L'amour est-il condamné à toujours décevoir ?
La Bhagavad-Gîta attribue à l'amour une dimension pouvant faire de lui un tremplin vers l'absolu.
« Ceux qui, M’abandonnant toutes leurs actions et entièrement dévoués à
Moi M’adorent, méditant sur Moi en un yoga sans défaillance, ceux qui fixent
sur Moi leur conscience entière (…) rapidement Je les délivre de l’océan de
l’existence enchaînée à la mort » (XII, 6-7) Ce verset assure bien la
transition entre le Karma-Yoga et le Bhakti-Yoga : il convient d’offrir
les actions au Maître des actions par amour pour lui. L’image revient souvent
de l’amant tout entier dévoué, du dévot qui voit en toute créature le
Suprême et n’agit plus que pour lui : « faisant
toutes les actions pour l’amour de Moi, tu atteindras la perfection. » (XII,
10).
« Emplis de Moi ta pensée, deviens Mon amant et Mon adorateur,
sacrifie à Moi, sois prosterné devant Moi, à Moi tu viendras, c’est l’assurance
et la promesse que Je te fais, car tu M’es cher. » (XVIII, 65)
« Bien plus chers Me sont ces dévots qui font de Moi (= le
Purushottama) leur but unique suprême..." » (XII, 20)
L’être qui se donne ainsi tout
entier à l’adoration du Divin ne désire plus rien d’autre. Il se débarrasse de tout
égoïsme, aime la création entière, se situe dans une équanimité que rien ne
peut rompre : « Celui qui ne
désire rien, qui est pur, habile en tous ses actes, indifférent à tout ce qui
vient, qui n’est ni peiné ni affligé par aucun résultat, aucun événement (…)
celui-là, mon dévot, M’est cher. »
Le résultat – la délivrance – est
au bout de cet abandon énergique : « Celui-là
aussi qui M’aime et s’efforce vers Moi avec une adoration, un amour sans
défaillance, il passe au-delà des trois gunas, et lui aussi est prêt à devenir
le Brahman. » (XIV, 26)
Se donner ainsi tout entier au Divin suppose-t-il qu’on
abandonne tout autre « amour » ?
En Occident un
mort « rend l’âme » : c’est dire qu’il est un corps et qu’il a une âme (qu’il peut donc
« rendre » en mourant). Dans le contexte hindouiste (mais ce n’est
pas le seul), l’homme « abandonne son corps » ; c’est dire qu’il
a un corps mais qu’il est avant tout une âme. Nous sommes dans deux
conceptions totalement différentes. Pour l’Occident, le corps, après avoir été
honni des siècles durant, est ce qu’il convient de chérir avant tout. Même si
nous ne tombons pas dans cette forme d’idolâtrie, notre existence est organisée
d’abord pour satisfaire nos 5 sens : tout, autour de nous, est une invite
à plus de confort (que la publicité baptise habilement « bonheur ») à
plus, non pas de « bien-être », mais de « beaucoup-avoir ».
Si le but de la vie était la vie
de l’âme, comme c’est encore le cas en Inde, la question ci-dessus paraîtrait
moins provocante, voire monstrueuse. Pour un hindouiste fervent, la vie
terrestre n’est pas un but en soi mais un moyen par lequel nous nous préparons
à la « vraie Vie ». Qui veut la fin veut les moyens : il
convient alors de s’éloigner des tentations grossières que sont toutes les
jouissances (même et surtout les plus raffinées) pour accéder à la seule adoration qui ne soit
pas dégradante, celle du Seigneur.
On retrouve en fait cette idée
dans le Christianisme, plus exactement dans l’Imitation de Jésus-Christ (III,3) où il est dit que « le chrétien considère toute chose comme des
excréments ». La proximité avec la tradition indienne est
évidente : « Cet amour ne peut
être ramené à aucun intérêt en ce monde » (Nârada bahkti sutras).
Dans son Traité de l’amour de Dieu, St François de Sales prononce des
paroles qui ne seraient pas déplacées dans la BG : « Le cœur indifférent est comme une boule de
cire entre les mains de son Dieu[1]. »
et, plus avant : « Comme la
mort est si forte qu’elle sépare l’âme du corps, aussi l’amour sacré, parvenu jusques
au degré du zèle, divise et éloigne de toutes autres affections et l’épure de
tout mélange ». Sa
définition du zèle n’est pas sans
rappeler l’exaltation mystique d’un shrî Râmakrishna[2] :
« Quand l’amour parfait est ardent
et qu’il est parvenu jusqu’ à vouloir ôter, éloigner et divertir ce qui est
opposé à la chose aimée, on l’appelle zèle »
Et nous ? Quelle attitude
pouvons-nous adopter si nous n’avons pas encore pénétré cette région des hauts
sommets ? Pour rester dans le cadre occidental, écoutons la voix du
philosophe Pascal. Le conseil s’adresse à ceux qui n’ont pas encore en eux la
flamme vive de la dévotion mais nourrissent tout de même l’idée d’un
départ : « Il faut que
l’extérieur soit joint à l’intérieur pour obtenir de Dieu ; c'est-à-dire que
l’on se mette à genoux, prie des lèvres, etc. afin que l’homme orgueilleux, qui
n’a voulu se soumettre à Dieu, soit maintenant soumis à la créature. » L’ « extérieur joint à l’intérieur » n’est
pas sans rappeler le rôle que peut jouer l’attitude physique (l’asâna) sur le plan mental, à savoir
une mise en harmonie du corps avec l’âme qui ne peut que favoriser la
« jonction » (yoga )
avec le Divin (Ishvara).
Traduisons en plus clair :
si nous ne sommes pas capables de dévotion, faisons les gestes. Le reste
viendra ensuite… Et ne rejetons pas ceux qui nous entourent sous prétexte que
nous ne voulons aimer que Dieu ! au contraire, aimons-les, mais pas
seulement comme des créatures de chair : c’est d’abord Dieu qu’il faut
aimer en eux…
Pour en finir (temporairement !)
avec cette question, il ne s’agit donc pas de laisser choir son épouse, ses
enfants, sa maîtresse, parce qu’on a
choisi le Divin. Il s’agit d’aimer le Divin en eux. Ce n’est certainement pas
une démarche plus aisée que l’abandon physique, le départ pour l’Inde ou
l’ashram (souvent l’ashram-refuge…) Abandonner l’amour, oui, mais cet amour qui
n’a d’amour que le nom et dont l’homonymie dissimule – tellement mal la plupart
du temps – la volonté de possession, le
culte de l’ego et le désir de reconnaissance. En un mot, remplacer l’amour par
l’Amour. Tous ceux qui essaient savent à quel point ce bhakti-yoga n’est pas
facile.
Le bhakti-yoga ne risque-t-il pas de dégénérer en fanatisme ?
Cela est évident : dans les
années 1936, Swâmi Vivekânanda prévient : « Les bandes de fanatiques dans l’hindouisme, l’islamisme, la chrétienté,
ont toujours été recrutées presque exclusivement parmi les adorateurs qui sont
encore sur les plans inférieurs de la bhakti. » Cette attitude est
hélas encore d’actualité et c’est moins l’amour du prochain que la haine du lointain (= le différent) qui
rassemble certains exaltés, ceux qui ont perdu toute faculté de clairvoyance.
Car la haine rassemble peut-être plus encore que l’amour mais de façon plus
fragile aussi.
Cependant, précise le même sage,
« ce danger n’existe qu’à l’étape
préparatoire (gaunî). Lorsque la bhakti a mûri, lorsqu’elle est passée à ce
degré qu’on appelle suprême (parâ), il n’y a plus à craindre aucune de ces
hideuses manifestations de fanatisme ; l’âme qui est envahie par cette
forme supérieure de bhakti est trop prêt du Dieu d’Amour pour contribuer à
répandre la haine. » (Les Yogas
pratiques, p.140). Voilà qui éclaircit bien la question.
Le bhakti-yogi est souvent un adepte des rites. Qu’en penser ?
Qui a déjà assisté à certaines puja ou aux danses des Bauls peut à
juste titre s’inquiéter : les adeptes sont dans un état de transe plus ou
moins profonde. Cet état peut d’ailleurs caractériser celui dans lequel se
plongent certains charismatiques actuels. Aussitôt notre esprit cartésien
juge : comment peut-on perdre ainsi la tête ? Se laisser aller à ces
attitudes peu respectueuses ( ?) des lieux et d’autrui ? N’y a-t-il
pas quelque chose d’indécent, voire de bestial de se laisser aller de la
sorte ? Comment peut-on prier
ainsi ? la prière n’est-elle pas d’abord recueillement, silence ?
Nous ne rappellerons pas que depuis la plus hautes Antiquité « sortir de
soi », au besoin en confiant à certaines substances le coup de pouce
nécessaire, était le moyen d’être « plus que soi » ; laisser
entrer le Divin en soi suppose (fort logiquement d’ailleurs) qu’il faut quitter
l’état ordinaire d’humain. L’état dit de folie[3]
fut respectée (elle l’est encore dans certains pays) pour cette raison.
Il ne s’agit pas ici de prôner un
quelconque recours aux substances plus ou moins naturelles pour atteindre des
états de « surconscience », mais d’en venir à ce constat : le
but d’un rituel ou d’une cérémonie est assez semblable : « aider l’âme dans sa course en avant »
(Swâmi Vivekânanda). Nous rejoignons les « gestes » dont parle Pascal
et qui, tout extérieurs qu’ils soient, aident à « aller vers[4] ».
De ce point de vue gardons-nous de considérer avec une certaine condescendance
les dévots qui se répandent en inclinaisons, génuflexions, gesticulations,
prosternations… Notre goût de la sobriété et de l’économie des moyens est
culturel : il peut nous rendre agaçante cette manière d’être toute
orientale (et méditerranéenne aussi)… c’est à tort.
L’adoration des images (Shiva,
Kâlî, Krishna, Jésus, etc.) – si celles-ci ne sont qu’un support (pratimâ) aidant l’esprit à se centrer –
n’est jamais négative, mais « seule
l’adoration d’Ishvara est bhakti » (Swâmi Vivekânanda).
D’ailleurs, à cette bhakti
qualifiée de « préparatoire » (rites, cultes, répétition d’un mantra)
fait suite une bhakti suprême (parâbhakti) : c’est alors la
renonciation totale, conquête de la liberté. Certains signes indiquent au
bhakta qu’il est sur la bonne voie : c’est la souffrance due à l’absence
du Bien Aimé, l’impatience d’arriver à Lui. Mais lorsque la fusion a lieu,
tout, aux yeux du dévot, est devenu sacré. Il a atteint la Connaissance suprême
et, comme disent les textes, l’Amour, l’Amant, l’Aimé ne font plus qu’un. Plus
n’est alors besoin de ces « gestes », de ces mise en condition.
Râmakrishna dit cela de façon
imagée : « Un échafaudage est
indispensable pour bâtir une maison, mais plus personne n’en sent la nécessité
lorsque le bâtiment est terminé. » (op. cit. p.161). Ou bien
encore : « L’huître qui
contient la perle précieuse a peu de valeur en elle-même, mais elle est
indispensable au développement de la perle. La coquille ne sera d’aucune
utilité à l’homme qui a obtenu la perle. De même rites et cérémonies ne
pourront être nécessaires à l’homme qui a trouvé l’ultime vérité :
Dieu » (p.157)
Le bhakti-yoga n’est-il pas plutôt destiné aux naïfs ?
N’est-il
pas naïf celui qui croit trouver Dieu dans une doctrine ? Celui – ou celle
– qui passe de la numérologie à la chiromancie et de ceci à cela au rythme
d’une croyance par mois ?
Et celui qui s’empêtre dans des
lectures accumulées et qui pense dans le sens du dernier livre lu comme penche
le roseau dans le sens du dernier coup de vent, n’est-il pas naïf ? Etre
religieux, ce n’est pas être savant. Ce n’est pas non plus être ignorant. C’est
être de plus en plus soi-même pour réussir à être. C’est expérimenter Dieu. Pas
réfléchir sur Lui et dire « J’ai compris. Dieu est ceci et cela… ».
Il est beaucoup de savants très naïfs. Aussi beaucoup de philosophes mondains –
au « cœur frivole » dirait Râmakrishna : « Les pandits peuvent connaître beaucoup de
versets et de textes sacrés, mais à quoi bon les répéter ? Il faut
réaliser dans notre vie les vérités contenues dans les Ecritures » (p.80).
Le bhakti-yogi est aux antipodes
de la naïveté – si « naïveté » sous-entend « manque
d’intelligence ». Il peut apparaître tel aux yeux de ceux qui jugent de tout par la seule raison, par cette raison limitative qui ampute l’être, l’aplatit, lui ôte la
dimension qui le relie à l’Essentiel. L’Essentiel est illimité et la
raison, limitée, ne peut l’appréhender. Veillons donc à ne pas user de
l’étiquette – « naïf » - que nous apposons souvent vite aux
pratiquants un peu exaltés.
« Le bhakti-yoga, dit Jean Herbert,
convient à ceux qui ont la foi, qui se sentent attirés vers Dieu et croient en
Lui, sans savoir pourquoi et même sans désirer se l’expliquer par le
raisonnement. » Cette affirmation mérite d’être nuancée :
certains grands bhakti-yogi étaient –
sont – des intellectuels. Mais ils sont allés au-delà de la simple maîtrise des
concepts, au-delà de la compréhension intelligente des notions les plus
subtiles. Ils sont passés à l’acte. Car en
matière de salut, la raison, le savoir, l’intelligence ne procurent
aucun avantage : il faut la pratique. L’amour du prochain – y compris de
l’ennemi – est plus difficile à vivre qu’à expliquer ! Renoncer à n’être
qu’intelligent est signe d’intelligence supérieure.
La prière est-elle efficace ?
Peut-on
appeler « prière » l’argent sonore (mots, chants…) par lequel on
achète les faveurs du Divin ? Prier n’est pas marchander. Est-ce une
raison pour ne rien demander ? Peut-être que se refuser à demander n’est qu’orgueil !
Swami Vivekânanda dit qu’on obtient tout par la prière, mais que cette religion
là est une « religion de mendiant ». Le mot est dur, mais il est
employé dans une perspective particulière : un véritable bhakta ne prie
même pas pour sa propre libération. Cela ne lui est possible que lorsqu’il est
débarrassé de la peur de ne pas être libéré… Si tel n’est pas notre cas,
continuons d’appeler sur nous la force du Divin ! Tous les textes le
disent : il ne reste pas sourd à nos appels : « Ô mon cœur ! supplie ta Mère Toute
Puissante de venir à toi et tu verras comme elle accourt à ton appel. Dieu ne
peut rester insensible quand on l’invoque de tout son cœur et de toute son
âme. » (L’enseignement de
Râmakrishna, A.Michel, p. 299)
Le mendiant veut l’argent. Nous
voulons le « ciel » : n’est-ce pas préférable ? Méfions-nous
tout de même : sous cet appel apparemment pur ne se cache-t-il pas un
désir supplémentaire de jouissance ? Que dire de celui qui, ayant renoncé
aux jouissances décevantes, vise celle dont il imagine qu’elle sera plus
intense que ce qu’il connaît déjà ? Si ma prière espère un surplus de
confort, il y a fort à parier que je ne suis pas sur la bonne voie…
La prière la plus habituelle du
bhakta est une prière d’offrande – de ce qu’on a et de ce qu’on est. Envisagée
comme attitude quasi permanente elle se fait adoration et communion de tous les
instants avec la divinité. Dès lors on ne peut dire que le bhakta prie :
il est prière.
Y a-t-il d’autres moyens permettant au bhakta d’atteindre le but ?
Râmânuja indique les moyens mis
en œuvre par les adeptes de cette voie. Ils sont assez nombreux :
discernement (viveka), maîtrise des
passions, exercice (ne penser qu’à Dieu, même, par exemple, en jouant de la
musique), travail offert, pureté (en lien avec la véracité, la
droiture, la compassion, la non-violence, la charité), la force, la suppression
des joies excessives.
N’oublions pas la répétition d’un
mantra qui permet de garder le
contact permanent avec le Soi, sorte de méditation constante sur Dieu, état
ininterrompu qui peut mener à la perception directe du Divin – donc à la
Libération. C’est une autre manière d’offrir tout ce qui est fait, ce qui est
pensé, au Maître des Maîtres, (cf. Ishvara Pranidhâna dans les Yoga Sûtra, I,23)
Tous ces moyens : Japa, rites, cérémonies, prières, cultes
rendus aux divers dieux, images, etc. sont des étapes préparatoires qui
permettent de progresser. Elles ne sont évidemment pas le but. Cela peut
paraître une évidence mais ne l’est pas : on a vite fait, comme le dit
l’adage, de regarder que le doigt alors que celui-ci montre la lune…
Pour Vivekânanda, seule
l’adoration d’Ishvara - et de lui seul - est bhakti. Il ne s’agit évidemment pas de croire que la différence
vient de ce que j’adore un dieu plus « vrai » que les autres, donc
plus efficace ! Il s’agit plutôt d’une renonciation de plus en plus
générale et « par amour » à tout ce qui n’est pas le Divin. Ishvara « est la plus haute interprétation que l’esprit humain puisse donner de
l’Absolu » (Vivekânanda). En L’adorant, le bhakti yogin réalise la
fusion avec Brahman sans attributs. Il y a là une énigme (qui n’est pas
propre à l’hindouisme) : l’humain peut parvenir à l’absolu à partir du
relatif… mais ce n’est une énigme que pour notre raison !
Plus que des moyens variés pour
atteindre le but (en fait ils sont tous semblables et peuvent se ramener à un seul :
l’abandon au Divin), les textes indiquent des adjuvants, des aides, favorisant la réussite de l’entreprise. On a
cité les rites, l’adoration, mais il y a aussi par exemple les pèlerinages, la
fréquentation des hommes pieux, l’aumône… Et puis, de manière négative, tout ce
qu’il faut éviter, même dans la vie pratique quotidienne (en fait, tous les
excès : nourriture, mondanités, distractions, sexe, etc.). La mise en
garde la plus inattendue semble être
celle concernant notre propre attitude envers nous-mêmes, attitude empreinte de
défaitisme, de doute, de conformismes
moraux ou religieux qui fait
s’exclamer Râmakrishna : « Le
sot qui répète sans cesse « je suis asservi » finira bien par l’être
un jour. Et le malheureux qui dit sempiternellement « je suis un pécheur,
je suis un pécheur » finira certainement par le devenir. » (p. 177)
Comment puis-je faire naître en moi ce désir de Dieu
que je vois chez certains et qui me laisse comme un spectateur sur la touche ?
Parlant des
croyants, Henri Bergson disait à jean Guitton, : « Vous avez bien de la chance. [Quand on n’est
pas croyant] on se trouve un peu dans la situation du
personnage qui regarde des vitraux de l’extérieur de l’église »
Il ne semble pas y avoir de réponse
acceptable à cette question. Il n’y a aucun moyen de faire naître ce désir –
aucun « truc ». Il vient ou il ne vient pas. S’il vient, c’est
quand il veut et non quand moi je le veux. Certains disent qu’il surgit quand
on s’est lassé des autres désirs – mais se lasse-t-on de tous ?
On pourrait
dire aussi qu’avoir le désir de ce désir c’est déjà être proche de lui…
Peut-être. D’aucun prétendent que c’est une question de « grâce »
(vocabulaire chrétien) ou de karma… Une crise[5]
existentielle est souvent à l’origine de cette faim d’absolu (que de
conversions célèbres ou non sont passées par la souffrance physique ou
morale : déception, maladie, deuil, prison…)
Peut-être aussi, sûrement, que ce désir, nous l’avons, mais que nous ne
le nourrissons pas, que nous le laissons être étouffé par d’autres désirs moins
essentiels ? Ce qui paraît certain c’est qu’il renaît (ou qu’il naît) au
contact de certains êtres - comme la flamme d’une brindille qu’anime le vent.
Nous sommes comme des lampes à éclairage variable… Parfois nous sommes pleins
de lumière, d’autres fois nous rayonnons… d’obscurité. D’où la nécessité de la
régularité, de la persévérance, de l’ « exercice répété» (abhyâsa), de l’attention constante… Il
n’y a pas de miracle : si je n’entretiens pas ma voiture, n’y mets pas
d’essence, elle tombe en panne. L’énergie de nos véhicules subtils demande à être aussi régulièrement
entretenue que l’énergie du corps, le
véhicule matériel que je nourris régulièrement. La soif du Divin vient en
buvant. En buvant à la Source dont parlent tous les textes - la Source
représentant l’origine d’où jaillit ce que nous sommes et tout ce qui est et ce
vers quoi il nous faudra retourner un jour.
Lorsque nous nous approchons de
cette Source la soif nous brûle ; elle se calme sitôt que nous nous
éloignons. Ce n’est pas une image mais une expérience que beaucoup d’entre nous
ont faite : ceux à qui il est donné d’approcher de temps à autres un être
dont le niveau spirituel est élevé ou, à plus forte raison un grand Maître ou
un Libéré vivant, savent bien cela. La proximité
de telles âmes avive notre soif et l’étanche en même temps… L’éloignement, s’il
s’accompagne d’un relâchement de la pratique, la fait disparaître. Cela devient
à la fois plus facile et plus insupportable, jusqu’à ce que la nostalgie de
cette soif se fasse impérieuse et la
ressuscite. Mais il se peut aussi que l’oubli l’emporte.
Le « désir de Dieu » ne peut donc pas se provoquer ?
Rien
d’intellectuel, de rationnel, ne peut créer vraiment un désir (ceux qui aiment
le céleri auront beau me persuader que c’est délicieux, ils ne pourront me
convaincre si je ne peux les avaler !). Cependant l’envie d’éprouver ce désir (donc le regret
d’en être privé) peut sans doute préparer le terrain et le rendre propice à
accueillir le moindre signe-germe d’où naîtra l’émerveillement. Parce que,
finalement, ce désir de Dieu naît dans ce sentiment particulier mêlé de
certitude et d’émerveillement – émerveillement devant l’évidence enfin
découverte. Comme une présence soudainement indispensable qu’on devinait mais sans
jamais l’avoir vue.
En fait, on en revient là :
s’il y a vrai besoin, il y a demande. Et s’il y a demande sincère, il est
impensable qu’il n’y ait pas de réponse.
[1]
Cf. Râmakrishna : « Abandonnez tout
à Dieu et soumettez-vous à lui ; ce sera la fin de vos peines et de
vos angoisses. Alors seulement vous saurez que toute chose s’accomplit
uniquement par la volonté du seigneur » (L’enseignement de Râmakrishna, A. Michel, p. 255)
[2]
« S’il faut que vous soyez fous soyez-le d’amour pour le Seigneur… »
(ibid. p. 297)
[3] Le mot « fou »
vient du latin follis (soufflet pour
le feu) ; ce terme étant issu d’une racine indoeuropéenne de forme
onomatopéique exprimant l’idée de « souffler ».
[4]
Notons au passage
l’expression « course en avant » à ne pas confondre avec « fuite
en avant »… Les quinquagénaires actuels ont certainement à l’esprit une
partie (très majoritaire) de cette génération hippie qui, LSD aidant, confondit
quête de l’absolu et mise sur orbite en vue d’échapper aux réalités de ce bas
monde… Kerouac et les aventuriers de la beat generation avaient beau glorifier
le mysticisme zen, ils étaient plus « à côté de la plaque » que
« Sur la route »…
GD
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire