie à une forme d'addiction, bascule dans la réitération incessante de conquêtes éphémères.
Notons au passage que certains professeurs de yoga – ce qui est pour le moins inadéquat avec ce choix de vie – tirent parti de l'éventuel prestige qu'ils exercent sur leurs élèves pour les séduire sexuellement. Autant dire qu'ils sont en pleine déviance et que leur démarche est devenue pour eux non pas un chemin d'éveil mais le moyen de compenser les peurs qu'ils nourrissent (nous y reviendrons). Sans compter que le don-juanisme, excluant toute recherche de communion (voire de communication) avec l'autre alors réifié, on ne voit guère comment cette attitude pourrait être compatible avec le yoga, dont l'étymologie du mot et le sens qu'il recouvre supposent une mise en relation étroite et profonde avec autrui.

La vie de couple

La vie à deux exige une plus grande maturité. Elle peut révéler des problèmes passés inaperçus dans le don-juanisme mais protège contre ceux, liés au besoin affectif, à la sexualité, qui apparaîtraient si l'individu vivait seul.

Deux cas de figure fréquents (le second surtout) se présentent alors.

Soit la recherche de communication va l'emporter, la découverte des identités de chacun, la quête d'une relation évolutive, la compréhension mutuelle, l'ouverture à l'autre dans le développement de soi.

Soit une divergence apparaît et tout se complique alors. Cette situation fréquente surgit lorsqu'un des deux conjoints n'adhère pas à la démarche yogique de l'autre, et parfois-même s'y oppose, se sentant délaissé, voire abandonné et même trahi… L'un des deux partenaires cherche alors la rupture. Cette rupture n'est pas, loin de là, le fait de l'"exclu". Elle est souvent provoquée par celle ou celui dont la recherche de nature spirituelle est devenue une priorité nécessaire à son existence. Sans même qu'il nourrisse de rancœur particulière face à l'incompréhension éventuelle de l'autre, le chercheur ne se sent plus en phase, et l'espace du couple ne produit plus l'intimité nécessaire à son existence. La relation se distend, parfois jusqu'à la rupture sexuelle, en tout cas sur le plan de la connivence affective. Frustrations réciproques (de nature différente), insatisfaction croissante, impossibilité d'entrer dans un mode de vie pleinement épanouissant, chacun s'éloigne de plus en plus de son partenaire.

Le chercheur peut même réaliser que l'union initiale avec son conjoint ne tenait pas à une affinité saine mais à des pulsions plus ou moins névrotiques, à des projections de l'ordre du fantasme. Il vit cette découverte comme un réveil brutal – ce qu'il est parfois. Ce réveil, pour douloureux qu'il soit, représente une étape importante sur la voie de l'accomplissement. Un choix s'impose à l'homme ou à la femme concernés : poursuivre tant bien que mal (plutôt mal d'ailleurs) cette vie de couple qui n'est plus une vie de couple, ou assumer la rupture nécessaire à son évolution spirituelle.
L'acceptation mutuelle des opinions de l'autre ne suffit pas à une véritable vie de couple. En effet, respecter, tolérer, n'empêche pas de rester isolé dans son coin sans qu'il y ait communication. Or, dans ce type d'"entente cordiale" les non-dits se multiplient et risquent, à l'occasion de la moindre étincelle, de s'exprimer sous forme d'une explosion funeste.

Il arrive que les partenaires abordent verbalement cette situation et, réussissant à prendre la mesure de leurs exigences individuelles, trouvent le moyen d'enrichir réciproquement leur propre prise de conscience dans l'acceptation des demande de l'autre. Les attentes, les stratégies de défense, les peurs sont dévoilées et la vie commune, dont les données sont redéfinies, devient non seulement possible mais gratifiante. On l'aura compris, cette démarche suppose une écoute intense, une grande ouverture d'esprit et le courage d'affronter névroses, fantasmes, projections de toutes sortes pour accéder à une transparence dans laquelle chacun pourra évoluer comme il l'entend, sans que l'autre représente une entrave.

La vie solitaire

La vie solitaire contraint à affronter seul ses problèmes. Éviter d'en être la victime suppose une compréhension de soi poussée, une découverte des compensations[1]. Sans cette découverte, les difficultés qu'on fuit inconsciemment demeurent invisibles et peuvent se solder par la dépression et diverses névroses – voire pire. Cette destruction des compensations suppose maturité et objectivité. C'est pourquoi thérapeutes et yogi préconisent l'aide d'un psychanalyste ou d'un gourou.

Assurer seul ce cheminement, rendre possible cette éclosion d'un nouvel état est possible. Mais il convient de faire apparaître en soi au premier plan le "Maître intérieur" (le "Témoin" de Patanjali – voir plus haut), guidant le "disciple intérieur" (= ce qui apparaît à la conscience : états physique, affectif, mental).
Si un déblocage, un surgissement affectif apparaissent et que le Maître intérieur n'a pas la lucidité requise, le chercheur, (n'étant plus à l'abri des structures affectives, sociales ou autres), rejetant les compensations sécurisantes ce qui, en soit est une démarche positive, se trouve en déséquilibre, perd toute sérénité, ne peut plus méditer correctement, éprouve de la peine non seulement à vivre sa quête mais aussi à vivre dans le monde extérieur.

La décompensation (voir la note de bas de page) est une crise salutaire mais présente des risques. Prendre conscience des garde-fous (culturels, mentaux, etc.) mis en place pour ne pas souffrir, pulvériser les protections, contraint à regarder en face le néant de tout ce à quoi on se raccrochait : lecture, art, philosophie, politique, etc. Autant dire que tout ce qui sous-tendait l'existence peut être réduit à rien, ressenti comme un non-sens absolu. Il s'agit alors d'accepter cette évidence sans basculer dans le désespoir. Tuer les compensations en les rendant visibles est donc une mort salutaire mais encore faut-il disposer des ressources psychiques suffisantes pour la traverser et s'acheminer vers la Libération.

Si les "barrières de sécurité" que sont les compensations ont été effacées, surgissent ensuite d'autres obstacles constitués de peurs et de désirs. L'acquis (éducation, culture…) ayant perdu son ancrage, ce qui constitue notre sous-sol immuable monte alors à la surface : l'éros, la libido qui structure le moi, la sexualité inhérente à toute créature vivante. Le chercheur déjà ébranlé par l'effacement des certitudes d'ordre intellectuel, confère à cette dimension animale de l'humain (ce n'est pas péjoratif) une immuabilité sur laquelle il pense  pouvoir se reposer – alors que cette immuabilité n'est pas immuabilité en soi. C'est le mental qui la juge telle afin de trouver son compte de satisfactions, de plaisir, de sécurité.
Cette croyance a pour risque conjoint la débauche et toutes ses variantes parfois extrêmes (viol, exhibitionnisme et pire). Constatons ce paradoxe : plus le chercheur veut aller vers l'équilibre intérieur et la sagesse, plus il frôle le déséquilibre et la folie[2]. S'en sortira le disciple vigilant, lucide et refusant d'entrer dans ce jeu de conflits pouvant le conduire à la schizophrénie.
Il est fréquent de constater, qu'arrivé à ce moment de sa vie, le solitaire, s'il est fragile, se jugeant dorénavant incapable de séduire, inutile à son entourage, victime de sa déprime, vise une reconnaissance sociale en s'identifiant à un groupe (politique, culturel ou autre) pour se valoriser. Appartiennent à cette catégorie les pseudo-gourous, auto-proclamés "grands maîtres" d'une secte dans laquelle, par le pouvoir exercé sur autrui, leur ego trouve ce qui est nécessaire à sa survie.

Enfin, troisième moment de ce stade, le principe du plaisir (motivation première des compensations), alternant avec la pratique méditative de l'adepte, perd peu à peu de sa consistance. Il ne sécurise plus. L'angoisse croît et l'énergie, non encore suffisamment orientée vers la réalisation du Soi, s'exprime de plus en plus dans l'activité sexuelle quelle qu'en soit la forme – forme d'autant plus déviante que la vie de couple n'existe pas.
La reconnaissance par le disciple de ce processus devrait l'en libérer, à condition que la sexualité perde son pouvoir sécuritaire, ne soit plus un besoin mental incontrôlable dans lequel l'adepte se perd et reste séparé du but visé. Mettre fin à cette situation suppose que le "Témoin" perce à jour ce conflit sans s'y engager lui-même. Si c'est le cas, le conflit s'épuise en même temps que les pulsions, les peurs qui surgissent à chaque crise de "déblaiement".

Notons au passage que le tantrisme intègre des pratiques sexuelles qui peuvent heurter la morale, le but étant de briser les protections de l'ego. Inutile de préciser que la voie est périlleuse et demande beaucoup d'honnêteté et de courage.
Quoi qu'il en soit, si le cheminement se fait (mise à mort des vasana, des samskara, des vritti), le chercheur accède à la perception juste de la réalité. Son regard n'est plus voilé par les vritti – émanations latentes de la conscience. Ses actes ne relèvent plus de l'ego dont il est enfin libéré.

Que penser de tout cela ?

Chacun reste libre de penser de cela ce qu'il veut, évidemment ! Ce qui nous apparaît important est, qu'avant de se lancer dans une sâdhanâ (pratique à laquelle on se consacre intensivement), il convient de bien prendre la mesure des implications diverses et, en particulier celles qui, inévitablement, se manifestent tôt ou tard sur le plan de la vie sexuelle, que cette vie soit solitaire ou en couple. Il ne faut pas sous-estimer cette dimension qui prend de plus en plus d'ampleur chez un adepte à mesure que sa pratique yogique – si elle est intense – se poursuit.
L'énergie qu'un yoga, même exclusivement physique, développe, s'exprime avant tout dans le champ sexuel. Les pratiquants non-avertis qui s'impliquent corps et âme, risquent de se trouver pris au piège de pulsions dont ils ne savent quoi faire.
Il est déterminant d'orienter cette énergie dans le champ spirituel, sans quoi on aboutit à des déviances ou à des déséquilibres mentaux dont l'adepte mais aussi l'environnement font les frais. Notons toutefois que ce danger ne menace pas les personnes qui pratiquent le yoga de façon annexe, ponctuelle, même plusieurs fois par semaine.

Note complémentaire
En Inde, kâma représente le désir, plus particulièrement le désir et le plaisir amoureux. Dans la mythologie, le dieu Amour, Kâma, est la source de la création. Les Kâmasutra exposent les moyens d'exalter les sens pour un épanouissement de la vie du couple. L'homme et la femme s'unissent et recréent l'unité divine. Le plaisir est dirigé dans le but de la connaissance et ne devient pas une addiction qui conduirait à accomplir des actes immoraux ou adharmiques - contraires au dharma.

                                                                                                                        GD



[1] Compensation psychique : "Mécanisme d'auto-défense normal du Moi qui se traduit par la recherche d'une satisfaction (ou d'une affirmation) dans un domaine où celle-ci est accessible, et uniquement pour contrebalancer une insatisfaction ou un échec réel ou ressenti dans un autre domaine. Les effets de la frustration sont, de ce fait, évités partiellement." (Dictionnaire de psychologie – Dicopsy.com)
"Dans le domaine psychique, la décompensation est une crise qui marque l'effondrement des mécanismes de défense névrotiques habituels d'un sujet confronté à une situation affective nouvelle et insupportable. La déficience psychique originelle du sujet se manifeste alors d'une façon aiguë. La fragilité du moi, les effets des carences affectives et, même, les tendances psychotiques se réactivent.
Sur le plan clinique la décompensation peut prendre le visage d'une phobie, d'un épisode confusionnel, d'une bouffée délirante, ou bien d'une somatisation. Cette symptomatologie est la plupart du temps transitoire. Cependant une décompensation névrotique peut révéler une pathologie sous-jacente plus grave et représenter un mode d'entrée dans la psychose ou toute autre psychopathie chronique. Le rôle de l'entourage et l'importance d'une prise en charge thérapeutique sont primordiaux." (www.relation-aide.com)
[2] Cf. l'image du nénuphar dont l'épanouissement de la fleur exige la boue des racines…

1 commentaire:

  1. Appreciation to my father who shared with me regarding this website, this website is really remarkable.


    My web site ... lasertest

    RépondreSupprimer