Isha, Kena, Mundaka Upanishad : Conclusion
Sans revenir sur les trois Upanishad que nous avons considérées plus particulièrement, tentons de dégager les points qui reviennent le plus fréquemment
Âtman-Brahman
L'un et l'autre sont Sat (= ce qui est), Tat (= Cela), autres dénominations de l'Absolu, du Un-sans-second.
Bien qu'étant identiques dans
leur essence, Âtman et Brahman sont parfois différenciés en ce sens que l'Âtman
est considéré comme le Brahman individuel, le Brahman étant l'Âtman universel :
"Le brahman réside dans le cœur [il
porte alors le nom d'Âtman] Les sages qui le contemplent au dedans de leur âme,
ces sages-là possèdent, et non d'autres, le repos éternel" (Kâthaka
Upanishad, II, V, 12-13).
Voici quelques caractères
propres à l'Âtman tels qu'on les trouve dans quelques Upanishad :
"Tu demandes ce que c'est que le Brahman ? C'est ton propre Âtman qui
est intérieur à tout !" (Brihad Âranyaka Upanishad III, 4-5).
"L'Âtman doit être perçu au moyen de l'Âtman même que l'on désire connaître.
L'Âtman de celui qui désire connaître l'Âtman trouve sa propre essence"
(Mundaka Upanishad, III, 2-3).
"Sa forme n'est pas un objet visible. Nul ne saurait le voir avec l'œil.
C'est par le cœur, par la pensée, par l'esprit qu'on le perçoit"
(Kâthaka Upanishad, II, VI, 9).
"Cet Âtman ne peut être atteint ni par l'étude, ni par la science"
(Kâthaka Upanishad, I, II, 22).
La Brihad Âranyaka Upanishad
s'arrête longuement sur la nature de l'Âtman :
"L'Âtman […] réside à l'intérieur du cœur, le Purusha qui est lumière.
Restant identique, il passe d'un monde à l'autre, semble penser et se mouvoir".
Il est "ni ceci ni cela […]
insaisissable […] indivisible […] indépendant […] sans liens, il ne souffre
pas, il ne périt pas." (III, IX, 26). "L'essence de l'homme [Purusha], l'Âtman
intime réside éternellement dans le cœur de tout homme. Patiemment on doit
l'extraire de son propre corps, comme la graine de son enveloppe" (VI,
17). "On ne le voit pas et il voit,
on ne l'entend pas et il entend, on ne le pense pas et il pense, on ne le
connaît pas et il connaît" (III, VII, 31).
"Cet Âtman qui est caché dans tous les êtres ne se manifeste pas. Mais
il est perçu par l'intelligence pénétrante de ceux qui perçoivent les choses
subtiles" (Kâthaka Upanishad, I, III, 12).
Quant au Brahman il est très fréquemment évoqué. Ainsi la Svetâsvatara
Upanishad décrit longuement "l'Être
éternel qui réside en lui-même". N'en citons qu'un court extrait :
"Il est cet univers, il est le passé
et l'avenir, il est le maître de l'immortalité. Il est l'arbitre de l'univers
mobile et immobile… Il est le premier, le grand esprit… Il est le dieu unique
qui, pareil à l'araignée, s'enveloppe par son essence, à l'aide des fils du
pradhâna [la Nature]. Il est unique, il est libre, il est celui qui multiplie
la semence unique des âmes individuelles. Il est l'agent de toutes choses,
l'omniscient, la matrice et le moi, l'auteur du temps, le possesseur des
qualités, le maître de l'indéveloppé et de l'Âtman individuel, la cause de la
transmigration et de la délivrance" (Svetâsvatara Upanishad, III, 12
et sq.). On retrouve fréquemment ce même type de longue énumération comme si
les auteurs voulaient donner l'équivalent stylistique de la profusion
métaphysique : le Brahman est tout et son contraire ! Ainsi la Mândûkya
Upanishad (6, 7) après nous l'avoir présenté ("Il est le Seigneur de toute chose, il est omniscient, il est le
régisseur interne, il est la matrice de l'univers, il est le commencement et la
fin des êtres. C'est l'Âtman, c'est celui qu'il faut connaître"), nous
laisse face à des qualificatifs que notre raison ne peut concilier. C'est bien
là le but de l'auteur, Brahman-Âtman échappant par essence à toute
conceptualisation : "Sans
intelligence interne, sans intelligence externe, n'étant pas non plus un
faisceau d'intelligence, n'étant ni intelligent ni inintelligent, invisible,
échappant à toute relation, imperceptible, sans signe distinctif, ne tombant
pas dans la pensée, ne pouvant être décrit, ayant pour essence l'idée
d'homogénéité… tel est l'état suprême du Brahman".
Pourtant certains textes
n'hésitent pas à le personnifier : "Lui
seul reste éveillé dans la destruction de l'univers […] C'est par lui que cet
univers est médité, c'est en lui qu'il revient se dissoudre." (Maitri
Upanishad, VI, 17). Cela peut aller jusqu'à une forme de dualisme (les
Upanishad restant cependant de nature moniste). "Cet être éternel qui réside en lui-même, supérieur à tout ce qui peut
être connu […] hommage à ce dieu qui est dans le feu, qui est dans l'eau, qui
pénètre dans le monde entier, qui est dans les plantes, qui est dans les arbres
[…] Il est le premier-né, il est dans la matrice…" (Kâthaka Upanishad,
II, V, 9). Même regard, encore plus appuyé, dans la Svetâsvatara Upanishad :
"L'Âtman individuel est enchaîné par
suite de sa nature de jouissant ; quand il connaît le Divin il est délivré de
toutes ses chaînes" (I, 10). Ce dualisme annonce le Sâmkhya - alors
que le monisme est caractéristique du futur Vedanta.
Le dénominateur commun
Presque toutes les Upanishad n'ont
d'autre but que d'enseigner aux adeptes à s'identifier avec l'Âme universelle,
à devenir cette Âme. De cette fusion jaillit la délivrance (moksha), le salut.
La plupart des Upanishad se
terminent par un hymne sur la félicité (ânanda) de l'absorption mystique :
"Celui qui connaît Brahman, l'être
suprême, devient Brahman lui-même, il traverse le chagrin, il traverse le
péché, délivré de ses liens, il devient immortel" (Mundaka Upanishad,
III, II, 8). De même la Maitri Upanishad s'achève sur l'extase qui résulte de
cette union avec le Tout, union de l'ascète "dont les sens sont absorbés comme dans le sommeil…"
La conception du salut ainsi
développée dans les Upanishad aboutit à la discipline du yoga et donnera
naissance au bouddhisme.
G D
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