Qu'est-ce que le "réel" ?Quand la science rejoint le yoga
Qu'est-ce
qui est vraiment réel alors ?
Pour
les advaitistes, l'Absolu est la seule réalité. L'univers (jagat) est irréel (mithya)
lorsqu'on le considère du point de vue de l'Absolu. Pour l'Absolu ou I'Indifférencié,
l'univers, l'homme et les autres créatures (jivas)
sont irréels, car la seule réalité est l'Absolu.
Voilà qui est clair et énoncé
par Shankara (800 av. J.-C.), également par certains scientifiques qui osent
s'aventurer hors des limites de leur spécialité (ils sont bien loin d'être le
plus grand nombre).
"Nous avons résolu l'univers tout entier en deux éléments, en ce qu'on
appelle la matière et l'énergie ou, comme les anciens philosophes de l'Inde,
l'âkâsha et le prâna. Ce qu'il faut faire ensuite c'est ramener cet âkâsha et
ce prâna à leur origine. L'un et l'autre peuvent être en cette entité encore
plus haute qu'on appelle l'esprit […] au-delà de l'esprit nous avons trouvé en
nous l'âme. Dans l'univers, dans le cosmos, de même que l'esprit universel a
évolué pour devenir âkâsha derrière l'esprit universel, il existe aussi une Ame
et on l'appelle Dieu. Chez l'individu c'est l'âme de l'homme et prâna, de même
aussi nous trouvons que l'Ame Universelle Elle-même a évolué pour devenir
esprit universel. En est-il réellement ainsi pour l'homme individuel ?"
Swâmi Vivekânanda [1]
pose alors immédiatement la question de notre identité – qui, indirectement
pose à son tour la question de l'identité du monde : "Son esprit est-il le créateur de son corps ? Son âme est-elle la
créatrice de son esprit ? Ou, en d'autres termes, son corps, son esprit et son
âme sont-ils trois entités différentes, ou bien sont-ils trois en un, ou bien
encore sont-ils des états différents de la même unité de l'être ?" Le
philosophe expose alors les trois points de vue dominants (qui, en fait,
peuvent se ramener à deux options : dualiste et non-dualiste).
Le premier point de vue est
celui des dualistes. Pour eux, tout ce qui est créé est composé, donc destiné à
se décomposer. L'âme, n'étant pas composée, continue de vivre quand le corps se
décompose. "D'après le Vedânta,
lorsque notre corps se dissout, les forces vitales de l'homme retournent à son
esprit et l'esprit se dissout pour ainsi dire en prâna, ce prâna entre dans
l'âme de l'homme et cette âme émerge revêtue, pourrait-on dire, de ce qu'on
appelle le corps subtil, ou corps mental, ou corps spirituel, selon le nom
qu'on veut lui donner. Dans ce corps sont les samskâra de l'homme." Les
samskâra sont les impressions subtiles
qui demeurent d'une vie à l'autre. L'âme, revêtue de ces impressions et du
corps subtil, s'en va, déterminée, et prend trois directions possibles suivant
son degré de pureté (celle du Brahmaloka où elle va acquérir omniscience et
omnipotence, celle de la terre où elle se réincarne, celle d'un monde
intermédiaire peuplé de fantômes ou démons destinés à se réincarner en animaux
puis en hommes etc.)
Le deuxième point de vue est
celui des bouddhistes qui rejettent ces théories de l'âme – troisième substance
inutile, ajoutée au corps et à l'esprit. Pour eux, "Le corps est le nom donné à un courant de matière qui change sans
cesse. L'esprit est le nom d'un courant de conscience ou de pensée qui change
sans cesse. Qu'est-ce qui produit l'unité apparente entre les deux ? Cette
unité, disons-le, n'existe pas en réalité." Cette vie est un fleuve de
matière qui coule sans cesse et qui nous apparaît comme un tout, à l'égal d'une
torche qui, tournant au bout d'une corde, apparaît comme un cercle ininterrompu.
Le courant de l'esprit laisse en nous un sentiment d'unité mais c'est une
illusion et il n'est pas besoin d'une troisième substance. De plus il est
inutile de chercher un arrière-plan à cet univers des sens, une réalité qui le
soutiendrait… Toute chose est un agrégat de qualités. Rien d'immuable n'existe
derrière. La nature est donc une masse de transformations incessantes, de
combinaisons, comme autant de vagues ne laissant apercevoir aucun océan placide
au-delà.
Vient alors le troisième point
de vue, non-dualiste.
"Ce système nous explique que les dualistes ont raison de trouver
quelque chose derrière tout ce qui existe, un arrière-plan qui ne change pas.
Mais où ils se trompent, c'est lorsqu'ils analysent ce quelque chose comme
n'étant ni le corps ni l'esprit, comme étant distinct de l'un et de l'autre".
Les bouddhistes ont raison lorsqu'ils disent que l'univers tout entier est une
masse de transformations. "La
réalité, c'est qu'il y a dans cet univers à la fois du changeant et de
l'immuable. Ce n'est pas que l'âme, l'esprit et le corps soient trois
existences séparées, car l'organisme composé de ces trois parties est en
réalité un. C'est la même chose qui apparaît comme corps, comme esprit et comme
ce qui est au-delà de l'esprit et du corps, mais ce n'est pas tous les trois en
même temps." Vivekânanda précise que notre regard a de la peine à
saisir l'intégralité de notre nature, qu'il voit un serpent là où il n'y a
qu'une corde : lorsque l'illusion cesse, la vision change et remplace la
précédente qui s'évanouit…
Tous les changements attribués
au monde ne sont que des apparences d'une réalité unique – le Moi unique. C'est
Mâyâ qui fait paraître différents les individus. Elle n'a pourtant pas
d'existence puisqu'elle dépend de l'existence d'une autre chose. On ne peut
donc dire que la forme existe. Mais on ne peut non plus dire qu'elle n'existe
pas puisque c'est elle qui cause toutes ces différences ! Mâyâ, l'Ignorance,
n'est rien d'autre que le temps, l'espace et la causalité…
Seul "Un" existe,
tant sur le plan physique que mental ou spirituel – précise l'auteur ("éveillé",
"libéré vivant", rappelons-le), dérivant sans aucune difficulté dans
une direction plus scientifique encore en précisant que chaque humain est
matière, semblable au soleil ou à la lune, ou a une plante ou à un animal,
partageant les mêmes particules. Chaque réalité est un esprit – si bien que
personne ne sort de ce monde et personne n'y entre. Nous sommes infinis :
comment pourrions-nous "aller
quelque part" ? Il n'y a ni haut ni bas dans l'univers. Il n'y a ni
naissance ni mort de l'âme. Il n'y a pas de paradis – ou le paradis est
partout. Toutes ces illusions disparaissent aux yeux de celui qui est arrivé à
la quasi perfection, à l'état de jivan
mukhta.
Certes, Swâmi Vivekânanda
prononce ces paroles en 1936, il aurait donc pu prendre connaissance de l'existence
de la mécanique quantique, mais c'est peu probable. Et quand bien même : il ne
fait là qu'exprimer ce qui aux yeux d'un vedantiste, apparaissait comme
évidence depuis plusieurs siècles ! Rappelons plutôt ce qu'il écrit : " Il peut y avoir des millions d'êtres qui
sont sur des plans d'existence différents. Ils ne nous verront jamais et nous
ne les verront pas non plus : nous ne voyons que ceux qui sont dans le même
état d'esprit que nous et sur le même plan que nous […] Si l'état de vibration
qu'on appelle "vibration-homme" était changé, on ne verrait plus d'hommes
ici : tout l'"univers-homme" s'évanouirait et à sa place se
présenterait à nous un autre paysage […] Tout cela ne constituerait que des
vues différentes d'un même univers."
Le temps tout entier,
ajoute-t-il, est en l'homme mais lui n'est pas dans le temps. Et il conclut :
"Ainsi, ceux qui ont réalisé la
vérité n'ont pas besoin des ratiocinations de la logique ni de toutes ces
autres gymnastiques de l'intelligence pour comprendre la vérité. Celle-ci est
devenue pour eux la vie de leur vie, elle est devenue concrète et plus que
tangible […] Vous pourrez discuter avec eux pendant des années, mais ils
souriront […] Ils ont réalisé la vérité et ils sont accomplis […] Toutes les
paroles qu'on prononce dans le monde sur les églises et les religions ne sont
que babil ; c'est la réalisation qui est l'âme, l'essence même de la religion."
Le progrès de nos
connaissances nous rapproche, dans ce que nous appelons le réel, de ce qui demeure
caché et que nous pénétrons de manière de plus en plus intime grâce aux moyens
d'investigation dont nous disposons. Est-ce dire que nous découvrirons la clé, la
formule, le sésame permettant d'atteindre l'ultime compréhension de la création
– nous inclus ?
Les mystiques semblent bien déjà
posséder ce que cherchent encore les scientifiques… Les anciens évoluaient dans un univers expliqué pas la magie (croyance
au surnaturel) puis, plus tard, par le scientisme (tout est naturel). Il
semblerait que nous soyons arrivés à ce moment passionnant où, sans se
superposer, l'expérience intuitive et l'expérience rationnelle commencent à
cesser de poser les problèmes en termes d'antinomie, d'incompatibilité.
Naturel, surnaturel… ces termes ne signifient plus grand-chose dans le contexte
de la physique contemporaine – le surnaturel étant d'ailleurs considéré par
certains comme un naturel qui échappe encore à notre saisie alors que d'autres
lui attribuent une existence possible… Saul
Karz, sociologue, tire les conséquences de cette évolution : “Nous avons fini par comprendre que nous nous
racontions des bobards. Maintenant que ces illusions se sont dissipées, nous
avons une vision plus lucide et plus exacte du Monde, même s’il s’agit d’un
monde désenchanté”.
La mécanique quantique peut en
effet aussi bien inciter les esprits à déclarer que tout est contingent, que le
Divin est une invention humaine, que tout s'explique par des phénomènes
énergétiques, biochimiques, physiques, etc. et que rien ne ressemblant à l'Esprit ne souffle sur ce jeu
exclusivement mécanique dont – certains le croient – on finira bien par découvrir les règles…
Seulement les êtres qui ont
approché (et parfois atteint) les régions également mais autrement explorées
par des universitaires de haut vol, semblent posséder une clé d'accès, paradoxalement
à ce que croient encore la majorité des chercheurs, beaucoup plus efficace – et
même plus probante. La démarche de ces êtres d'exception ne dépend d'aucune
équation, mais elle est le produit d'une attitude plus holistique, plus
immédiatement pénétrante que celle des scientifiques. Ces derniers utilisent en
effet leur capacité à raisonner, exclusivement[2].
Ils sont séparés de l'objet que vise leur quête de vérité[3]
par cela même qui leur permet de s'en
rapprocher. Les calculs – purs produits de l'intelligence conceptuelle – leur donnent,
inévitablement, une compréhension conceptuelle[4].
Or, comprendre intellectuellement, est-ce réellement connaître (= "naître
avec", expérimenter dans tout son être) ? Comprendre ce qui constitue le
goût du citron parce qu'on m'en a expliqué la nature avec des formules, est-ce connaître le citron ? Les
"sages", les "éveillés", qu'ils soient yogi indiens ou
autres, ignorent les formules chimiques composant la substance citron, cela ne
les intéresse pas ; ce qu'ils ont choisi c'est non pas de comprendre le citron
mais de le goûter, de l'expérimenter, de le "connaître" aussi avec
leurs sens. Au bout du compte, le connaissant ainsi, ils accèdent à sa
compréhension qui leur est donnée en plus – non pas saisie purement
intellectuelle mais globale, autrement plus essentielle et exaltante…
Ce qui reste réel, si ce n'est
pas le monde en soi, c'est l'expérience que je fais de lui, le parfum des
tilleuls, un soir d'été, le tintement cristallin d'un crapaud, la saveur de
fraise sauvage juste cueillie, le velours de l'abricot sous mon doigt, toutes
ces résonnances du monde qui mettent en vibration cette partie de moi qui les
capte, ce que Stephen Jourdain appelle l'"Impression-monde" tout cela n'est pas un déguisement de plus
dont j'habillerais ce qui m'entoure : tout cela EST le monde, tout cela en est
"la nudité et la vérité. […] Le
monde tel qu'il se découvre à moi dans l'instant condense en lui toute la
mondialité du monde, et toute sa réalité." Si je laisse venir à moi
l'expérience de la vie (pas l'"analyse" mais
l'"expérience"), si j'en capte l'épanchement, alors, dit encore en
substance Stephen Jourdain, j'accède au vrai et au réel. Se débarrasser de ce qu'on pourrait appeler le "temps
mental", c'est ce que nous faisons parfois lorsque nous sommes intensément
conscient du moment présent. Cela se produit dans la contemplation d'un oiseau,
d'une fleur, d'un nuage (mais aussi de n'importe quel objet, même si c'est plus
difficile) et que ce qui est perçu nous apparaît dans sa fraîcheur native,
perception débarrassée de toute mémoire, de toute surimpression mentale… Dans
ces instants "vous sentez l'essence
divine dans chaque créature, chaque fleur, chaque pierre et vous réalisez que
tout ce qui est est sacré. C'est pour cela que Jésus, qui s'exprimait à partir
de son essence divine […] dit dans l'Evangile selon Thomas : "Coupez un morceau
de bois, et vous m'y trouverez. Ramassez une pierre, et vous m'y trouverez
aussi." " [5]
L'illusion dans laquelle
presque tous les hommes vivent, peut-elle cesser durablement ? Certains
chercheurs ont conscience d'une ouverture possible et échappent ainsi à ce cul
de sac au fond duquel les scientifiques purs et durs risquent de tâtonner
encore longtemps avant de découvrir une sortie - ils pensent encore que le réel
est "auto-explicatif" ! Les chercheurs éclairés admettent que tout
n'est pas d'origine humaine ; qu'il y a un autre niveau, au-delà de
l'observable, et que l'humain est relié à "autre chose" de plus
grand, de plus exaltant que lui-même (qui est
lui-même, en fait). C'est cela qu'exprime par exemple Jean Staune,
répondant au philosophe athée André Comte-Sponville :
"On peut avoir l’idée qu’il y a une certaine probabilité
que la valeur et la vérité soient une et il y a une certaine probabilité que le
monde ait un sens, cela est très important parce que comme Bernard d’Espagnat
nous le dit : “Le fait de fonder les valeurs admises par la société […] sur une
telle vision […] est d’une énorme
importance, car le niveau de sérieux que l’on attache à ces valeurs en dépend,
ainsi que le niveau de sérénité et même de joie auxquelles se déroule notre
existence”.
A
quoi le même Jean Staune ajoute, dans une lettre à Dominique Lambert [6] : "La
science actuelle, dans tous les domaines, s’ouvre sur un au-delà de la science,
dont la science ne peut rien dire... sauf qu’il existe. Ce qui est tangible,
calculable, observable montre par sa propre analyse rationnelle l’existence de
quelque chose qui est intangible, inobservable... mais néanmoins nécessaire."
A
parcourir les témoignages ce ceux ou celles qui sont sortis pour un instant ou
plus du bocal dans lequel nous nageons en rond (l'image du bocal est de
Satprem), il semble bien que la vérité de notre monde dépasse, et de loin, les
extrapolations les plus audacieuses que les scientifiques sont capables de formuler… Notre aptitude à
observer, raisonner, calculer ne peut que nous mener à un constat d'évidence :
cette aptitude nous a ouvert un début de chemin dans la compréhension du monde mais, si nous n'ouvrons pas d'autres
voies – celles parcourues par d'autres "chercheurs" beaucoup plus inspirés
–, elle risque aussi de nous en voiler la partie la plus intéressante – celle
qui peut le "réenchanter". Cette partie n'est pas accessible par les
moyens habituels, ceux qu'on (éducateurs, professeurs, parents…) nous a appris
à développer… Il en est d'autres, c'est certain et le yoga, pour ne citer que
celui-ci, en fait partie – à condition qu'une certaine manière de le concevoir
ou de le vivre n'en fasse pas un obstacle.
Nous
l'avons vu : du monde dans sa totalité, nous ne connaissons bien souvent que
celui que nous projetons. Autant dire qu'il n'est pas très… enchanteur. Mais
s'il ne s'arrête pas là où nous le croyons, si, à l'image de certains pionniers
marchant en éclaireurs depuis des
milliers d'années, nous décidons "d'aller voir" ; si, arrêtés à la
porte d'accès, trop lourde à pousser, nous regardons par le trou de la serrure ; si
nous nous contentons au moins d'ajouter foi à l'incroyable, aux expériences de
ceux qui sont entrés, alors ce monde ne peut plus se limiter à l'enfer que nous
en faisons. Il devient au moins plus supportable et, peut-être même, aimable.
Nous
nous sentons "enfermés" mais
avons à notre portée des
"ouvertures". Elles sont d'accès facile, disent les sages, parce
qu'elles sont déjà en nous mais que nous n'avons pas appris à les voir… [7]
. Nous sommes comme cet ours de la chanson d'Higelin, qui tourne dans sa cage
alors que la porte est ouverte… Nous avons les moyens de sortir – ou, plus
justement, de nous rendre compte que nous sommes déjà à l'extérieur – sans
doute est-ce là justement la grande difficulté : comment enfoncer une porte
ouverte ?
Si
notre univers est tout entier constitué d'une énergie qui, comme le pensait Sri
Aurobindo, n'est rien d'autre que de la "conscience organisée", les perspectives à nous offertes sont
infinies… Un univers conscient ? Nous
en parlions au début de cet article, à propos de la matière – de sa nature.
Nous y voici ramenés. Un univers conscient… Vision de mystique, penseront les
timorés. C'est cependant ce vers quoi mènent aussi les réflexions implicites de
certains scientifiques quand elles ne sont pas exprimées ouvertement.
Où
serait l'incongruité ? Toute l'histoire de l'Evolution ne témoigne-t-elle pas
d'une "mise en ordre" du chaos ? L'absence de conscience ne peut
mener qu'au désordre. Pourquoi ne serions-nous pas "emportés par" et
"acteur de" la conscientisation progressive de la Manifestation ?
"Qu’est-ce
qu’un esprit ? C’est une conscience. Qu’est-ce que l’Esprit ? C’est la
Conscience cosmique. Qu’est-ce qu’une
conscience ? C’est tout domaine qui se connaît, se voit lui-même dans son unité
et dans ses détails subordonnés et qui peut dire virtuellement "je"
parce qu’il est présence à soi…
L’Esprit
ne trouve pas la Matière comme opposant, il la constitue, il en est l’étoffe
(stuff), la seule étoffe. La matière, les corps matériels ne sont que
l’apparence (pour un autre esprit) ou le sous-produit par effet de multiplicité
désordonnée. L’univers n’est fait que de formes conscientes d’elles-mêmes et
d’interaction de ses formes par information mutuelle. Car la conscience, c’est
la forme et l’information, mais à l’endroit non à l’envers, comme structure-objet-dans-une-autre-conscience.
L’univers est dans son ensemble et son unité, conscient de lui-même. Il n’est
pas fait de "choses", de "corps matériels". Ses énergies ne
sont pas "physiques". Ses informations ne sont pas aveugles, ou ne
sont aveugles que dans leur voyage entre deux "informés" [8]
Nos sens, notre esprit, le monde…
tout se connecte dans la Conscience. C'est en substance ce que déclare
également Edgar Morin : "Leibniz
avait formulé la première conception en boucle de la relation entre l'esprit et
les données fournies par les sens: rien n'est dans l'esprit qui n'ait été
auparavant dans les sens, si ce n'est l'esprit lui-même. Mais il faut aussi […]
réintroduire l'esprit dans le monde et le monde dans l'esprit, et énoncer
complémentairement : notre monde est enfermé dans notre esprit/cerveau, lequel
est enfermé dans notre être, lequel est enfermé dans notre monde." [9]
Penser
le monde c'est se penser - et inversement ; cela n'est pas nouveau. Se
percevoir comme élément d'une Conscience
cosmique plus vaste, ne l'est pas non plus. Ce qui, en revanche, ne peut que
nous saisir, c'est que cette pensée n'appartient plus au domaine de la poésie
ou du mythe et la science en expérimente, souvent sans le dire, la validité. La
mécanique quantique, en quelque sorte, nous remet à notre place et cette place
est nulle part mais aussi partout, ni maintenant, ni avant, ni après mais aussi
de toute éternité…
Force
nous est cependant de constater que les grands initiés savaient tout cela avant
même l'invention de la roue ainsi que les éveillés actuels – il en est de bien
vivants ! - Confronter deux types de "chercheurs", les scientifiques
et les mystiques, et constater que leurs expériences respectives se rejoignent
est finalement rassurant. Seulement il est difficile de ne pas regretter le
temps que notre monde a perdu. Perdu à ne pas avoir su écouter tous ceux qui,
depuis pourtant si longtemps, clament assez fort des vérités de ce type : "Ce qu'à longueur de temps je prends
pour le monde est une évocation imaginaire de monde, façonné à la hâte (en
vérité "du n'importe quoi" !) à partir de ce que mon intelligence, à
tort ou à raison, croit savoir sur le monde…" [10]
Mais aussi comme celle-ci – 5 lignes plus loin :
"…
L'illusion peut venir du Ciel, l'illusion
peut avoir je-Dieu comme source, et dans ce cas, elle doit être tenue pour
saine et réelle ; l'image-univers est alors unitaire, et la "saveur"
– univers, "ouverte" et non plus "fermée", aérienne
vibration de poésie pure et non plus remugle.
Appréhendée à un niveau plus profond et
plus subtil de l'intimité de nous-même, l'image-univers "divine" perd
son apparence de paysage et apparaît dans sa nature de symbole : elle devient
un texte que notre âme déchiffre ; et la "saveur"-univers est le sens
du texte."
Peut-être
est-ce Sri Aurobindo qui, parmi tous les chercheurs inspirés, a le plus
clairement et rationnellement formulé ce qu'est la matière et défini le rôle
qu'était appelé à jouer l'homme de l'avenir.
"De même que notre âme… découvre
dans l'apparente inconscience de Matière cette Force-consciente infinie,
constante, immobile, couvante, de même elle en vient à découvrir dans
l'apparente insensibilité de la Matière une Félicité consciente, infinie,
imperturbable, extatique, embrassant et se mettant à l'unisson avec elle. Cette
félicité est sa propre félicité, ce Moi est son propre Moi en tout […] En
chaque particule, atome, molécule, cellule de la Matière, vivent cachées et
oeuvrent inconnues toute l'omniscience de l'Eternel et toute l'omnipotence de
l'Infini […] Il est tout à fait vrai que les choses physiques ont en elle une
conscience qui sent et réagit […] La Matière… semble inconsciente et inanimée…
seulement parce que nous sommes incapables de percevoir la conscience en dehors
d'une certaine zone limitée, d'une gamme à laquelle nous avons accès […] Comme
la science moderne elle-même l'admet, la Matière n'est qu'énergie en action et,
comme nous le savons bien dans l'Inde, l'énergie est force de conscience en
action […] Dans la substance même de la Matière, la Vie existe à l'état
latent…"
Voilà
pour la matière. Quant à l'homme, être transitoire, il n'est qu'à une étape de
son évolution. Les paroles de Sri Aurobindo, sur lesquelles nous choisissons de
terminer ce long article, sont optimistes, non pas parce qu'elles nous
annoncent un proche paradis (qu'en ferions-nous ? la Terre était déjà un
paradis…), mais parce qu'elles semblent prolonger fort logiquement la réflexion
que nous avons menée : rien ne se passe comme nous le croyons et là où nous
écrivons le mot "fin", un autre spectacle se déroule et nous entraîne
vers une suite sans début et sans dénouement et pourtant vertigineuse, prise
dans cette évolution qui ne quitte jamais la spirale de la Vie dont le mouvement est à la fois en nous et hors de nous…
"L'âme n'est pas liés par la
formule de l'humanité mentale ; elle n'a pas commencé par là et ne se terminera
pas non plus par là ; elle a eu un passé pré-humain, et elle a devant elle un
avenir surhumain […] Au stade actuel d'évolution… l'homme est actuellement le
point culminant apparent, mais non le véritable sommet ultime, car l'homme est
lui-même un être transitoire, qui se trouve à un tournant du mouvement tout
entier […] De même que la plante contient en soi l'obscure possibilité de
l'animal conscient et que le mental animal est déjà agité de sentiments et mû
par des perceptions et des concepts rudimentaires qui fournissent une première
base à l'homme penseur, de même l'homme, l'être mental, est sublimé par la
tentative que fait l'Energie évolutive pour le transformer en homme spirituel,
en l'être pleinement conscient, où l'homme dépasse son premier moi matériel et
découvre son vrai moi et sa nature la plus haute […] Les remèdes mécaniques,
politiques, sociaux et autres que le mental essaie continuellement… n'ont
jamais réussi à rien résoudre et ne réussiront jamais. Les changements les plus
radicaux obtenus par ces moyens ne signifient rien, car les anciens maux réapparaissent
sous une forme nouvelle […] Les moyens que la Science a mis à notre disposition
écartent les dangers que soit renversée et détruite une civilisation caduque
[…] mais le péril qui nous menace, c'est que le barbare surgisse à nouveau en
nous-mêmes, en l'homme civilisé, et c'est cela que nous voyons tout autour de
nous. Et cela se produira fatalement s'il n'y a pas un idéal mental et moral
élevé et agissant qui dirige et soulève en nous l'homme vital et physique, s'il
n'y a pas d'idéal spirituel qui nous libère de nous-même et nous conduise en
notre être intérieur […]
Une nouvelle humanité, soulevée dans la
lumière [serait] capable d'une existence et d'une action spiritualisées,
ouverte à la direction d'une lumière de conscience de vérité, capable, même sur
le plan mental et dans son ordre propre, de quelque chose qui pourra être
appelé le commencement d'une vie divine." [11]
Difficile
de trouver une raison de vivre autre que celle-ci, consistant à chercher et
peut-être à trouver… une raison de vivre réellement
!
GD
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Les
lecteurs intéressés par un regard scientifique "ouvert" (donc non inscrit
dans le système clos de la science exclusive), pourront se tourner vers
quelques autres spécialistes que ceux déjà nommés, scientifiques concernés par
la spiritualité au sens large du terme (mais parfois aussi ouvertement chrétienne):
-
Libet et Lambert (neurologie)
-
Dambricourt-Malassé et Denton (biologie évolutionniste)
-
Trinh Xuan Thuan et Dyson, (astrophysique)
-
Connes et Penrose (mathématiques)
- Michael
Heller, Jacques Demaret avec des articles comme “Science et Sens”, “Science et
religion” “Science et Transcendance"
[1] Swâmi Vivekânanda, L'Homme
réel et l'Homme Apparent, conférence traduite
de l'anglais par J. Herbert, Union des Imprimeries, Frameries, 1936.
[2] Ce qu'ils qualifient d'"intuitions" sont
souvent des processus (accélérés) de raisonnement inductif-déductif, etc.
[3] "Vérité" est à comprendre dans le sens de
"vérité scientifique". A chacun cependant de réfléchir à ce qui, tout
au fond, motive la curiosité des chercheurs…
[4] Platon, Aristote, Newton, Leibnitz et beaucoup
d’autres n'établissaient pas de frontières entre sciences, philosophie,
métaphysique ou théologie. La séparation des genres n’existe que depuis le
XVIIe siècle. "Est-ce à dire que les
penseurs des siècles précédents étaient moins avancés ? Ou est-ce que cela
veut simplement dire que la “séparation des genres” est une mode qui provient
des démarches réductionnistes et qui sont apparues au XVIe siècle ? En
quoi la “non-séparation des genres” a-t-elle moins de potentialités à nous
amener vers la vérité que la démarche contraire ? Et si elle avait au
contraire plus de potentialités pour cela ?" (Jean Staune)
[5] Eckart
Tolle op. cité.
[6] Trouvé sur l'internet dans le site de l'Académie des
Sciences morales et politiques
[7] Cf. Satprem : "Nous
sommes les fils d'un monde nouveau dans le crépuscule de l'intellect et des
machines […] et nous frappons dans la nuit, nous ne savons pas la route, nous
ne savons même pas nos mots ni notre sens, mais nous cognons aux portes de
l'avenir, nous balbutions les paroles de l'autre homme, nous délivrons les
lumières qui bâtiront le monde de demain aussi sûrement que les anciennes
lueurs du singe ont bâti l'homme d'aujourd'hui." (Satprem, Sri Aurobindo
ou l'aventure de la conscience, éd. Buchet-Chastel.
[8] Raymond Ruyer, La
Gnose de Princeton, Livre de Poche.
[9] La Méthode, T. 3 (La connaissance de la connaissance)
[10] Stephen Jourdain, op. cité.
[11] Sri Aurobindo, Op. cité. Il s'agit d'un ouvrage
constitué d'extraits choisis par Jean Herbert, extraits tirés des nombreux
ouvrages de l'auteur.
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