Rencontre sur le Mékong

vendredi 18 janvier 2013

MECANIQUE QUANTIQUE ET TEXTES DE L'INDE (4)


Qu'est-ce que le "réel" ?Quand la science rejoint le yoga



Causalité

Matière. Temps. Espace. Reste la causalité. A priori tout processus physique, physiologique, psychologique… se développe selon le strict enchaînement de cause et d'effet. Le verre tombe : il se casse. J'insulte un passant : il réagit, etc.
En fait ce n'est pas si simple…
En effet : si je casse un verre… quelle est la véritable cause ? La fragilité de sa matière ? La loi de l'attraction ? Le poids de l'objet ? Ma maladresse ? La porte qui, en claquant, m'a fait peur et m'a fait desserrer les doigts ? Ma belle-mère qui m'a énervé ? Si, maintenant, ayant choisi une raison, je cherche à en connaître la cause, puis la cause de la cause de cette raison, etc. j'en arrive forcément à l'origine des espèces et à la formation du monde.
Qu'en conclure ? Qu'aucun phénomène ne peut être isolé d'une trame d'interconnexions. Qu'un événement résulte de milliers de causes et qu'il contient la totalité de la création.
Là encore, force nous est d'admettre que c'est nous, notre esprit, notre conscience qui fragmente, qui isole un tout mouvant et fluide, qui découpe tout en petits morceaux (d'espace, de temps, d'événements…)
Alan Watts (1915 – 1973) fait comprendre cela par une image parlante. Imaginons que nous regardions à travers la fente d'une palissade au moment où un serpent passe de l'autre côté. Admettons que j'ignore ce qu'est un serpent. A travers la fente je vois une tête, puis un corps, puis une queue. Si le serpent repasse dans l'autre sens, je verrai d'abord une tête, puis un corps puis une queue. Si j'appelle la tête et la queue des "événements", j'aurai tendance à croire que l'événement "tête" est la cause de l'événement "queue". Mais si la palissade disparaît et que je voie le serpent dans son intégralité, il serait absurde de dire que la tête du serpent est la cause de la queue, comme si le serpent commençait son existence par la queue, la poursuivait par son corps et l'achevait par la queue qui viendrait plus tard ! Quand le serpent sort de son œuf il forme déjà un ensemble inséparable tête, corps, queue. C'est exactement de la même manière que tous les événements sont un seul et même événement. Ce que nous percevons, quand nous parlons d'événements différents (cause-conséquence-cause- etc.) ce sont les différentes séquences d'un phénomène continu (maillons d'une même chaîne)
A partir du moment où, dans ce réel qui diffère de notre monde quotidien, le concept d'espace n'a plus de sens non plus que celui de temps ni de vitesse ; à partir du moment où le temps ne s'"écoule" plus, qu'il n'y a donc ni passé ni présent ni futur, il n'y a pas de causalité possible. Tout s'inscrit dans l'instantanéité, la synchronicité. Ce réel insaisissable se projette parfois dans notre quotidien et il peut se faire que nous en saisissions "intuitivement" le fonctionnement lors d'expériences mentales inattendues mais en même temps si "naturelles" qu'elles nous laissent confondus d'étonnement et nous font nous exclamer : "C'est donc cela ?"

Si, à la réalité que nous percevons ordinairement sont superposées d'autres "couches" tout aussi réelles mais moins à notre portée, peut-on voyager des unes aux autres ? On a beaucoup écrit (et imaginé sous forme de romans ou de films) sur ce sujet… Et qui n'a pas connaissance de ce qu'on appelle le "corps astral" permettant à tout un chacun de voyager (en état de sommeil ou fort consciemment) dans le monde de l'"astral" ? Nous ne développerons pas cet aspect mais marquerons un court arrêt sur le phénomène (très New Age !) du "chanelling". On peut en effet rattacher à ces interpénétrations de mondes parallèles le "chanelling" et ses manifestations, en particulier celles vécues durant des années par Jane Roberts, accueillant en son propre esprit Seth, un personnage étonnant et fort renseigné sur la vie communément dite de l'"au-delà". Quoi qu'on pense de ce type de manifestation, les paroles articulées par Mary en transe et notées par son mari, aussi stupéfiantes soient-elles parfois, sont d'une intelligence réelle et ne contredisent en rien les pistes découvertes ou actuellement explorées par la mécanique quantique[1]. Nous nous contenterons de citer ce seul passage : "La question "Où tout cela [= la mort] se passe-t-il ?" n'a fondamentalement aucun sens. Elle résulte de nos erreurs d'interprétation concernant la nature de la réalité. Il n'existe pas d'endroit unique, de lieu particulier. Ces environnements existent sans que vous les perceviez, au milieu du monde physique que vous connaissez. Vos mécanismes perceptifs ne vous permettent tout simplement pas de vous connecter avec leur fréquence. Vous réagissez à un champ très spécifique et très limité. Ainsi, comme je l'ai dit, d'autres réalités coexistent avec la vôtre […] [2] Vos mécanismes perceptifs insistent, par exemple, sur le fait que les objets sont solides ; ils insistent de même sur le fait qu'une chose comme l'espace existe. Ce que vos sens vous disent sur la matière est entièrement faux […] Dans les expériences de sortie du corps à partir de l'état vivant, on rencontre, en termes d'espaces, largement les mêmes problèmes qu'après la mort […] Ainsi, après la mort, se déplacer dans l'espace ne prend pas de temps. L'espace n'existe pas en termes de distance. C'est une illusion. Il y a des barrières, mais elles sont mentales ou psychiques. Il y a des intensités d'expériences qui, dans votre réalité, sont interprétées comme des distances en kilomètres."
Ces paroles, pour surprenantes qu'elles puissent paraître, ne font que confirmer les assertions multiples formulées par les chercheurs d'absolu les plus fiables. Ecoutons l'un d'eux : "Sur le plan physique subtil, il ya non pas une, mais beaucoup de strates de conscience, et chacune se meut dans son être propre, c'est-à-dire dans son propre espace… Chaque plan subtil est un conglomérat ou série de mondes […] En dépit de ces rapports avec d'autres plans au-dessus et au-dessous de lui, chaque plan est néanmoins un monde en soi, avec ses propres mouvements, forces, êtres, types, formes, qui existent comme si c'était pour eux, et pour lui, selon ses propres lois, pour sa propre manifestation, sans paraître se préoccuper des autres membres de la grande série […] Les mondes de l'au-delà existent […] L'homme peut prendre conscience de ces [autres] plans [d'existence], peut même, dans certains états, projeter en eux son être conscient, en partie pendant la vie, probablement par conséquent avec une entière plénitude après la dissolution du corps." [3] 

Notre expérience de l'univers, nos définitions de la "connaissance", ce que nous savons de la "réalité" sont donc remis en cause par le principe de la relativité. Ce dernier nous interdit de concevoir des systèmes fermés, séparés les uns des autres et objectivement analysables. Nos expériences de la réalité sont soumises à nos limitations individuelles (tempérament, culture, aptitudes…) Toutes les vérités deviennent relatives. Par exemple, la conception de ce qu'on appelle la "vie" ne peut que varier, suivant qu'elle est élaborée par un chimiste, un psychologue, un biologiste, un philosophe, etc. Aucune conclusion, aucun résultat, aucune vérité en lien avec l'univers perçu par nos cinq sens ne peut être immuable. Tout s'inscrit sous la loi du changement. De ce point de vue, les métaphysiques et les sciences sont logées à la même enseigne : les doctrines et les lois, les finalités se modifient sans cesse et varient selon les lieux, les époques, les usages. Malgré toutes les tentatives, la vérité immuable, définitive, demeure hors de notre atteinte. De cette prise de conscience angoissante, nous l'avons vu, naquit cependant une vérité répondant à ce désir d'universalité : tout est question de point de vue. Aucune observation ne peut être identique pour tous, toujours et partout. Cette vérité a pris sa source dans le champ de la philosophie, bien avant notre ère et a gagné celui des sciences dites exactes.
Cela ne signifie pas pour autant qu'une conception nouvelle oblitère la précédente : on l'a dit, la relativité ne disqualifie pas Newton ni les résultats obtenus par lui ; simplement ils ne peuvent être considérés comme universellement valables dans tous les domaines d'application. Cela ne peut que nous inciter à plus de lucidité et d'ouverture sur tout ce qui constitue le monde.

Serait-ce dire que "tout se vaut" ? Non pas. Si l'on adopte un point de vue "élevé" (ou "profond", c'est identique), scientifiquement parlant ou philosophiquement, si l'on va au-delà des apparences immédiates et des idées convenues (les idées de "deuxième main" dirait Krisnamurti), on approche à coup sûr la vérité. Peut-on dès lors échapper à la relativité ? Tout dépend de la démarche. Si elle reste scientifique elle est vouée à l'échec. Si elle est d'un autre ordre, si elle emprunte les voies ouvertes et explorées par les sages, les éveillés, alors elle mène à l'ultime compréhension de l'ordre dans lequel nous existons. Le regard des mystiques n'est plus troublé par ce qui voile le nôtre. Leur vision n'est pas celle de l'intellect. Le savant le plus instruit et intelligent se heurte à des écrans opaques, transparents aux yeux du libéré-vivant. L'univers dans lequel évolue la science, aussi sophistiqué soit-il, est primaire, grossier, même s'il s'efforce de dépasser les limitations des cinq sens. Celui de l'éveillé est holistique, juste, car libéré de toutes les limitations de la subjectivité. Il n'est plus anthropocentrique, ni égocentré ; il côtoie l'absolu. Le "libéré-vivant" existe encore dans le monde ordinaire. Simplement, il ne tombe plus dans le piège de maya, des apparences. Stephen Jourdain regarde la télévision en fumant un cigarillo, mais il n'a plus grand-chose en commun avec M. Dupont regardant la télévision en fumant un cigarillo… Voir ce qui est ne l'empêche pas de regarder ce qu'il sait n'être qu'apparences. Simplement (!) il ne se laisse pas abuser, il a un accès direct et constant à ce qui EST. Ecoutons-le [4] :
"La personnalité d'un lieu – chambre à coucher ou salon, […] perspective familière d'une rue, d'un boulevard, jardin public, sentier, pâture, clairière – n'a pas d'existence sensorielle, elle n'a d'existence que spirituelle ; c'est une IMPRESSION.
La physionomie humaine, en particulier celle de l'être aimé, n'a pas d'existence sensorielle, elle n'a d'existence que spirituelle ; c'est une IMPRESSION […]
Que resterait-il d'une ville moins le décor urbain ? […]
Ce que nous nommons, sans nous poser de questions, donnée visuelle, r-é-a-l-i-t-é, est, à hauteur de quatre-vingt-dix-huit pour cent (personnellement j'inclinerais à dire cent pour cent), composé d'
IMPRESSIONS.
[…] c'est bien un continent entier de l'âme humaine, comme vous le disiez, qui a disparu, sous l'effet du tour de passe-passe.
Question : Tenter de retrouver le continent confisqué, escamoté, ce serait une voie vers l'"éveil" ?
Steve : Oh que oui !
[…]
Question : Un premier pas dans cette direction, cela consisterait à faire… quoi, au juste ?
Steve : […] Vous pénétrer de l'idée que tout objet – stylo à bille, miroir, pile de draps fraîchement repassés et soigneusement pliés, chaise longue, auvent [suit une énumération fort drôle à la Steve Jourdain, où l'on trouve même un "mégot mal écrasé agonisant sur le bitume"] – crée en vous secrètement une impression spécifique, y induit une sorte de sentiment très fin, très intime, et comme diffus, inétiquetté et inétiquettable.
Puis passer à l'action. Tenter sans jamais vous lasser, parce que cette recherche est a-m-u-s-a-n-t-e, d'exhumer l'IMPRESSION, d'en prendre conscience."

Les physiciens (et autres hommes ou femmes de sciences) les plus avancés sont sans aucun doute ceux (celles) qui admettent les limites de leur propres moyens d'investigation et prêtent de l'attention à tous ces êtres qui ont emprunté le chemin plus rapide – mais plus escarpé – de la Réalisation. Ce dernier terme dit bien ce qu'il dit : l'être "réalisé" jouit d'un privilège rare : il a accès au Réel, au monde tel qu'il est, alors que le non réalisé le voit tel qu'il paraît. Le "Réalisé" ne rêve plus le monde, il est "éveillé". Il participe néanmoins à ce monde mais il n'en est plus la dupe. Il n'est plus motivé par les appétits habituels (pouvoir, etc.), il n'est plus freiné par les peurs. Sans inhibitions, sans voracité, il se contente d'Être et, ce faisant, il est dans la félicité (ânanda) qui est au-delà du bonheur. Rappelons que la science (et la technique qui prend le relai), quand ce n'est pas Hiroshima, ne peut nous apporter, tout au plus, que le confort.



[1] Les livres de Jane Roberts sont maintenant traduits en français et édités par Mama Editions.
[2] Nous verrons que Vivekânanda écrit : " Il peut y avoir des millions d'êtres qui sont sur des plans d'existence différents. Ils ne nous verront jamais et nous ne les verront pas non plus : nous ne voyons que ceux qui sont dans le même état d'esprit que nous et sur le même plan que nous […] Si l'état de vibration qu'on appelle "vibration-homme" était changé, on ne verrait plus d'homes ici : tout l'"univers-homme" s'évanouirait et à sa place se présenterait à nous un autre paysage […] Tout cela ne constituerait que des vues différentes d'un même univers."
[3] Sri Aurobindo, Métaphysique et psychologie, éd. Albin Michel, Spiritualités vivantes.
[4] Stephen Jourdain MOI l'évidence perdue, éd. Accarias, L'originel, 2002.

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