Le non-respect du Shabbat (Jean, 5 : 16)
"Ils poursuivaient Ieschoua parce qu'il avait fait cela un jour de Shabbat." (L'Evangile de Jean, traduit par J.-Y. Leloup, Ed. Albin Michel)
Même guérir un paralytique, ainsi
que vient de le faire Jésus, c'est agir. Or la loi juive ne transige pas : on
de doit rien faire durant le Shabbat. Voilà qu'est posé le problème qu'on
retrouve dans la Bhagavad-Gîtâ :
qu'est l'action ? Qu'est la non-action ?
"Sur ce qu'est l'action et ce qu'est l'inaction, les sages mêmes sont
perplexes et se trompent", dit Krishna (4 : 16). Le mental est-il
capable de ne pas agir ? Notre corps est-il
capable de ne pas agir ? nos organes ? nos muscles ? L'immobilité d'une posture
de yoga n'est qu'apparente, cette immobilité n'étant que le résultat de
milliers de micro-mouvements qui annulent un mouvement plus ample. La mort
elle-même ne peut empêcher le mouvement (nos cellules se transforment alors).
Nous ne pouvons pas ne pas agir et refuser l'action c'est encore agir.
Chercher à s'abstenir d'agir est
donc voué à l'échec. En revanche, ce qui est possible, c'est de ne pas être
asservi par l'action. En d'autres termes c'est rester détaché de l'action. Etre
détaché de l'action c'est ne pas penser à autre chose en repassant ou en
cuisinant ou en rédigeant un rapport, etc. Etre détaché de l'action c'est agir
sans rien attendre de cette action. Comment ? dira-t-on : si je repasse une
chemise j'attends qu'elle soit repassée - et si possible impeccablement ! A
cela on peut répondre que le résultat de mon action, si je suis tout entier
dans son accomplissement juste, viendra forcément lorsque l'action sera
achevée. Dès lors je peux agir sans anticiper, sans désirer quoi que ce soit. Il
suffit que je repasse bien… et la chemise sera bien repassée sans que j'aie eu
besoin de désirer le résultat - les "fruits" dit la Bhagavad-Gîtâ. Si je projette dans mon
imaginaire le résultat (la chemise magnifiquement nette) alors que je suis en
train d'agir en vue de ce résultat, je crée une distorsion, une dysharmonie entre
ce à quoi je pense et ce que fait mon corps - ce qui se solde souvent
d'ailleurs par un signal concret, une maladresse. Le faux plis, la chemise
brûlée me rappellent soudain à l'ordre - au sens propre du terme puisque
j'étais " en désordre". Fort bien, répliquera-t-on : je n'attends pas
de résultat (du moins j'essaie de ne pas y penser sans cesse) mais que fait
alors mon mental, pendant que mon corps - mes mains - repasse la chemise ?
Faut-il répondre à cette question sans vexer les pratiquants de yoga que nous
sommes ? Mon mental sera dans l'attention des gestes à accomplir. Est-ce tout ?
Oui, commençons par cela : c'est déjà un exercice extrêmement difficile; mon
mental a de la peine à se fixer et à garder la conscience de ce que fait le
corps. Mais, diront ceux qui connaissent bien les textes, ne faut-il pas offrir
l'action au Divin ? Certes… Rien ne m'empêche d'avoir une pensée d'offrande au
moment où je vais agir. Mais penser au
Divin tandis que j'agis c'est encore être dans le mental et donc en dysharmonie
avec l'acte en train de s'accomplir. L'attention d'abord.
Revenons-en au Jésus de cet
épisode. Les Juifs auraient-ils tort d'exiger le non-agir du Shabbat ? Bien sûr
que non : le Shabbat est ce moment réservé à Dieu, ce moment où, ne faisant
rien de trop absorbant, l'homme peut alors orienter son esprit
"verticalement", le tourner vers la transcendance. Ce temps nous est
destiné, à nous qui sommes incapables de rester branchés en continu sur ce
courant d'énergie qui nous fait vivre. Mais Jésus, lui, comme tous les être libérés, est en contact permanent avec
la "Source" - avec le "Père", si l'on veut employer son
vocabulaire. Cela signifie qu'il n'a plus besoin du Shabbat parce qu'il est
continuellement en Shabbat et que ses actes n'affectent pas sa communion
permanente avec le Divin : toute œuvre qu'il accomplit est œuvre de Dieu. Cela,
les Juifs ne le comprennent pas parce qu'ils refusent à Jésus son véritable
statut et qu'ils le considèrent comme ils sont eux, c'est-à-dire imparfait. Or
Jésus guérissant le paralytique un jour de Shabbat est en accord avec lui-même
et avec son dharma. Il agit, certes,
mais sans distorsion aucune, sans rompre l'unité de tout son être avec le Tout.
Nous, si nous ne sommes pas
encore des jivan-mukta (des
"libérés vivants"), nous avons besoin du Shabbat. Nous avons besoin
du silence, du recueillement, de ces moments d'immobilité durant lesquels le
corps et l'esprit s'unissent en vue d'un recentrage. L'observation du souffle est un bon moyen
d'opérer ce retour à l'unité. Mais il nous est aussi possible d'instaurer des
petits Shabbat en travaillant à être plus attentifs à ce que nous faisons. La
concentration (sans crispation) sur ce que nous faisons (marcher, manger…
repasser !) stabilise le mental et lui apprend les premiers pas qui mènent au
silence plus profond de la méditation.
G D
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