Rencontre sur le Mékong

samedi 19 janvier 2013

ÂTMAN - BRAHMAN : quelques éclaircissements

Pour mieux comprendre les Upanishad...



"Âtman" et "brahman"[1], termes omniprésents dans les Upanishad, recouvrent un sens fondamental dont il convient de bien saisir la nature - autant que faire se peut… En effet, ces notions d'ordre métaphysique s'appréhendent sans doute plus par l'intuition que par la raison.

Âtman-brahman
L'un et l'autre sont Sat (= ce qui est), Tat (= Cela), autres dénominations de l'absolu, du "Un-sans-second".
Bien qu'étant identiques dans leur essence, l'âtman et le brahman sont parfois différenciés en ce sens que l'âtman est considéré comme le brahman individuel, le brahman étant l'âtman universel : "Le brahman réside dans le cœur [il porte alors le nom d'Âtman] Les sages qui le contemplent au dedans de leur âme, ces sages-là possèdent, et non d'autres, le repos éternel" (Kâthaka Upanishad, II, V, 12-13).

Atman
Voici quelques caractères propres à l'âtman (si l'on peut dire, puisqu'il est inqualifiable) tels qu'on les trouve dans quelques  Upanishad :
"Tu demandes ce que c'est que le Brahman ? C'est ton propre Âtman qui est intérieur à tout !" (Brihad Âranyaka Upanishad III, 4-5).
"L'Âtman doit être perçu au moyen de l'Âtman même que l'on désire connaître. L'Âtman de celui qui désire connaître l'Âtman trouve sa propre essence" (Mundaka Upanishad, III, 2-3).
"Sa forme n'est pas un objet visible. Nul ne saurait le voir avec l'œil. C'est par le cœur, par la pensée, par l'esprit qu'on le perçoit" (Kâthaka Upanishad, II, VI, 9).
"Cet Âtman ne peut être atteint ni par l'étude, ni par la science" (Kâthaka Upanishad, I, II, 22).
La Brihad Âranyaka Upanishad s'arrête longuement sur la nature de l'âtman :
"L'Âtman […] réside à l'intérieur du cœur, le Purusha qui est lumière. Restant identique, il passe d'un monde à l'autre, semble penser et se mouvoir". Il est "ni ceci ni cela […] insaisissable […] indivisible […] indépendant […] sans liens, il ne souffre pas, il ne périt pas." (III, IX, 26). "L'essence de l'homme [Purusha], l'Âtman intime réside éternellement dans le cœur de tout homme. Patiemment on doit l'extraire de son propre corps, comme la graine de son enveloppe" (VI, 17). "On ne le voit pas et il voit, on ne l'entend pas et il entend, on ne le pense pas et il pense, on ne le connaît pas et il connaît" (III, VII, 31).
"Cet Âtman qui est caché dans tous les êtres ne se manifeste pas. Mais il est perçu par l'intelligence pénétrante de ceux qui perçoivent les choses subtiles" (Kâthaka Upanishad, I, III, 12).


Brahman
Le brahman est très fréquemment évoqué. Ainsi la Svetâsvatara Upanishad décrit longuement "l'Être éternel qui réside en lui-même". N'en citons qu'un court extrait : "Il est cet univers, il est le passé et l'avenir, il est le maître de l'immortalité. Il est l'arbitre de l'univers mobile et immobile… Il est le premier, le grand esprit… Il est le dieu unique qui, pareil à l'araignée, s'enveloppe par son essence, à l'aide des fils du pradhâna [la Nature]. Il est unique, il est libre, il est celui qui multiplie la semence unique des âmes individuelles. Il est l'agent de toutes choses, l'omniscient, la matrice et le moi, l'auteur du temps, le possesseur des qualités, le maître de l'indéveloppé et de l'Âtman individuel, la cause de la transmigration et de la délivrance" (III, 12 et sq.). On retrouve fréquemment ce même type de longue énumération comme si les auteurs voulaient donner l'équivalent stylistique de la profusion métaphysique : le brahman est tout et son contraire ! Ainsi la Mândûkya Upanishad (6, 7) après nous l'avoir présenté ("Il est le Seigneur de toute chose, il est omniscient, il est le régisseur interne, il est la matrice de l'univers, il est le commencement et la fin des êtres. C'est l'Âtman, c'est celui qu'il faut connaître"), nous laisse face à des qualificatifs que notre raison ne peut concilier. C'est bien là le but de l'auteur, brahman-âtman échappant par essence à toute conceptualisation : "Sans intelligence interne, sans intelligence externe, n'étant pas non plus un faisceau d'intelligence, n'étant ni intelligent ni inintelligent, invisible, échappant à toute relation, imperceptible, sans signe distinctif, ne tombant pas dans la pensée, ne pouvant être décrit, ayant pour essence l'idée d'homogénéité… tel est l'état suprême du Brahman".
Pourtant certains textes n'hésitent pas à le personnifier : "Lui seul reste éveillé dans la destruction de l'univers […] C'est par lui que cet univers est médité, c'est en lui qu'il revient se dissoudre." (Maitri Upanishad, VI, 17). Cela peut aller jusqu'à une forme de dualisme (les Upanishad restant cependant de nature moniste). "Cet être éternel qui réside en lui-même, supérieur à tout ce qui peut être connu […] hommage à ce dieu qui est dans le feu, qui est dans l'eau, qui pénètre dans le monde entier, qui est dans les plantes, qui est dans les arbres […] Il est le premier-né, il est dans la matrice…" (Kâthaka Upanishad, II, V, 9). Même regard, encore plus appuyé, dans la Svetâsvatara Upanishad : "L'Âtman individuel est enchaîné par suite de sa nature de jouissant ; quand il connaît le Divin il est délivré de toutes ses chaînes" (I, 10). Ce dualisme annonce le Sâmkhya - alors que le monisme est caractéristique du futur Vedanta.

Le dénominateur commun
Presque toutes les Upanishad n'ont d'autre but que d'enseigner aux adeptes à s'identifier avec l'"âme" universelle, à devenir cette "âme". De cette fusion jaillit la délivrance (moksha), le salut.
La plupart des Upanishad se terminent par un hymne sur la félicité (ânanda) de l'absorption mystique : "Celui qui connaît Brahman, l'être suprême, devient Brahman lui-même, il traverse le chagrin, il traverse le péché, délivré de ses liens, il devient immortel" (Mundaka Upanishad, III, II, 8). De même la Maitri Upanishad s'achève sur l'extase qui résulte de cette union avec le Tout, union de l'ascète "dont les sens sont absorbés comme dans le sommeil…"
La conception du salut ainsi développée dans les Upanishad aboutit à la discipline du yoga.


                                                                                           GD



[1] A ne pas confondre avec Brahmâ (écrit plus rarement Brâhman) un des trois dieux majeurs, ni avec brâhman désignant aussi le nom du prêtre chargé des sacrifices dans les cultes védiques. L'absence de majuscule concernant les deux réalités étudiées dans cet article vient du fait qu'il ne s'agit pas de noms propres (encore moins de personnes) mais de notions métaphysiques – comme on écrirait l'"âme", sachant que ce point de vue n'est pas partagé par tous les auteurs (la majuscule peut pointer le caractère absolu d'une notion) ; d'où l'écriture (Âtman, Brahman) que vous rencontrerez ici ou là - dans certaines citations par exemple.

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