Energies vitale et mentale en vue de la Libération
Il faut lire la Hatha-yoga-pradipika sans perdre de vue qu'il s'agit de la transcription écrite d'un enseignement oral. Cet enseignement est attribué à
Goraksanâtha[1]
(un des fondateurs des Nâtha-yogin). Rien n'est développé. Le style est
lapidaire comme celui d'un aide-mémoire. Un certain nombre de pratiques ne sont
vraisemblablement pas indiquées : elles ne peuvent être révélées que par un
maître.
Swami
Brahmânanda (XVIIIe s.), Swami Satyananda (XXe s.) qui ont commenté cet
ouvrage sont de ceux-ci. Ils ont guidé
notre propos.
1/ Situation de la HYP par rapport à
d'autres ouvrages – dont les Yoga-Sutra
- La science du hatha yoga, sous sa forme
systématique, apparaît en Inde dès le
VIe siècle.
- Les Yoga-Sutra : avant J.-C. ou après (autour des IIe, IIIe ou même plus
tard)
- Bouddha : VIe au Ve s. av.
J.-C. Méditation non techniquement "préparée" : surtout conscience de
la respiration. Rôle de la "vigilance" et de l'éthique dans les actes
les plus quotidiens.
- Mahavir, fondateur de la secte Jaïn : contemporain de Bouddha.
- Hinayana : 500 ans après le Bouddha. Système orthodoxe. Puis Mahayana, plus libéral, qui introduit
le tantra et donne naissance au Vajrayana,
intégrant les relations sexuelles (sectes tantriques).
Naissance du tantrisme : IVe s. Apogée : environ VIIIe s.
- Du IV au VIe s., des yogi
(Matsyendranâth, Gorakhnâth), séparent de l'ensemble le hatha yoga et les
pratiques tantriques qu'ils élaguent. La purification du corps (au sens large)
devient alors un préalable essentiel, propre au Hatha yoga. C'est Swâtmârâma
qui compila la HYP
- Le Goraksha-Sataka et le Hatha-yoga
(texte perdu) sont datés approximativement du
Xe s.
- On situe la HYP aux environs du XVe s. Elle se réfère cependant à un
ouvrage disparu datant du XIe s.
- La HYP n'invente rien mais
reprend autrement ce qui était déjà connu depuis très longtemps. Elle est
écrite avant un bon nombre
d'ouvrages dont les deux principaux sont la Gheranda-Samhitâ et la Siva-Samhitâ. Elle élude toute
prescription de type moral (= yama et niyama de Patanjali). Notons que ces prescriptions qui se veulent avant tout
des garde-fous moraux risquent de
conduire à un désordre psychologique : le yogi développant la maîtrise de son
corps et son mental risque de se trouver très vite dans un état de conflit (bien
/ mal) pouvant le conduire à des états schizoïdes. Mieux vaut assainir le
terrain par des purifications du corps et du psychisme. Les shatkarma puis les
âsana, les prânâyâma, permettront l'éveil des chakra et l'Eveil tout court.
2/ Liens
avec le "kundalini-yoga"
Le Hatha-yoga est la méthode qui
mène à ce que le tantrisme visait déjà (voir plus loin) : l'émergence de la
kundalini consistant à transmuter la nature à partir de la matière (le corps)
par l'éveil de l'énergie endormie (Shakti[2] – comme un serpent enroulé
sur lui-même : "kundalini" = "celle qui est lovée") s'élevant
depuis la base jusqu'au sommet de la colonne vertébrale, jusqu'à son époux
(Shiva, la Conscience) pour s'unir avec lui.[3]
Le hatha-yoga est non seulement
l'union du prâna et du mental mais du
prâna, du mental et du Soi.
L'union d'idâ
(force -) avec pingalâ (force +) et sushumna (neutre) se produit dans âjnâ chakra. Quand
cette union a lieu il se produit un éveil instantané dans mûladhârâ chakra, siège de la kundalini shakti. Le
but du hatha-yoga est de faire monter et demeurer la kundalini dans le sahasrâra chakra. La stabilisation de la kundalini à
cet endroit est le yoga. S'est alors
réalisée l'union ultime de Shakti avec Shiva, conscience suprême,
transcendante, dont le siège est dans le sahasrâra. Sushumna
est la voie traversant les chakra jusqu'à âjnâ
où elle s'unit à idâ et pingalâ, après avoir traversé 3 points critiques
(granthi) sis dans mûladhârâ, anâhata, âjnâ chakra.
Dès lors on comprend que ce yoga
vise à transformer le corps grossier en un corps divin incorruptible, en un
"diamant-foudre" (vajra-rûpa), comme dit le bouddhisme tantrique. Ou,
dit autrement, il s'agit de réaliser la Libération dans ce corps même –
considéré comme le temple abritant le divin ( = toutes les énergies de
l'univers).
Avant cela l'éveil des chakra doit d'abord se produire parce qu'ils
sont des points de jonction permettant à l'énergie de passer. On le verra, il
faut aussi avoir purifié les nadis, en particulier sushumna par où doit monter
cette énergie.
L'essentiel : avant la libération, union dans le sahasrâra
de la kundalini shakti avec la shiva shakti, il convient de purifier nâdi et
chakra.
Quelles sont les deux énergies
primordiales ?
Ha = mental, énergie mentale -
soleil / Tha = prâna, force vitale - lune
Hatha yoga = union des forces prânique et mentale provoquant
l'éveil de la conscience supérieure.
Les deux principes créateurs
sont :
Prâna shakti = force vitale ("shakti"
= "énergie") ; vie.
Manas shakti = force mentale ("shakti" = "énergie")
; conscience.
Quand ces deux énergies
interagissent, la création commence à se déployer. Quand elles sont séparées la
création entre en dissolution. La matière est vivante et consciente – ou
potentiellement consciente.
De ce point de vue tout est vivant.
Quand prâna shakti domine manas
shakti – ou l'inverse – des maladies surviennent. Le yoga vise à créer une harmonie entre ces deux grandes forces.
L'esprit n'est pas différent du corps. A un niveau d'existence on
voit l'un, corporel. A un autre niveau on le voit sous une autre forme, en tant
que mental.
La matière peut se transformer en
énergie et vice versa. Le corps peut se transformer en esprit et inversement.
C'est le jeu de maya. Le corps est la
manifestation dense de la subtile shakti, polarisée en prâna shakti et manas
shakti.
Correspondance de ces 2 réalités
dans différents systèmes :
yoga
|
tantra
|
hatha yoga
|
physique
|
taoïsme
|
|
conscience (manas shakti)
|
purusha
|
Shiva
|
pingalâ
+/ Ha
|
énergie
|
yang
|
vie (prâna shakti)
|
prakriti
|
Shakti
|
idâ -
/ Tha
|
matière
|
yin
|
L'essentiel
: l'énergie vitale
(prâna shakti) et l'énergie mentale (manas shakti) sont à l'origine de toute
vie. De leur équilibre dépend le nôtre. Esprit et corps sont deux apparences
d'une même réalité.
3/ Liens
avec le tantrisme
Le tantrisme s'est étendu à l'Inde vers le
IVe siècle. Ce mouvement se réclame de la paternité de Shiva.
Rappel : l'idée de base qui
rattache le tantrisme à d'autres cultes ésotériques (nés du Védisme) de la
vallée du Gange ou de l'Indus est celle de la chute, de la dégradation de
l'énergie dans la matière. En Inde, le
tantrisme, essentiellement d'obédience shivaïte, voue un culte à la Shakti et
vise l'éveil de la Kundalini. Il a donc pour objectif un dépassement de notre
condition par l'union avec l'Energie originelle et prend comme
"carburant" les énergies que notre corps met à disposition.
On a suffisamment d'écrits sur le tantrisme[4]
pour ne pas en reprendre ici les fondamentaux. Il faut cependant noter que
cette voie utilise toutes les énergies, y compris celles des passions et des
désirs. L'obstacle se fait instrument de salut. De plus le monde est
l'expression réelle de la manifestation de Shiva. Mâyâ est la shakti de Shiva –
sa puissance de manifestation. L'illusion est relative non à l'existence de ce
monde, bien réelle, mais à la manière dont nous le percevons. Le monde et tout
ce qu'il contient doivent être considérés comme divins. Mais l'homme perçoit
seulement le jeu de Shakti et sa
véritable nature lui échappe. Le yogi éveillé, unifié au Brahman, "est censé découvrir l'aspect shaktique du
Suprême. L'univers lui apparaît animé, saturé, illuminé par Sat-chit-ânanda. Il
contemple une seule Existence dans toutes les existences, une seule Conscience
dans toutes les consciences, et dicerne la présence de l'infini dans le fini,
de l'éternel dans le temporel, de l'absolu dans le relatif." (HYP, p.
64).
Avant
d'aborder les pratiques tantriques, il convient de pratiquer le Hatha-yoga qui éliminera les impuretés menant à l'échec.
De ce point de vue, et on le voit constamment dans la HYP, le corps n'est pas
une entrave mais l'instrument le plus efficace de la sâdhana. La Réalité ultime
n'est pas un principe abstrait, extérieur : elle réside en lui. Il doit donc la
chercher en lui, c'est celle-là même qui sous-tend tout l'univers. Les
principes qui régissent le corps (plus exactement nos corps[5])
et le cosmos sont les mêmes.
L'essentiel : le
tantrisme fait du corps l'instrument de la libération comme le hatha-yoga qui
en assure le nettoyage préalable nécessaire.
4/ Le but (contenu dans la HYP) est donc
de mener à moksa, la libération : mais comment
?
Le hatha-yoga est à considérer
comme une pratique préparatoire au râja yoga, à la méditation avec le but de
purifier le corps et ce qui s'y rapporte directement. Il s'agit de préparer
l'accès à des états supérieurs de conscience jusqu'à l'ultime état : la libération.
Comment ? En unifiant l'être - souvent fractionné
-, en vivant d'abord au niveau des corps les plus "grossiers" (ce
terme est sans nuance péjorative) puis en créant une harmonie suffisante entre
ces corps et les plus subtils, pour que disparaisse tout conflit. Alors
seulement peuvent être envisagées la maîtrise du mental et les disciplines,
sans craindre la naissance de graves troubles de type schizoïde[6]. La discipline du corps
est moins difficile que celle du comportement et ne risque pas de créer une
lutte contre le mental qui débouche toujours sur la haine de soi-même. De plus,
morale et éthique ne sont pas concernées. Se rattachant plus à la religion qu'à
la spiritualité, yama et niyama (points de départ des systèmes bouddhistes,
jain et du raja yoga de Patanjali) sont éliminés. Le principe antithétique
bien-mal, philosophique ou religieux, n'est d'aucun secours sur le plan
spirituel (point de vue exprimé par Swami Satyananda).
Le processus de libération que propose la
HYP : les shatkarma précèdent
donc les asanas[7]
(chapitre I) et le prânâyâma (chapitre
II). Discipliner le corps c'est aussi intervenir sur les éléments subtils qui
le constituent (tattvas, nadis…) Suit alors la pratique des mudra et des bandhâ (chapitre III) jusqu'à pratyâhâra,
dhâranâ, dhyâna et samâhdi (chapitre
IV).
Reprenons
le processus dans l'ordre :
- D'abord : purifier, nettoyer…
Le hatha yoga est donc
purification orientée vers "l'estomac, les intestins, le système nerveux
et les autres organes". Il existe 6 formes de purification, les shatkarma (= "6 actions") en vue de se
débarrasser de 6 types d'impuretés. Ces 6 kriya
sont : dhauti, basti,
neti, trataka, nauli, kapâlabhati. Cœur,
système nerveux sont concernés par la méditation. Les blocages doivent être
éliminés pour permettre la libre circulation de l'énergie. C'est pourquoi les 6
kriyâ sont nécessaires.
Les shatkarma sont importants
puisqu'ils purifient le corps des 3 formes de déséquilibre dans l'organisme
(mucus, fermentation et acidité). Rappelons que la médecine indienne
ayurvédique dénombre 7 substances organiques (les dhâtu) et 3 humeurs
(tridosha) dans le corps : kapha (mucus – ou
flegme), pitta (bile) et vâta (vents)
Excès de l'une, manque de l'autre provoquent des troubles.
Réduire les amas graisseux, éliminer les mucus encombrants, les gaz de
l'estomac et des intestins sont des préalables – entre autres au prânâyâma.
Les kriyâ permettent une purification qui mène à la
stabilité le prâna et le mental (toujours fluctuants et en mouvement – cf. plus
loin). Ainsi la concentration devient possible. La concentration est difficile
: elle est la conscience ininterrompue d'un seul point, d'une seule pensée.
Elle doit être continue et stable.
Les nadis fonctionnent alors et
les blocages énergétiques sont levés. L'énergie se déplace librement dans tout
le corps – y compris le cerveau. Un équilibre est créé. La force centrale (de
la sushumna nâdi) peut s'éveiller.
L'essentiel : la
HYP préconise d'abord un nettoyage, une purification préliminaires et
nécessaires à tous les autres yoga. Avant la maîtrise du mental ou les
observances de type moral : d'abord les nettoyages physiologiques avec les
kriyâ. C'est la 1ère étape vers la Libération.
"Purifier les nâdi"
est donc une étape primordiale nécessaire. Mais qu'est-ce que cela signifie ?
On l'a vu : Shiva, la pure Conscience qui englobe tout, est inconcevable sans
l'énergie de Shakti, souffle de vie
qui l'anime (cf. dans notre tradition "anima", l'âme). Shakti se manifeste en nous d'abord
comme prâna. Nous en approchons
grossièrement la réalité au travers de la respiration qui conditionne nos états
physiologiques, émotionnels et mentaux. Le yogi peut en percevoir l'état subtil
grâce aux nâdi : ce sont les fines
ondes de prâna qui nous parcourent
comme des fils lumineux, vibrants et chauds. Le linga shârira (corps subtil) est un
véritable réseau tissé de milliers de ces nâdi.
Le hatha-yoga s'intéresse à 14 nâdi
(la tradition en dénombre de 72 000 à 350 000, suivant les textes)
Lorsque le yogi avancé prend
conscience d'idâ et de pingalâ, il constate qu'à certains
endroits les nâdi semblent s'effacer
: l'énergie ne passe pas. Sur le plan grossier ce manque de fluidité est
ressenti sous forme de blocages, de tensions physiques, émotionnelles,
mentales.
Il ne faut pas pour autant
imaginer les nâdi comme des tuyaux
qui s'encrasseraient. L'idée de nettoyage nous impose celle de saleté. Le
domaine du yoga n'est pas celui de la plomberie ! L'impureté dont il est
parfois fait mention n'est pas morale non plus. Il s'agit plutôt de déséquilibres énergétiques (autant au
niveau grossier qu'au niveau subtil) provenant du jeu des dualités : côté
lunaire l'emportant sur le côté solaire; centres du bas l'emportant sur ceux du
haut.[8] Les "impuretés
obstruant les nâdi" ce sont les résidus mentaux, les désirs accumulés.
L'essentiel : purifier
les nâdi revient à mettre fin aux blocages énergétiques sur les plans physique,
émotionnel, mental.
- Après les nettoyages, le prânâyâma. Quel est son rôle dans cette quête de la Libération ?
D'après l'auteur "il est nécessaire d'effectuer ces exercices
préparatoires en premier. Ensuite on peut aller plus loin. Si la préparation
est parfaite, il est nul besoin qu'on vous enseigne la méditation. Un beau
matin, pendant que vous pratiquez le prânâyâma, votre mental sera élevé à une
nouvelle sphère de conscience."
Quand les kriya ont débarrassé le corps de ses impuretés, quand ils ont
permis aux structures énergétiques de s'équilibrer, de se stabiliser, le prânâyâma va lui aussi réaliser un
équilibre mais à un niveau plus subtil : celui du mental. La concentration
deviendra alors possible, puis les stades ultérieurs menant à la méditation.
C'est dire que le prânâyâma va jouer un rôle essentiel dans la sâdhana
puisque c'est par lui (en lien avec les âsana)
que va s'opérer l'éveil des chakra.
Le prâna est la force vitale,
énergie subtile cosmique omniprésente, manifestation tangible du Soi[9] : le prânâyâma est le
processus par lequel est accrue cette énergie en soi au niveau des différents
corps.
La respiration est un moyen
d'absorber du prâna (manger également) ; les techniques respiratoires
permettent de déclencher des vibrations d'énergie qui interviennent sur
l'intégralité de l'être.
Prâna et mental sont
indéfectiblement interdépendants. Calmer l'un c'est calmer l'autre. La
respiration est liée au système nerveux central et avec l'hypothalamus (siège
des émotions). En disciplinant le souffle on réorganise tout l'organisme - à
commencer par les ondes cérébrales. La durée des rétentions (=assimilation du
prâna) réduit l'agitation mentale – donc facilite la concentration exigeant de
la stabilité et permet l'accès à des zones plus profondes.
Le prâna s'accumule en 7 centres
principaux, dans le corps subtil, le long de la colonne vertébrale. Ce sont les
chakra, masses d'énergie tourbillonnante, points de jonctions de nombreux nâdi :
mulhâdâra-chakra, svâdisthâna-chakra, manipûra-chakra,
anâhata-chakra, visuddha-chakra, âjnâ-chakra, sahasrâra-chakra. Quand ce
dernier est activé par la kundalini, la plus haute expérience de l'évolution
humaine est atteinte (S. Satyananda).
Le hatha-yoga stimule les chakra
et élimine les blocages, sources de mal
être et de maladies.
Les exercices, dont nâdi sodhana
(rythme 1-4-2), ont pour but de purifier les nadi.
Quand le souffle s'écoule
naturellement par les 2 narines,
c'est que la sushumna est active. Le souffle alterne d'idâ à pingalâ à peu près
toutes les heures. Le cerveau alterne aussi son activité (droite – gauche) à
peu près toutes les heures.
Narine gauche libérée -> idâ
-> hémisphère droit (intuition, créativité)
Narine droite libérée -> pingalâ
-> hémisphère gauche (logique)
L'essentiel : le
prânâyâma agit au niveau du mental. Il nettoie les nadi, permet la
concentration, la mise en harmonie des chakra indispensable à la libération.
- Rendre prâna et manas (= le mental) inactifs
La pratique yogique vise à faire retourner le
sujet à l'état non manifesté en abolissant la citta
(= principe de l'activité psychique). Ou, si l'on préfère, d'arrêter les
activités de l'esprit au profit d'un état suprasensoriel. Prâna et manas
doivent cesser de fonctionner pour que le Soi se révèle. C'est la délivrance.
Le manas est incapable de rester un moment immobile ; "l'infinie variété
des mouvements de l'esprit n'est rien d'autre que le résultat des constructions
mentales" (Yoga-vasistha-râmâyana,
cité dans HYP IV, 58)
Le yogi doit imposer silence au mental et à
la respiration ordinaire[10]
afin d'atteindre le calme absolu dans lequel se reflète la plénitude de l'Etre.
Cette contemplation est nirâlamba – sans support. L'isolement parfait (kaivalya) est atteint. Le yogi a perdu son identité,
son existence propre, il est alors absorbé dans le Soi, il s'est dissout dans
l'âtman. Cette extinction (nirvâna) offre les
apparences d'une mort. En abolissant tous les vritti qui animent un psychisme
normal, le yogi en samâhdi fait coexister des
états en principe inconciliables : vie et mort, durée et éternité, corporéité
et délivrance. Le manas n'est pas pour autant détruit : il est différemment, absorbé dans l'âtman. Le citta existe dans son
mode le plus élevé : la connaissance conceptuelle de type dualiste, responsable
de l'émergence du monde phénoménal, cède alors la place "à l'intuition
spirituelle immédiate (prajnâ) qui est retour du citta à sa source
indifférenciée et autorévélation du Soi, de l'unicité de l'Etre." (HYP p.
44)
L'essentiel : le samâhdi s'atteint lorsque le yogi a mis
fin au manifesté que caractérisent prâna et manas.
[1] Ou
Gorakhnâth en hindi. Ayant peut-être vécu au VIIe s. et vénéré aussi au Népal,
au Tibet. Ses adeptes recherchent un corps de diamant (rôle de la médecine
ayurvédique).
[2]
Shakti avec S majuscule est la "personnification" (déification) de
shakti qui a le sens d'"énergie".
[3] On
sait qu'avant l'émergence d'un nouvel univers, Shakti, intégrée à Shiva, porte
en elle les samskâra, vestiges karmiques des mondes précédemment créés. Lorsque
surgit une nouvelle manifestation, la
puissance divine (Shakti) s'éveille est procède à une nouvelle création
(décrite dans le Sâmkhya). Cela fait, Shakti se repose, redevient une puissance
latente (ucchista).
[4]
Voir pp 49 à 75, la préface de la HYP chez Fayard, Les
Cahiers de Yoga 7, n°10 sept.-déc. 2007 et le Cours n°3 distribué.
[5] L'âtman possède 3 corps : causal
(kârana-sharîra), subtil (sûkshma-sharîra), grossier (sthûla-sharîra). C'est
d'ailleurs pourquoi il est appelé jîvâtman
= "être incarné".
[6] Repli sur soi, perte du sens de la
réalité.
[7] La HYP en décrit 15. Hormis la santé
du corps les âsana, liés à la respiration, aux contractions, etc. activent les
différents prâna, ouvrent les chakra. Cela ne se fait pas mécaniquement mais si
la conscience intervient.
[8] Nous recherchons systématiquement (et souvent inconsciemment) à
renouveler les expériences ressenties comme agréables, donc à entretenir
certaines tendances sur les plans physique, émotionnel, mental. Cet attachement
crée nos répulsions, nos colères, bref, tout ce qui nous empêche de vivre tout
avec la même égalité d'humeur, voire le même détachement. L'énergie ne passe
pas en nous de manière fluide : elle se heurte à nos "aspérités",
tourbillonne, se bloque, se déchaîne parfois brutalement. Il s'agit encore là
d'images mais le résultat est que nous sommes malmenés : par nos émotions, par
les conceptions diverses que nous nous créons sur tout (jugements divers,
croyances, etc.) et, au final, par la maladie. Nous sommes perturbés sur les
trois plans… et notre souffle en est un signe manifeste. Tant que durent ces perturbations,
ces vritti patanjaliens, il nous est
impossible d'atteindre l'immobilité dans le prânâyâma.
C'est
pourquoi les textes, comme ici la HYP, mais aussi beaucoup d'autres sont
prolixes sur cette purification indispensable des nâdi avant une pratique du prânâyâma.
Tous s'accordent à affirmer, comme le fait Goraksha (voir note 1, sloka 95) :
"C'est quand l'ensemble des nâdi
(qui sont normalement obstrués) est purifié, que le yogi peut réellement
obtenir la capacité à maîtriser les souffles".
[9] Le
prâna se divise en 10 souffles dont 5 "majeurs" (= courants d'énergie
vitale) : prâna (respiration; déglutition); apâna (excrétion, éjaculation, menstruation,
sudation, accouchement); samâna (digestion, assimilation); vyâna (sang, lymphe,
nerfs, mouvement des membres); udâna (parole).
[10] Apparaît une sorte de
"respiration intérieure" proche de la "respiration
embryonnaire" chinoise.
G D
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