LA BHAGAVAD GÎTÂ : UNE SYNTHESE DES YOGA ?
L'auteur de ce blog répond ici à des questions posées par de futurs professeurs de yoga.
Pour aller plus loin et découvrir comment cet enseignement peut transformer radicalement le sens que nous donnons à la vie (si tant est que nous lui en donnons un), consulter les chapitres du sommaire intitulés : "YOGA : REPONSES A DES QUESTIONS FONDAMENTALES"
Avant toute chose comment situer la BG par rapport à la
Bible, au Coran, bref, aux livres sacrés des différentes religions ?
Tous les livres sacrés se déterminent
par rapport à la Vérité. La Vérité, pour être telle, doit être considérée comme
une, universelle, éternelle. Cependant, elle ne peut s’exprimer que dans un
espace et un temps relatifs, par l'expression de l’intelligence humaine, elle
aussi relative. C’est pourquoi toute écriture sacrée comporte deux aspects :
l’un absolu, non conditionné par l’espace-temps et l’autre, temporaire et
périssable. Les grands Livres des diverses traditions peuvent se lire dans leur
dimension relative avec toutes leurs différences souvent importantes, voire
leurs oppositions. Mais ils peuvent aussi se percevoir dans ce qu’ils ont de
commun, d’impérissable et d’éternel. Seuls des êtres éclairés,
intellectuellement mais surtout spirituellement, sont capables d’accomplir
cette lecture qui exige une capacité : celle de voir au-delà du sens premier
offert par les textes.
La BG s’inscrit dans un temps, un espace, une culture qui
ne sont pas ceux dans lesquels nous avons été éduqués. Pourtant, peut-elle nous
concerner ?
Oui, parce que, au-delà de ce qui
s'inscrit dans un contexte forcément limitatif, sont contenues des vérités
simples, vivantes, actuelles. Même si nous ne possédons pas la qualité de
lumière intérieure qui éclaire toute œuvre de ce type, nous sommes capables de
recevoir ce que notre niveau d'évolution personnelle permet de mettre au jour. A moins d’être fermés à toute
volonté de compréhension, ou aveuglés par le fanatisme, nous sommes capables de
saisir quelques-unes de ces vérités fondamentales. Une recherche
d’approfondissement de ces quelques vérités ne peut qu’accroître l'éclairage
ainsi produit. Peu à peu la clarté augmente et avec elle le champ de notre
perception vraiment intelligente.
Il
y en a beaucoup, en fait ! Le premier qui me vient à l’esprit est que tous les
yoga, quels qu’ils soient, supposent un cheminement intérieur exigeant
l’absence d’ambition personnelle. C’est une exigence qui n’est pas acquise au
départ, pas même peut-être après plusieurs années de pratique, mais qui doit
être posée un jour ou l’autre. Cette démarche, comme toutes les démarches
intellectuelles, politiques, artistiques, etc. a pour but un développement;
mais contrairement à celles-ci, ce développement devrait laisser de côté l’ego
qui, toujours, accompagne le progrès. En effet, les yoga visent tous à
abandonner le moi individuel (capricieux, tyrannique, insatiable) pour laisser
se développer le Soi, transcendant, qui se manifeste en nous. Avez-vous
remarqué que la plupart du temps plus un politicien, un homme d’affaire, un
artiste (pour ne choisir que des exemples) rencontre de succès, plus il se
prend au sérieux ? plus il assène des vérités ? plus il tranche ? plus il exige
qu’on lui marque de la déférence ? Alors que le progrès spirituel conduit les
sages aux antipodes de ce type d’attitude : ils deviennent de plus en plus
humbles, discrets, silencieux, muets même… Cela parce que leur ego a été
conquis par la Réalité transcendantale dont nous sommes tous, rappelons-le, les
véhicules.
Tous
les yoga ont donc pour but commun l’invasion du « corps qu’on a » par
« le corps qu’on est » (l’expression est de Durkheim). Tous les yoga,
comme toutes les mystiques d’ailleurs,
ont pour but de laisser s’épanouir l’immanence, la lumière qui nous
habite, que nous abritons. Cela suppose que, si l’on pratique le yoga, il
convient, le plus vite possible, de se pénétrer de cette idée :
« je » ne deviens pas « mieux » qu’avant. Cela, c’est une
analyse du mental. On a envie de formuler un souhait en forme de contre-proposition : que « je » devienne
« moins » qu’avant ! En d’autres termes que mon ego exerce une
dictature de moins en moins tyrannique dans tous les domaines de ma vie. Cela
est à notre portée.
Ce rôle du corps que nous avons évoqué est-il une caractéristique commune à tous les yogas ? Et quels aspects
en justifient l'importance ?
On
pourrait démontrer qu'il les concerne tous, y compris ceux qui en semblent
assez distancés comme le bhakti et le karma yoga. Je ne peux épouser pleinement
le divin si la moindre de mes cellules ne participe pas à cette union. De même,
je ne peux lui consacrer mon action sans lui consacrer aussi l'instrument de
cette action donc mon corps.
Mais
rappelons cette exigence : il s'agit de travailler aussi avec "le corps
qu'on est" et non seulement avec "le corps qu'on a".
Référons-nous de nouveau à Durkheim. Il nous raconte le cas typique de
quelqu'un qui a mal aux épaules. Massages, piqûres finissent par le guérir. Du
moins le croit-il jusqu'à ce qu'il rencontre dans la rue un chat noir (il est
superstitieux). Nous, nous dirons qu'il rencontre une personne qu'il déteste
particulièrement : aussitôt les épaules remontent, les muscles se contractent,
se durcissent, les douleurs resurgissent. Que s'est-il passé ? Le médecin
n'avait soigné que le corps physique. Le yoga met en action "le corps
qu'on a" et, à travers lui, "le corps qu'on est". C'est ce qui
le différencie de la gymnastique ou autre stretching.
Ajoutons
à cela que ce travail sur "le corps qu'on est" peut se poursuivre
après le cours de yoga. Il le devrait, même. Le yoga, ce n'est pas l'exercice
quotidien : c'est le quotidien pris comme exercice. Je peux en effet vivre tout
geste du quotidien comme une posture de yoga – c'est-à-dire comme une attitude
"reliée". Dès lors que je vise à ajuster toutes mes attitudes (à les
rendre juste), le quotidien devient un cours de yoga.
Toute
attitude physique juste tend en effet à créer plus de justesse dans le
comportement et dans l'état d'esprit qui le sous-tend. Une technique physique
de yoga n'a aucun sens si elle ne vise pas à ouvrir des portes qui me
permettent de mieux circuler en moi. Si la maîtrise d'une âsana m'aide à faire
de mes attitudes de la journée autant d'âsana extérieures et intérieures, alors
la technique sert à quelque chose. Si je tape sur le clavier de mon ordinateur
en gardant le dos droit et les épaules détendues, c'est bien pour le corps que
j'ai. Mais si j'ajoute la détente intérieure, le don de mon travail au divin,
alors je commence à travailler avec le corps que je suis. Je travaille à relier
deux corps, deux moi : l'ego limité et le Soi illimité. On voit par là que
chaque acte, grâce au corps, peut être
échelon vers la liberté. Qui oserait dès lors prétendre que le corps est une
prison ?
Pourriez-vous montrer comment
les différents yoga s'articulent entre eux par rapport à leurs caractères
propres ?
On
pourrait dire par exemple que le "chercheur de vérité", s'il est de
tendance plutôt intellectuelle, grâce à ses connaissances (jnâna-yoga),
comprend que le moi est un mirage : il renonce donc à nourrir ses désirs,
renonce à l'action intéressée (karma-yoga), pratique l'abnégation et voit le
Divin en tout être (bhakti-yoga).
Imaginons
maintenant un tempérament plutôt physique qui a commencé par des exercices
corporels (hatha-yoga); il se peut qu'amené à tenir des postures, il en vienne
logiquement à la méditation (râja-yoga). Il étendra cette méditation aux
activités quotidiennes (karma-yoga), voudra peut-être en savoir plus, se
plongera dans les textes (jnâna-yoga), et ainsi de suite…
Quel
que soit le yoga que l'on commence à
pratiquer, on est amené à rencontrer les autres. On s'aperçoit alors qu'ils ne
sont pas cloisonnés, qu'ils sont les interfaces d'un seul et unique yoga. Ils
sont interdépendants, complémentaires, poreux, comme on voudra. Mais il est
vrai que chacun, suivant son tempérament, en privilégie d'abord une forme qui
lui convient bien. On peut schématiser ces tendances selon un tableau simple – voire simpliste mais parlant :
Karma-yoga
|
L'action
|
Actifs – sociaux
|
Bhakti-yoga
|
L'affectivité
|
Emotifs – mystiques
|
Hatha-yoga
|
Le corps
|
Physiques
|
Jnâna-yoga
|
La raison
|
Intellectuels
|
Râja-yoga
|
Le mental
|
Psychologues
|
Notons
que les termes français sont forcément approximatifs et ne recouvrent
exactement la réalité que le sanskrit, lui, traduit de manière plus juste.
Shrî
Aurobindo montre de quelle manière s'articulent les différents yoga dans la BG
"… la renonciation ascétique à la
vie et aux œuvres est un moyen nécessaire de libération. Mais pour le yoga de
la Gîtâ, comme pour le yoga védantique des œuvres, l'action n'est pas seulement
une préparation, elle est elle-même le moyen de libération; […] La renonciation
est indispensable, mais la vrai renonciation est le rejet intérieur du désir et
de l'égoïsme; sans elle, l'abandon matériel, extérieur, des œuvres est sans
réalité et sans efficacité […] La connaissance est essentielle; il
n'est point de plus haute force de libération, mais les œuvres jointes à la
connaissances sont également nécessaires; […] la dévotion a toute importance, mais
sont importantes aussi les œuvres jointes à la dévotion; par l'union de la
connaissance, de la dévotion et des œuvres, l'âme est élevée à la condition la
plus haute de l'Ishvara pour y demeurer dans le Purushottama, qui est maître à
la fois de l'éternel calme spirituel et de l'éternelle activité cosmique. Telle
est la synthèse de la Gîta" (La BG, Srî Aurobindo, p.75, Ed. A. Michel).
Cette
synthèse brillante se retrouve dans la BG elle-même au ch XII, 12 : "Meilleure en vérité est la connaissance que
l'effort (abhyâsa); meilleure que la
connaissance est la méditation; meilleure que la méditation est la renonciation
au fruit de l'action; de la renonciation vient la paix." Je ne pense
pas qu'il faille lire cette dernière citation comme un palmarès mais comme une
incitation à vivre dans une totalité action-connaissance-méditation-amour.
On
trouverait beaucoup de textes qui affirment cette complémentarité :
Vivekânanda : " Entre la Connaissance (jnâna) et
l'Amour (bhakti), il n'y a réellement pas tant de différence qu'on se l'imagine
parfois. […] ils finissent par converger et se
rencontrer au même point. Il en est de même du Râja-Yoga (Les Yogas
pratiques, Swâmi Vivekânanda, p. 138, A. Michel)
Krishna surmonte la contradiction "en montrant que les deux méthodes […] sont également valides, tout individu
pouvant porter son choix sur la méthode que son actuelle situation karmique lui
permet de pratiquer : soit donc sur l'action, soit sur la connaissance et la
contemplation mystique." (Mircéa
Eliade, Patanjali, p. 131, Ed. du
Seuil).
Sans revenir sur ce qui a déjà
été abordé, pouvez-vous citer les qualités que doit développer l'adepte, quelle
que soit la forme de yoga privilégiée ?
Sans
conteste : d'abord abhyâsa et vairâgya, c'est-à-dire l'effort patient et le détachement. On peut vivre ces deux
qualités à tous les niveaux : depuis le plus quotidien (se lever chaque matin
pour pratiquer sans pour autant attendre des progrès, c'est déjà bien!)
jusqu'au plus profond. Les textes sont formels : sans elles aucun yoga n'est possible.
Ceux
qui pratiquent savent à quel point ces
qualités sont exigeantes. Quelle que soit
la forme de yoga pratiquée. Pour le hatha-yoga, pour le râja-yoga, c'est
évident, mais aussi pour le jnâna-yoga, le karma-yoga, le bhakti-yoga (à vous
de deviner en quoi pour chacune de ces formes consistera abhyâsa.)
On
pourrait bien sûr allonger la liste des "qualités" mais je n'en ai
pas trouvé qui d'une manière ou d'une autre ne dépende plus ou moins
directement de ces deux "qualités mères".
Quel
que soit le yoga pratiqué, le plus difficile n'est pas tant de trouver celui
qui nous convient que de ne pas s'enfermer dans celui qui nous convient. Le
yoga est un levier qui doit nous hisser vers autre chose que lui-même. De ce
point de vue la finalité du yoga est la cessation du yoga - la libération
rendant toute pratique superflue (on abandonne la barque lorsqu'est achevée la
traversée).
La
lucidité est une qualité fondamentale, qu'on la nomme vigilance ou attention.
Le yoga opère une véritable révolution (changement) de la conscience, donc une
transformation sur tous les plans, une rupture progressive des automatismes,
des conditionnements physiques, psychologiques, moraux, etc.
Mais il peut aussi lui-même devenir nouvelle habitude, nouveau conditionnement… Tant
que nous n'avons pas tué le "vieil homme" nous sommes encore dominés
par l'ego. Ce dernier a la peau dure et, de plus, il est rusé et capable de se
glisser dans les habits du pratiquant de yoga et même du sannyâsin pour que nous le laissions imposer sa dictature. Le
danger du yoga n'est pas dans le yoga, mais chez celui qui le pratique s'il
manque de clairvoyance. Ce danger guette surtout ceux qui sont d'un tempérament
naturellement mystique. Leur désir (au demeurant fort louable) d'être
"meilleurs", d'accéder à une forme d'existence
"supérieure", finit par faire feu de tout bois. Or, le yoga est un
bon combustible : de par les états de conscience qu'il induit (sans même aller
chercher des états extraordinaires) il nourrit les illusions de ceux qui ne
demandent pas mieux de croire que "c'est arrivé". Si l'assoiffé
d'absolu n'est pas impitoyable de vigilance, il risque de se fourvoyer complètement.
Observons les grands maîtres (de toutes croyances, de tous les pays et de tous
les temps) : ils cultivent tous l'humour, un humour qui paraît parfois féroce
parce qu'il écrase sans pitié les illusions comme on écrase une punaise (pardon
pour la punaise). Quand vous parlez des "qualités" que doit posséder
le pratiquant de yoga j'y ajouterai donc cet humour ô combien profond et
vivifiant, et aimant, qui n'est pas le rire désabusé, ricanant et hideux qu'on
trouve bon de cultiver actuellement. Mais un humour que l'on puisse exercer en
priorité à son encontre. En effet, si je suis capable de rire de ce qui en moi
se prend au sérieux, c'est que j'y vois un peu clair. Ce rire est signe de
cette vigilance qui refuse les simagrées de l'ego.
Pourquoi avoir recours à la BG et au yoga plutôt qu'à une
autre "méthode"?
Expliquer
pourquoi je pratique telle religion plutôt qu’une autre embarrasse souvent
parce que la réponse n’atteste pas souvent la présence d’une démarche
personnelle : je suis catholique parce que mes parents l’étaient – ou parce
qu’ils ne voulaient pas que je le sois – ce qui revient au même.
En
revanche, si ma démarche procède d'un choix réel issu d'une réflexion et d'une
expérience plus ou moins longue, je peux alors produire une explication
Dire
pourquoi un occidental choisit le yoga (alors que rien de culturel semble l'y
prédisposer) serait un peu hors de propos. Nous retiendrons tout de même un
point : le yoga n'exige de nous aucune « croyance » à priori. Il peut
mener au divin sans rien exclure de notre exigence de rationnel, et surtout
sans nous demander d'ignorer le corps. Non seulement sans l'ignorer mais, on
l'a vu, en lui accordant un rôle
fondamental dans notre quête de sens. Il y a là de quoi séduire ceux qui
refusent d'être "coupés en deux" : âme d'un côté, corps de l'autre,
bien et salut d'un côté, péché et damnation de l'autre.
Ce
schématisme primaire apparaît heureusement comme erroné en dépit des Eglises officielles qui firent tout pour
l'imprimer en nous sitôt qu'elles se firent complices – ou otages plus ou moins
timorés ou consentants du pouvoir temporel.
Ce
qui est sûr c'est que le choix conscient et volontaire d'une voie de salut (que
ce soit une quelconque religion ou un quelconque yoga) procède peu ou prou du
même constat universel : je suis déchiré. Une part de moi ne coïncide pas avec
l’autre part. L’une recherche l’avoir
(argent, pouvoir, succès et leurs dérivés); l’autre l’être (bonheur, plénitude, etc.) L’une me pousse à l’action –
violente s’il le faut; l’autre à la contemplation, au lâcher-prise. L’une fait
naître en moi la volonté grandissante du « toujours plus »; l’autre
soulève une nostalgie : celle d’une part de moi, connue mais oubliée, à la fois
présente et absente, dont je sais obscurément et douloureusement qu’elle me
comblerait si je la retrouvais.
Cet
état duel (schizophrénie native ?) peut sans doute échapper à certains mais à
aucun de ceux qui sont préoccupés de spiritualité.
Il
arrive également que ce qui relève de l'intuition latente et brumeuse ( = autre
chose existe parce que je sens que "je est un autre") se transforme
en certitude intime à l'issue d'une expérience – d'un état privilégié
expérimenté (ce que Durkheim appelle le "numineux"). Dans les deux
cas je comprends que la vie ne se réduit pas à un certain nombre de fonctions
physico-chimiques. Que la vie suppose "autre chose" dont la réalité
m'a été imposée – révélée.
Ce
constat réalisé, je vais dans la direction paraissant le mieux répondre, le
mieux correspondre à ce que je suis.
En conclusion de ce parcours – la Bhagavad-Gîtâ et les différents
yoga – que pourrions-nous retenir ?
"La Gîtâ, comme le dit Shrî Aurobindo… n'est pas une arme de guerre dialectique;
c'est une porte ouverte sur l'univers entier de la vérité et de l'expérience
spirituelles; la perspective qu'elle nous ouvre embrasse toutes les provinces
de cette région suprême." (La
Bhagavad-Gîtâ, Spiritualités vivantes, A. Michel). Ce n'est pas pour autant
qu'il faut nous y enfermer, pas plus qu'on s'enfermerait dans la Bible. Aurobindo ajoute : "Nous n'appartenons pas aux aurores du passé,
mais aux midis de l'avenir. Une masse d'éléments nouveaux se déverse en nous;
il nous faut, non seulement assimiler les influences des grandes religions
théistes de l'Inde et du monde (…) mais aussi tenir pleinement compte des
révélations puissantes, quoique limitées, de la science et de la recherche
modernes (…) Une harmonisation nouvelle et compréhensive de nos acquisitions
est, intellectuellement et spirituellement, une nécessité de l'avenir. Et tout
comme les synthèses passées ont pris pour point de départ celles qui les ont
précédées, la synthèse de l'avenir doit aussi, pour avoir une base solide,
procéder de ce qu'ont donné les grandes sommes de pensée et d'expérience
spirituelles réalisées dans le passé. Parmi elles, la Gîtâ occupe une place
primordiale."
La
Gîtâ est là pour nous guider, nous aider à y voir plus clair en nous, pour nous
aider à trouver du sens et peut-être un Sens à notre vie. Elle a ce mérite que
pour nous, adeptes du yoga, elle ouvre une voie d'action et de réflexion. Mais
nous n'avons pas à en faire un ouvrage de "croyances". Surtout pas;
ce serait nous raidir. Or le yoga, c'est la souplesse. Non seulement du corps
mais d'abord de l'esprit. Rester souple d'esprit, c'est refuser, autant que
faire se peut, les conditionnements. Si nous lisons la Gîtâ, ce n'est pas pour
y puiser des paroles définitives auxquelles se raccrocher, ni pour s'y abreuver
ou s'y nourrir de vérités prédigérées. Si nous lisons la Gîtâ, c'est, comme
nous avons essayé de le faire au cours de ces différents articles, pour nous
interroger : "qu'est-ce que je peux faire, concrètement, de telle ou telle
parole de Krishna ?"
La
Bhagavad-Gîtâ est un sentier parmi beaucoup d'autres, nous l'avons dit. Le
sentier n'est pas le but, n'est pas la Vérité que je veux atteindre. Le sentier
est un support. Il me permet de cheminer vers la Vérité. Il m'aide à pénétrer
dans ma propre lumière, dans mon Lieu intérieur. Mais pas plus que la Bible ou
autre Livre sacré, il n'est la Lumière ni le Lieu.
Krishnamurti disait, dans La Première et la Dernière Liberté :
" Le point de départ d'une pensée
vraie est dans la connaissance de soi. Si l'on ne se comprend pas soi-même,
l'on n'a aucune base pour penser…" Voilà qui est important : se connaître
d'abord. D'autres l'ont dit bien avant Krishnamurti. Il n'empêche que nous
préférons chercher des vérités en-dehors de nous. Nous n'imaginons pas que la
vérité soit à portée de notre propre expérience, de notre propre pouvoir. Nous
faisons beaucoup plus confiance aux "penseurs professionnels". Nous
en ferions bon usage s'ils nous renvoyaient sans cesse à nous-mêmes, nous
disant : "Voilà ce que je pense, moi. Mais c'est moi qui le pense, pas
vous. A votre tour de penser seul !" Mais souvent ils nous somment de
penser comme eux, comme si le fait de dire ce qu'ils pensent revenait à dire la
Vérité ! Les vrais sages (donc pas les philosophes en général !) nous mettent
tous en garde : désencombrons-nous l'esprit de ce qu'il contient. "Là où finit le savoir naît
l'intelligence" dit encore Krishnamurti. Est-ce dire qu'il faut se
garder ignorant ? Dans un certain sens oui, si "savoir" c'est
"croire", accepter aveuglément. Mais, dira-t-on, si je ne sais rien,
comment puis-je savoir que savoir est néfaste ? En osant avancer dans
l'obscurité des paradoxes inhérents à notre condition actuelle mais non
irrémédiable. C'est seulement en vivant par l'expérience l'inutilité - voire le
danger - du savoir que je peux espérer un jour devenir ignorant - au sens où
l'entendent tous les grands maîtres. Faisons-leur confiance ou non mais
expérimentons ! Il est probable qu'alors la compréhension se lève en nous comme
une nouvelle aurore et dissipe toute question.
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