La question est souvent posée de savoir si l'hindouisme est un monothéisme ou un polythéisme. La réponse ne peut être ni oui ni non car la question ne peut se poser ainsi. Chacun sait que les hindouistes adorent une multitude de dieux différents. Mais ces dieux sont les diverses représentations d'un Dieu unique. Or ce dernier, lui, est au-delà de notre capacité de compréhension. Dès lors, aucune représentation ne peut en approcher la réalité, aucun qualificatif ne peut le définir. Brahman (à ne pas confondre avec Brahmâ) est le mot par lequel on le désigne. Ce mot renvoie à une réalité absolue, donc indéfinissable, inconnaissable, ineffable… Tout est Lui et tout est en Lui. On le nomme aussi Tat, Cela, Soi, Un-sans-Second…
L'intelligence d'un être humain, de nature finie,
limitée, éphémère, ne peut appréhender une réalité extrahumaine, infinie,
illimitée et éternelle. C'est pourquoi les hindouistes mettent ce Brahman à portée (relative !) de leur
compréhension et de leur adoration en lui attribuant des caractères qu'ils
peuvent envisager – même s'ils sont encore du domaine de la perfection. Etant
alors dotée du pouvoir d'amour, de puissance, de création, cette émanation, qui
prend le nom d' Ishvara, symbolise en quelque sorte le Divin comme Créateur,
Seigneur des Mondes.
Son pouvoir est illimité. Omnipotent, omniprésent, il
peut se manifester de façon infinie, se donnant à voir en revêtant
d'innombrables apparences. Le panthéon hindou, dit la tradition, compte trois
cent millions de dieux ! Ce nombre est évidemment à prendre comme expression
d'une multitude non comptable renvoyant aux manifestations infinies du Divin,
présent en toute chose.
Ishvara est cependant représenté le plus souvent sous trois
aspects constituant une trinité (Trimûrti,
en sanskrit) : Brahmâ (qui crée), Vishnou (qui perpétue) et Shiva
(qui détruit). Notez que cette triade complémentaire est l'expression de tout
phénomène puisque, dans cette existence, tout ce qui naît ou apparaît est
destiné à durer plus ou moins puis à se défaire, à disparaître. Ces trois
étapes, bien que différentes, ne sont pas séparées en nature : elles sont
interdépendantes et procèdent d'un même phénomène : la vie. Aussi, on comprend
que ces trois dieux (= deva) ne peuvent exister que l'un par l'autre et que,
tout en étant différents dans leur action, ils sont semblables dans leur nature
même ! Chacun d'eux est doté de toutes les caractéristiques divines, est en
quelque sorte un raccourci de l'Illimité originel. Notons que tous possèdent une
"épouse", une Shakti représentant
son énergie propre. Dans l'ordre : Sarasvatî, Lakshmi, Pârvatî
– chacune de ces déesses (= devî) prenant à son tour plusieurs noms…
Notons que chacun des trois
dieux donne naissance à d'autres ou apparaît sous d'autres noms. Le plus
prolifique, celui qui s'incarne régulièrement quand le monde risque le chaos
est Vishnou. Ses avatars (= incarnations)
les plus connues sont Râma, Krishna et même le Bouddha lui-même
(Siddharta Gautama) – intégré aux dix avatars fondamentaux assez tardivement
(au VIIIè siècle) !
Du Divin émanent également diverses "catégories"
de dieux. Les dieux majeurs comme Agni (volonté flamboyante du Divin),
Surya
(le Divin qui illumine), Vach (le Logos) ; les dieux mineurs
tel Ganesha – le dieu à tête d'éléphant, très populaire
en Inde - (force spirituelle), Skanda (force matérielle), Narada (force d'individuation). Certains dieux possèdent un
karma : Indra (roi des dieux, symbolisant
la force mentale), Vayu (la
force vitale), Vasu (la force matérielle). Passons sur les
très nombreux êtres divins, de nature démoniaque ou angélique qui peuplent cet
univers mythologique à l'infini !
Contrairement à la mythologie grecque, ce monde des dieux ne fonctionne pas par filiation rigoureuse. Tel dieu peut être né de tel autre… ou le contraire ! Un brassage complexe et multiforme, parfois contradictoire, crée des relations imprévisibles. Cela n'est en rien gênant - si ce n'est pour un esprit cartésien. Ce qu'il ne faut pas perdre de vue c'est que cette incohérence n'est qu'apparente car, rappelons-le, chaque dieu, quelle que soit sa forme apparente et ses qualités, est par essence identique aux autres parce qu'émanant du Divin suprême : Ishvara, lui-même issu du Brahman unique. Un texte – Bhagavân – cité par J. Herbert dans son ouvrage Spiritualité hindoue (Albin Michel édit. 1972) – exprime bien cela : tout ce qui existe "émane de Lui, demeure en Lui, se fond en Lui […] Il est à la fois existant, à la fois existant et non existant et en même temps au-delà aussi bien de l'existence que de la non-existence. Tout subsiste en Lui et Il subsiste en tout…"
Cette multiplicité offre une conséquence pratique à
la fois logique et inattendue. Chaque hindouiste peut choisir le dieu (deva) avec lequel il se sent le plus
d'affinités. Certains temples ne comportent aucune statue, chacun étant ainsi
libre d'y adorer son Ishta- devatâ – son
"dieu intime". Si bien qu'un catholique, par exemple, peut aussi
bien y trouver sa place que l'adepte de toute autre religion.
Terminons en mentionnant le OM (= le prânava), vibration cosmique primordiale,
ayant donné naissance à tout ce qui existe. OM (qui peut s'écrire aussi AUM),
est le Brahman réalisé, le Verbe divin rendu audible. De nombreuses Upanishad (Mandukya, Chandogya, Maitri, Katha, etc.) y font référence et
tentent d'en montrer le pouvoir. Ce son est en effet porteur d'une puissance
illimitée, habitant les profondeurs de notre être et manifestant le Divin dont
nous procédons et dont nous conservons – souvent sans le savoir - la présence
en nous.
Pour en revenir à notre question initiale (hindouisme = polythéisme ? monothéisme ?) on
aura saisi, à l'issue de ces quelques considérations extrêmement
simplificatrices, une vérité essentielle à la compréhension de l'hindouisme :
cette religion (ainsi que toutes les autres, d'ailleurs) échappe à ces
catégorisations que la raison occidentale aime imposer à tout domaine du
savoir, dans le but probable de se rassurer (je comprends donc je sais !). A nous d'accepter – si nous le
pouvons – qu'en matière de métaphysique, l'unité et la multiplicité de sont pas
antinomiques. Il en va de même pour toutes les dualités (vrai – faux, bien –
mal…) au nom desquelles se commettent tant de violences. Ce type de certitudes
engendre souvent les intégrismes alors que l'harmonisation des contraires mène
à la tolérance et à l'intelligence juste.
Gérard Duc
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire