Rencontre sur le Mékong

mercredi 23 janvier 2013

BILLETS DOUX / DURS (1) Souffrir : une chance...


La souffrance est notre chance…


La souffrance est sans doute la plus vieille compagne de l’homme depuis qu’il est sur cette terre. Compagne imposée, subie, détestée... Et si nous la regardions autrement ? Elle est peut-être une chance qui nous est proposée d'accéder à la vraie liberté...




"Tout est douleur" – sarvam dukham – constatait Bouddha. "Tout est souffrance pour le sage", constatait Patanjali (Yoga-Sutra, II, 15).

La tradition judéo-chrétienne en fait parfois le prix à payer par quoi l'homme peut racheter la faute originelle[1], cependant à aucun moment il n'apparaît dans la Bible que la souffrance serait le châtiment d'un péché. Jésus dénonce implicitement cette tendance qu'avaient déjà les hommes d'associer la souffrance à une faute[2]Il n'en reste pas moins que, saints mis à part, nous la considérons comme haïssable : "Pour nous la souffrance n'est que laide ; elle est la puanteur, la foule grouillante, la douleur physique." (G. Greene)

Nous savons que dans la tradition indienne la souffrance n'est pas le moyen d'expier une quelconque faute originelle : l'ignorance[3], qui est à la source de cette souffrance, est une nécessité cosmique à laquelle toute créature s'inscrivant dans l'espace-temps est vouée. Elle devient alors l'occasion offerte de gagner la Libération. La chance, en quelque sorte, d'atteindre au Bonheur suprême. En effet, si l'homme ne souffrait pas, il se complairait dans une existence, heureuse peut-être, mais médiocrement heureuse. Il serait voué à ne jamais accéder au vrai Bonheur, Ananda, la Félicité. Il serait un peu comme les dieux du panthéon hindou, qui, surprenamment, n'y peuvent prétendre.

Paradoxalement, c'est donc grâce à cette ignorance (avidya), source de douleur et du karma, que peut être conquis l'ultime affranchissement et, partant, l'annulation des forces karmiques qui nous contraignent à revenir dans ce monde de malheurs.
En d'autres termes, plus nous souffrons, plus le désir de nous "libérer" s'accroît.
Insistons sur la nature de cette "ignorance" : c'est l'illusion fondamentale et aliénante dans laquelle nous vivons et par laquelle  nous confondons ce que nous appelons le "réel" (qui inclut notre propre mental : pensées, sensations, sentiments) avec la vraie Réalité (souvent nommée : le Soi, comprendre : l'Absolu, le Divin, la Transcendance, etc.) Nous identifiant à ce qui n'est pas "réel", prenant des vessies pour des lanternes en quelque sorte ; inévitablement, nous sommes sans cesse victimes de douloureuses désillusions.

Adhérer à cette conception ne peut qu'inciter à considérer comme "utile" le fait de souffrir : sans la souffrance, nous n'aurions aucun désir d'échapper au tragique de notre condition d'êtres incarnés.

Cette manière d'envisager notre destinée ne peut être, comme on l'entend si souvent, considérée comme pessimiste puisque le "salut" est à portée de qui veut cesser de souffrir, à qui veut ne plus revenir sur cette terre, se réincarner.

L'illusion dans laquelle nous sommes plongés (avidya) étant d'ordre métaphysique, c'est par une démarche d'ordre métaphysique que celle-ci sera annulée. Que ce soit par la Connaissance (comme le propose le Sâmkhya) ou par une praxis (yoga).

Plutôt que de sombrer dans la déréliction ou de se répandre stérilement en récriminations contre le malheur du monde – et, en particulier, le nôtre ! – les hindouistes ont la possibilité d'agir, d'engager un processus de "guérison", de mettre fin aux illusions qui pourrissent la vie. Cela ne vaut-il pas mieux que les sempiternelles jérémiades qui sont perte de temps, d'énergie et… ne font rien avancer ?

                                                                                               GD                                                                                                                                 




[1] Cf. Baudelaire :
"Soyez béni mon Dieu, qui donnez la souffrance
Comme un divin remède à nos impuretés"
[2] Lorsqu'il dit à propos de l'aveugle-né: "qui a péché ou qui a fait le mal, lui ou ses parents ? Ni lui ni ses parents" (Evangile selon Jean 9, 2-3), et, de la tour de Siloé : "... et ces dix-huit personnes sur lesquelles est tombée la tour de Siloé et qu'elle a tuées, pensez-vous qu'elles étaient plus coupables que les autres habitants de Jérusalem ?" (Evangile selon Luc 13, 4).
[3] Non pas ignorance intellectuelle mais métaphysique : nous "ignorons" quelle est notre véritable nature…

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