Vieillir est une
activité ; être vieux est un naufrage...
Rien de nouveau dans
la page qui suit et Saint Augustin a visiblement été lu par B. Vergely. Mais
cette page est lumineuse.
Le phénomène du
vieillissement est une mine d'or pour tous les camelots et charlatans qui
vivent de l'angoisse éprouvée par les vivants et commercialisent des remèdes
matériels ou mentaux, dérisoires mais de bon rapport... Pourtant, rien de ce
que proposent ces boutiquiers ne peut consoler ceux qui souffrent du
vieillissement. Le seul remède contre la peur du temps qui passe est en nous.
Il n'y a rien à faire, rien à chercher, rien à acheter : tout est déjà là,
gratuit, dans notre tête, prêt à l'emploi. Il suffit de jeter les vieilleries
qu'on nous y a laissées, de défaire les idées fausses qu'on s'est tricotées, de
décaper la rouille qui nous sépare de vérités pourtant pressenties. Quelques
efforts réalisables pour un bonheur à notre portée
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"Quand
on pense à la vieillesse, on pense bien sûr au temps. Au temps qui passe. Au
temps qui est compté. Et l'on conclut à la fatalité. Que pouvons-nous faire
face au temps ? Ne sommes-nous pas totalement impuissants à son égard ? Moins
qu'on ne le pense, tout étant lié au regard que l'on porte sur lui. Un tel
regard repose sur la découverte que tout change dès que l'on accepte le temps,
dès que l'on comprend que nous sommes le temps et enfin que l'irréversibilité
qui le caractérise a une autre face.
S'agissant
de l'acceptation, il importe de rappeler que celle-ci n'est pas évidente. Nous
sommes toujours en décalage par rapport au temps. Il pèse et ce poids pose
question. Trop long, il fait souffrir. Trop court, aussi. Il use également. Il
fatigue. Il blesse les corps qu'il outrage par ses dommages. Mais, paradoxe, le
temps est le remède au temps. Prenons le temps du temps, donnons-nous le temps,
on se repose et tout se met à reposer. Le temps se met à durer et non plus à
passer. Il se met à se remplir au lieu de se vider. Il devient un temps
opportun au lieu d'être un temps importun. Il cesse d'être un temps-fatalité (chronos en grec) pour devenir un
temps-opportunité (kairos) […] Ce ne sont pas des fatalités. Si la réalité est parfois
révoltante parce qu'elle est vide, elle est aussi vide parce que l'on passe son
temps à se révolter et à se désespérer.
On
touche là au mystère de nos limites et de ce que nous appelons la
"finitude". Nous sommes limités mais ce n'est pas le néant qui nous
limite. Ce n'est pas l'échec de l'existence. C'est la profondeur d'une existence
dont nous ne soupçonnons pas les limites […]
On
vieillit et on meurt de ne pas apercevoir ses limites et, notamment, ses
limites économiques et sociale. L'argent ne résout pas tout. On use les
personnes, les corps et les âmes à force de le faire croire. Notre système qui
pense que tout se résout par l'argent soumet la société à une pression parfois
insupportable. Il crée des phénomènes d'usure, de vieillissement, de
dépression, voire de suicide. Le retour à la conscience de nos limites évite ce
phénomène d'épuisement. La tragédie grecque nous enseigne que le héros tombe
dans le tragique quand il nie ses limites. Il est sauvé de les reconnaître.
Cela vaut pour le temps et la vieillesse. On en sort, on s'en délivre, en y
rentrant. Le temps que l'on accepte n'est plus un temps que l'on subit. On
n'est plus dans le temps en acceptant le temps. On est dans la réalité.
L'existence
est pleine d'opportunités. On passe à côté de celles-ci à force de se révolter
[…] Mieux vaut une vie limitée mais réelle qu'une vie illimitée mais irréelle,
Les êtres humains font souvent le contraire. Ils sont dans l'idée de la vie
plus que dans la vie et dans l'image d'eux-mêmes plus que dans eux-mêmes. Mieux
vaut donc un temps réel qu'une éternité irréelle […]. Le sage qui vit au
présent regarde ce qu'il est et non
ce qu'il a […]
Le
monde qui envisage les choses de l'extérieur, "objectivement",
"rationnellement", "lucidement", évolue dans un temps de
mort. Il ne vit pas le temps. Il compte le temps qui reste à vivre. Il ne voit
pas le temps comme une qualité, mais comme une quantité. […] On est là au cœur
du problème de la condition humaine. Ce problème commence bien avant la
vieillesse. Il y a en chacun de nous la tentation de voir non pas ce que l'on
est mais ce que l'on a. Cette tentation qui nous enferme dans la tristesse nous
vole notre liberté et notre vie. On retrouve sa liberté en passant de ce que
l'on a à ce que l'on est. Ce passage fait les vieillesses réussies. Il fait les
vies réussies. Il fait rencontre un autre temps."
Une vie pour se mettre au monde
Marie
de Hennezel et Bertrand Vergely (éd. Carnets nord, Paris, 2010)
Les lecteurs
intéressés par le thème du temps (traité sous l'angle philosophique et
spirituel) pourront, outre l'ouvrage cité ci-dessus, se procurer Le Pouvoir
du moment présent de Eckart Tolle (Ariane Éditions, Québec, 2002), un chef-d'œuvre traduit en plus de 30 langues, et qui, sur ce même
thème, dispense de toute autre lecture.
GD
Bertrand Vergely : philosophe et enseignant dans de
grandes écoles.
Marie de Hennezel : a travaillé dix ans comme psychologue dans
le domaine des soins palliatifs à l’hôpital international de la cité universitaire
de Paris. Elle assure des stages de formation à l’accompagnement des mourants.
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