"Détruisez ce Temple..." (Jean, 2 : 12,21)
Jésus est rarement violent... La fois où cela lui arrive a donc beaucoup d'importance... pour nous.
Lorsque Jésus chasse les
marchands du Temple à Capharnaüm, il dit aux vendeurs :"Ne faites plus de
la maison de mon Père une place de marché". Les Juifs s'insurgent et
demandent à ce jeune homme de quel droit il ose agir ainsi. La réponse de Jésus
peut surprendre; elle semble présomptueuse et hors sujet : "Détruisez ce
Temple et en trois jours je le relèverai". Mais Jean explique que le
temple dont parlait Jésus était "le Temple de son corps", faisant
ainsi allusion à la résurrection.
Nous savons que le propre des
textes fondateurs est d'offrir plusieurs niveaux de compréhension - chaque
lecteur trouvant nourriture à sa portée. Nous essaierons d'entrevoir ce que
peut dégager de cet épisode un pratiquant de yoga qui ne serait pas forcément
chrétien.
Ce passage de l'Evangile offre
déjà de remarquable le fait que Jésus, habituellement si pacifique, se montre
violent : il frappe avec des cordes, renverse les tables, chasse les petits
animaux vendus par des commerçants - commerçants sans doute pas très riches -
en tout cas ni trafiquants ni requins financiers. Pourquoi autant d'énergie
destructrice pour si peu ?
Bien sûr, on peut comprendre que
Jésus est agacé de voir se mêler les affaires du monde à celles de son Père, celles
du Divin. Un croyant qui s'est déjà rendu à Lourdes ou dans un autre lieu de
pèlerinage peut fort bien ressentir de la révolte à constater que tout est bon
à faire du profit. Plus que d'autres endroits pourtant consacrés corps et âme
au commerce, ces hauts lieux de la spiritualité rendent encore plus criante
cette tendance de notre temps consistant à toujours vouloir privilégier l'avoir
sur l'être.
Le temple, aux yeux des Juifs de
l'époque, était une construction de pierre et de bois, certes lieu de culte,
mais aussi de commerce pour les vendeurs d'animaux utilisés pour les
sacrifices. Ainsi en était-il de tous les temples (et encore actuellement, en
Inde, particulièrement). Or la démarche de Jésus va bien au-delà d'une réaction
épidermique, elle semble disproportionnée : il parle de "détruire le
Temple". On se doute bien qu'il pense à autre chose, qu'il a changé de
plan de signification.
On songe d'abord au corps (son
corps qui ressuscitera, dit Jean). Le "temple" en question, c'est
donc le corps; le corps qui abrite l'Esprit. Mais pas seulement. Pas seulement
les os, les organes, la chair, mais aussi le mental avec tout ce qu'il accumule
de pesanteur, de désirs, d'attachements, de peurs… Détruire le temple du corps
c'est donc mettre fin à ce qui le pollue, c'est le nettoyer des automatismes
mentaux acquis, des habitudes souvent négatives qui nuisent à sa légèreté, à sa
transparence et qui, bien souvent, se traduisent en maladies (que sont en effet
la plupart de nos malaises et de nos maladies si ce n'est l'expression
physiologique de nos "maladies" mentales ?)
Détruire le temple mais pour le
reconstruire, pour le "relever" dit le texte. Comprenons bien : il ne
s'agit pas de détruire pour détruire. Il s'agit de sacrifier (facer sacere : "faire du sacré") d'anéantir les impuretés, de
purifier par le feu du souffle (ou de l' "Esprit" puisqu'on traduit
souvent "spiritus" ainsi),
le feu du prâna, qu'il faut bien se
garder de réduire à la simple respiration physiologique.
Le "sacrifice du
cheval" de la Brihadaranyaka
Upanishad est de la même manière sacrifice du monde et sacrifice de l'ego
au profit du Soi.
Jésus veut détruire (comme Shiva)
le temple pour reconstruire (comme Brahma) le Temple. C'est en fait une démarche de
vie : aucun changement profond, aucune élaboration nouvelle, aucune
transmutation essentielle n'est possible sans ce nettoyage, ce déblayage
préalable : Jésus n'est alors pas plus violent qu'un thérapeute, qu'un
chirurgien procédant à l'ablation d'un cancer. Détruire le temple, c'est vider le
grenier, jeter le vieux, le sec, le sclérosé, l'encombrant fatras qui nous
asphyxie, empêche notre "âme" de respirer librement, de danser et
d'aimer.
Le corps est éminemment
respectable puisqu'il abrite la "petite lampe" (pradipika ) de l'âme. Eclairé par cette Lumière il n'est cependant
pas pour autant la Lumière. L'importance qu'on lui donne actuellement, le
véritable culte qu'on lui rend, ne s'exerce qu'à l'enveloppe, qu'aux
apparences. On en fait une idole creuse qu'on adore. Gymnastiques diverses, régimes,
produits et soins de beauté ne visent que la superficie. On refait la façade,
on replâtre ici et là, on repeint, on masque mais on ignore les fondations.
L'intérieur est rongé, l'air est stagnant, la "petite lampe" manque
d'oxygène et menace de s'éteindre - lorsque ce n'est pas déjà fait. Le corps
devient alors ce "sépulcre blanchi" (blanc à l'extérieur, opaque à
l'intérieur) dont parle ailleurs Jésus.
Le "Temple" qui compte,
c'est celui que nous édifions intérieurement, celui du Soi. D'abord celui-ci. Il n'est pas critiquable d'entretenir les
extérieurs : le yoga nous rend plus souple, plus résistant. Mais nous devons
avant tout le mettre au service de la destruction, de la douloureuse (pour
l'ego, seulement) destruction de tout ce qui encombre notre espace intérieur et
nous empêche d'édifier, d'"élever" le Temple divin.
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