Qu'est-ce que le "réel" ?Quand la science rejoint le yoga
Causalité
Matière. Temps. Espace. Reste la causalité. A priori
tout processus physique, physiologique, psychologique… se développe selon le
strict enchaînement de cause et d'effet. Le verre tombe : il se casse.
J'insulte un passant : il réagit, etc.
En fait ce n'est pas si simple…
En effet : si je casse un verre… quelle est la
véritable cause ? La fragilité de sa matière ? La loi de l'attraction ? Le
poids de l'objet ? Ma maladresse ? La porte qui, en claquant, m'a fait peur et
m'a fait desserrer les doigts ? Ma belle-mère qui m'a énervé ? Si, maintenant,
ayant choisi une raison, je cherche à en connaître la cause, puis la cause de
la cause de cette raison, etc. j'en arrive forcément à l'origine des espèces et
à la formation du monde.
Qu'en conclure ? Qu'aucun phénomène ne peut être
isolé d'une trame d'interconnexions. Qu'un événement résulte de milliers de
causes et qu'il contient la totalité de la création.
Là encore, force nous est d'admettre que c'est nous,
notre esprit, notre conscience qui fragmente, qui isole un tout mouvant et
fluide, qui découpe tout en petits morceaux (d'espace, de temps, d'événements…)
Alan Watts (1915 – 1973) fait comprendre cela par
une image parlante. Imaginons que nous regardions à travers la fente d'une
palissade au moment où un serpent passe de l'autre côté. Admettons que j'ignore
ce qu'est un serpent. A travers la fente je vois une tête, puis un corps, puis
une queue. Si le serpent repasse dans l'autre sens, je verrai d'abord une tête,
puis un corps puis une queue. Si j'appelle la tête et la queue des
"événements", j'aurai tendance à croire que l'événement
"tête" est la cause de l'événement "queue". Mais si la
palissade disparaît et que je voie le serpent dans son intégralité, il serait
absurde de dire que la tête du serpent est la cause de la queue, comme si le
serpent commençait son existence par la queue, la poursuivait par son corps et
l'achevait par la queue qui viendrait plus tard ! Quand le serpent sort de son
œuf il forme déjà un ensemble inséparable tête, corps, queue. C'est exactement
de la même manière que tous les événements sont un seul et même événement. Ce
que nous percevons, quand nous parlons d'événements différents
(cause-conséquence-cause- etc.) ce sont les différentes séquences d'un
phénomène continu (maillons d'une même chaîne)
A partir du
moment où, dans ce réel qui diffère de notre monde quotidien, le concept
d'espace n'a plus de sens non plus que celui de temps ni de vitesse ; à partir
du moment où le temps ne s'"écoule" plus, qu'il n'y a donc ni passé
ni présent ni futur, il n'y a pas de causalité possible. Tout s'inscrit dans
l'instantanéité, la synchronicité. Ce réel insaisissable se projette parfois dans
notre quotidien et il peut se faire que nous en saisissions
"intuitivement" le fonctionnement lors d'expériences mentales
inattendues mais en même temps si "naturelles" qu'elles nous laissent
confondus d'étonnement et nous font nous exclamer : "C'est donc cela
?"
Si, à la réalité que nous percevons ordinairement
sont superposées d'autres "couches" tout aussi réelles mais moins à
notre portée, peut-on voyager des unes aux autres ? On a beaucoup écrit (et imaginé
sous forme de romans ou de films) sur ce sujet… Et qui n'a pas connaissance de
ce qu'on appelle le "corps astral" permettant à tout un chacun de
voyager (en état de sommeil ou fort consciemment) dans le monde de
l'"astral" ? Nous ne développerons pas cet aspect mais marquerons un
court arrêt sur le phénomène (très New
Age !) du "chanelling".
On peut en effet rattacher à ces interpénétrations de mondes parallèles le
"chanelling" et ses manifestations, en particulier celles vécues
durant des années par Jane Roberts, accueillant en son propre esprit Seth, un
personnage étonnant et fort renseigné sur la vie communément dite de
l'"au-delà". Quoi qu'on pense de ce type de manifestation, les
paroles articulées par Mary en transe et notées par son mari, aussi
stupéfiantes soient-elles parfois, sont d'une intelligence réelle et ne
contredisent en rien les pistes découvertes ou actuellement explorées par la
mécanique quantique[1]. Nous
nous contenterons de citer ce seul passage : "La question "Où tout cela [= la mort] se passe-t-il
?" n'a fondamentalement aucun sens. Elle résulte de nos erreurs
d'interprétation concernant la nature de la réalité. Il n'existe pas d'endroit
unique, de lieu particulier. Ces environnements existent sans que vous les
perceviez, au milieu du monde physique que vous connaissez. Vos mécanismes
perceptifs ne vous permettent tout simplement pas de vous connecter avec leur
fréquence. Vous réagissez à un champ très spécifique et très limité. Ainsi,
comme je l'ai dit, d'autres réalités coexistent avec la vôtre […] [2]
Vos mécanismes perceptifs insistent, par exemple, sur le fait que les objets
sont solides ; ils insistent de même sur le fait qu'une chose comme l'espace
existe. Ce que vos sens vous disent sur la matière est entièrement faux […]
Dans les expériences de sortie du corps à partir de l'état vivant, on
rencontre, en termes d'espaces, largement les mêmes problèmes qu'après la mort
[…] Ainsi, après la mort, se déplacer dans l'espace ne prend pas de temps.
L'espace n'existe pas en termes de distance. C'est une illusion. Il y a des
barrières, mais elles sont mentales ou psychiques. Il y a des intensités
d'expériences qui, dans votre réalité, sont interprétées comme des distances en
kilomètres."
Ces paroles, pour surprenantes
qu'elles puissent paraître, ne font que confirmer les assertions multiples
formulées par les chercheurs d'absolu les plus fiables. Ecoutons l'un d'eux : "Sur le plan physique subtil, il ya non
pas une, mais beaucoup de strates de conscience, et chacune se meut dans son
être propre, c'est-à-dire dans son propre espace… Chaque plan subtil est un
conglomérat ou série de mondes […] En dépit de ces rapports avec d'autres plans
au-dessus et au-dessous de lui, chaque plan est néanmoins un monde en soi, avec
ses propres mouvements, forces, êtres, types, formes, qui existent comme si
c'était pour eux, et pour lui, selon ses propres lois, pour sa propre
manifestation, sans paraître se préoccuper des autres membres de la grande
série […] Les mondes de l'au-delà existent […] L'homme peut prendre conscience
de ces [autres] plans [d'existence], peut même, dans certains états, projeter
en eux son être conscient, en partie pendant la vie, probablement par
conséquent avec une entière plénitude après la dissolution du corps." [3]
Notre expérience de l'univers,
nos définitions de la "connaissance", ce que nous savons de la
"réalité" sont donc remis en cause par le principe de la relativité.
Ce dernier nous interdit de concevoir des systèmes fermés, séparés les uns des
autres et objectivement analysables. Nos expériences de la réalité sont
soumises à nos limitations individuelles (tempérament, culture, aptitudes…)
Toutes les vérités deviennent relatives. Par exemple, la conception de ce qu'on
appelle la "vie" ne peut que varier, suivant qu'elle est élaborée par
un chimiste, un psychologue, un biologiste, un philosophe, etc. Aucune
conclusion, aucun résultat, aucune vérité en lien avec l'univers perçu par nos
cinq sens ne peut être immuable. Tout s'inscrit sous la loi du changement. De
ce point de vue, les métaphysiques et les sciences sont logées à la même
enseigne : les doctrines et les lois, les finalités se modifient sans cesse et
varient selon les lieux, les époques, les usages. Malgré toutes les tentatives,
la vérité immuable, définitive, demeure hors de notre atteinte. De cette prise
de conscience angoissante, nous l'avons vu, naquit cependant une vérité
répondant à ce désir d'universalité : tout est question de point de vue. Aucune
observation ne peut être identique pour tous, toujours et partout. Cette vérité
a pris sa source dans le champ de la philosophie, bien avant notre ère et a
gagné celui des sciences dites exactes.
Cela ne signifie pas pour
autant qu'une conception nouvelle oblitère la précédente : on l'a dit, la
relativité ne disqualifie pas Newton ni les résultats obtenus par lui ;
simplement ils ne peuvent être considérés comme universellement valables dans
tous les domaines d'application. Cela ne peut que nous inciter à plus de
lucidité et d'ouverture sur tout ce qui constitue le monde.
Serait-ce dire que "tout
se vaut" ? Non pas. Si l'on adopte un point de vue "élevé" (ou
"profond", c'est identique), scientifiquement parlant ou
philosophiquement, si l'on va au-delà des apparences immédiates et des idées
convenues (les idées de "deuxième
main" dirait Krisnamurti), on approche à coup sûr la vérité. Peut-on dès
lors échapper à la relativité ? Tout dépend de la démarche. Si elle reste scientifique
elle est vouée à l'échec. Si elle est d'un autre ordre, si elle emprunte les
voies ouvertes et explorées par les sages, les éveillés, alors elle mène à
l'ultime compréhension de l'ordre dans lequel nous existons. Le regard des
mystiques n'est plus troublé par ce qui voile le nôtre. Leur vision n'est pas
celle de l'intellect. Le savant le plus instruit et intelligent se heurte à des
écrans opaques, transparents aux yeux du libéré-vivant. L'univers dans lequel
évolue la science, aussi sophistiqué soit-il, est primaire, grossier, même s'il
s'efforce de dépasser les limitations des cinq sens. Celui de l'éveillé est holistique,
juste, car libéré de toutes les limitations de la subjectivité. Il n'est plus
anthropocentrique, ni égocentré ; il côtoie l'absolu. Le
"libéré-vivant" existe encore dans le monde ordinaire. Simplement, il
ne tombe plus dans le piège de maya,
des apparences. Stephen Jourdain regarde la télévision en fumant un cigarillo,
mais il n'a plus grand-chose en commun avec M. Dupont regardant la télévision
en fumant un cigarillo… Voir ce qui est ne
l'empêche pas de regarder ce qu'il sait n'être qu'apparences. Simplement (!) il
ne se laisse pas abuser, il a un accès direct et constant à ce qui EST.
Ecoutons-le [4]
:
"La
personnalité d'un lieu – chambre à coucher ou salon, […] perspective familière
d'une rue, d'un boulevard, jardin public, sentier, pâture, clairière – n'a pas
d'existence sensorielle, elle n'a d'existence que spirituelle ; c'est une
IMPRESSION.
La
physionomie humaine, en particulier celle de l'être aimé, n'a pas d'existence
sensorielle, elle n'a d'existence que spirituelle ; c'est une IMPRESSION […]
Que
resterait-il d'une ville moins le décor urbain ? […]
Ce
que nous nommons, sans nous poser de questions, donnée visuelle, r-é-a-l-i-t-é,
est, à hauteur de quatre-vingt-dix-huit pour cent (personnellement
j'inclinerais à dire cent pour cent), composé d'
IMPRESSIONS.
[…]
c'est bien un continent entier de l'âme humaine, comme vous le disiez, qui a
disparu, sous l'effet du tour de passe-passe.
Question
: Tenter de retrouver le continent confisqué, escamoté, ce serait une voie vers
l'"éveil" ?
Steve
: Oh que oui !
[…]
Question
: Un premier pas dans cette direction, cela consisterait à faire… quoi, au
juste ?
Steve
: […] Vous pénétrer de l'idée que tout objet – stylo à bille, miroir, pile de
draps fraîchement repassés et soigneusement pliés, chaise longue, auvent [suit une
énumération fort drôle à la Steve Jourdain, où l'on trouve même un "mégot mal écrasé agonisant sur le bitume"]
– crée en vous secrètement une impression spécifique, y induit une sorte de
sentiment très fin, très intime, et comme diffus, inétiquetté et
inétiquettable.
Puis
passer à l'action. Tenter sans jamais vous lasser, parce que cette recherche
est a-m-u-s-a-n-t-e, d'exhumer l'IMPRESSION, d'en prendre conscience."
[1] Les livres de Jane Roberts sont maintenant traduits en
français et édités par Mama Editions.
[2] Nous verrons que Vivekânanda écrit : " Il peut y avoir des millions d'êtres qui
sont sur des plans d'existence différents. Ils ne nous verront jamais et nous
ne les verront pas non plus : nous ne voyons que ceux qui sont dans le même
état d'esprit que nous et sur le même plan que nous […] Si l'état de vibration
qu'on appelle "vibration-homme" était changé, on ne verrait plus
d'homes ici : tout l'"univers-homme" s'évanouirait et à sa place se
présenterait à nous un autre paysage […] Tout cela ne constituerait que des
vues différentes d'un même univers."
[3] Sri Aurobindo, Métaphysique
et psychologie, éd. Albin Michel, Spiritualités vivantes.
[4] Stephen Jourdain MOI
l'évidence perdue, éd. Accarias, L'originel, 2002.
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