Rencontre sur le Mékong

jeudi 24 janvier 2013

BILLETS DOUX / DURS (3) - Qu'elle (il) est moche !

Si Yseut avait été borgne...


Si Yseut avait été borgne, Tristan l'aurait-il aimée ?




Une plage. Autour de vous, de beaux corps, plus ou moins dénudés. De moins beaux également. Lesquels regardez-vous le plus ? 

Ce regard sur les apparences, ah ! comme il juge ! Comme il mesure, comme il vibre facilement, un sismographe ! La blonde, là-bas, force 7 sur mon échelle de Richter. La rouquine ? bôf, pas une seule secousse...

La beauté d'un être, c'est quoi ? Vous tenez à une réponse ? La voici : la beauté d'un être c'est "... une certaine longueur de viande, un certain poids de viande, et des osselets de bouche au complet, tente-deux... Cette longueur, ce poids et ces osselets, si je les ai, elle sera un ange, une moniale d'amour, une sainte. Mais si je ne les ai pas, malheur à moi ! Serais-je un génie de bonté et d'intelligence et l'adorerais-je, si je ne peux lui offrir que cent conquante centimètres de viande, son âme immortelle ne marchera pas, et jamais elle ne m'aimera de toute son âme immortelle... il nous faut cent soixante-dix centimètres de viande au moins et qu'elle soit bronzée !"

Chacun se souvient de ce passage de Belle du Seigneur, d'Albert Cohen. On lui reprochera d'accuser ici le regard des femmes. Il va de soi que c'est aussi celui des hommes - et certainement davantage celui des hommes...

Cet extrait, malgré sa crudité, est atterrant de vérité. La vérité est ainsi, même si nous l'adoucissons en la  modulant. A moins d'être hypocrites, reconnaissons à quel point nous sommes sensibles à l'enveloppe. Nous ne cessons de parler de la beauté de l'âme mais nous louchons sur une belle paire de fesses.  

Exagération ? Alors faisons un test :
Vous êtes sur la plage dont nous parlions au début. Vous êtes catholique ou autre, prof de yoga pourquoi pas, en tout cas vous accordez beaucoup d'importance à l'esprit, à votre vie intérieure, à la spiritualité, au divin, etc. Sous le sable de cette plage, vous apercevez un objet. Vous vous en saisissez : c'est une lampe, youpi, c'est la lampe qu'Aladin, en goguette, a perdue l'autre soir. Vous la frottez, le génie en sort, vous propose de choisir entre deux propositions celle qui sera exaucée - une seule, attention :
- passer la journée et la nuit avec la brune au corps de rêve et au visage d'ange que vous ne pouvez quitter des yeux depuis son arrivée, mais qui n'éprouve pas d'intérêts autres que mondains ;
- passer la journée (et, si vous le souhaitez, la nuit) avec cette femme obèse, qui louche, mais dont la réalisation personnelle vous apportera énormément sur le plan spirituel.

Alors ?

Nous sommes intoxiqués, essentiellement par les images que véhiculent les médias. Pas facile de s'inventer une autre manière de regarder les femmes (ou les hommes), que celle qui nous est présentée, de nous faire un oeil assez perçant pour qu'il franchisse la surface du paraître, la peau des choses et des êtres.

L'essentiel est invisible au regard... Je le sais, petit renard ! Pourtant, ce regard, quelle dictature il  établit sur mon esprit... Comme il sert mon ignorance !

Que faire ? D'abord reconnaître cette triste évidence : je suis souvent à la merci des apparences. 
Ensuite,  créer lune situation permettant de dépasser ces apparences. Faire connaissance avec cette femme ou cet homme pas beaux du tout... Ecouter, parler...

J'ai eu la chance de rencontrer Mère Teresa, à Calcutta. Elle n'était pas canon. J'en suis pourtant tombé amoureux immédiatement. La jolie brunette de la plage n'offrait plus d'intérêt... Juré ! Facile, me dira-t-on, Mère Teresa rayonnait ! C'est vrai... 
Alors que cette grosse dame, là-bas, en train de tirer sur sa clope, elle ne rayonne pas vraiment... 
Là est l'erreur, quelque chose rayonne en elle, forcément. C'est cela que, suivant les hasards des rencontres, je peux au moins essayer de rendre visible et d'aimer. Si je me prétends tel que je voudrais être, en tout cas...

                                                                                              GD                                                                                                                                                  

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